UAdo rémifasol

« Oh, mon petit Sammy... Tu ne t'es pas amusé chez ton copain Lionel ? Il est gentil, pourtant, Lionel.
- Non, c'est un débile.
- Rooh... »

Ikaël essaya de faire sourire un peu son fils, mais c'était peine perdue. Le coude contre le rebord de la fenêtre et le visage posé dans la paume de sa main, le regard doré de ce dernier scrutait la route avec un air morne et agacé. Pour une fois, Samaël n'était pas si pressé que ça de retourner à l'école. Pourtant, hormis ses notes assez moyennes, il aimait bien le lycée. Ou du moins le sien. Celui dans lequel il s'était fait une bande de copains. Faust, Elliott, Martin et d'autres, pour ne citer qu'eux. Il ne détestait pas Lionel en soit non plus mais les récents événements qui s'étaient déroulés à la fête du Roque-Lartigue avaient un peu refroidi leurs rapports. Bizarre en effet selon lui que ce fils de bourges ait pu se rapprocher de la cible de ses pensées alors qu'ils n'avaient rien en commun. Une proximité physique nouvelle qui n'avait pas été sans déplaire fortement à l'Enodril et si la vision l'avait fait bouillonné de l'intérieur, il regrettait un peu qu'elle se soit exprimée aussi de façon externe, car cela lui aurait fait éviter bon nombre d'ennuis à commencer par le jugement que pouvait avoir Natsume Shimomura. Geek et nerd, l'asiatique n'était pourtant pas le genre de personne que le brun fréquentait étant donné qu'il voulait à tous prix se faire apprécier des autres et que pour ça, il n'avait trouvé rien de mieux à faire partie du groupe des sportifs populaires du lycée. Un rôle qui lui convenait bien en soit puisqu'il n'était pas si mauvais en sport et que comme ça il pouvait se retrouver avec l'aîné des Donovan, mais qui du coup l'incitait, par mimétisme, à se moquer un peu des élèves qui étaient 'en retrait', ou qui se faisaient appelés 'loosers' ; autrement dit, les 'nerds' (ou ce que les étudiants considéraient comme tels). Samaël en soit faisait donc semblant de leur jouer des mauvais tours mais ça lui posait en réalité de plus en plus de problèmes pour deux raisons : la première est que ce n'était pas vraiment dans sa nature de base de ricaner au dépend d'autrui, même pour impressionner la galerie. Il croyait seulement que c'était ainsi qu'on pourrait le considérer comme quelqu'un d'appréciable et ça lui donnait faussement le sentiment d'appartenir à une bande, de ne pas être mis à l'écart, et surtout de se faire bien voir auprès de ceux qu'il admirait.
Le deuxième problème était un peu plus récent mais un poil embêtant quand même : Natsume Shimomura était le 'nerd' qu'il embêtait le plus souvent mais qui ne le laissait pas du tout indifférent malgré ce qu'il tentait parfois de nier. Et il n'avait bien sûr pas eu d'autres moyens pour attirer son attention que de lui faire des farces très bêtes et parfois méchantes comme lui mettre du sel dans les cheveux pendant qu'il ne fait pas attention ou bouger en douce les marques pages de ses bouquins et autres joyeusetés bien chiantes comme il faut. Il recevait en retour des regards blasés ou noirs, mais au moins, il le regardait. Maladroit comme tout avec ce genre de sentiments dont il n'avait pas l'habitude, c'était pour lui également la seule solution pour 'échanger' (si on pouvait appeler ça ainsi) quelque chose avec son camarade de classe sans risquer de se prendre des remarques de la part de ses 'amis' ainsi que ceux de l'autre qu'il ne voulait pas embarrasser avec des histoires niaises et sans intérêt.

En temps normal, Samaël aimait bien Lionel ; ou du moins il lui était sympathique, même s'il le trouvait parfois un peu naïf. Mais en plus, le Roque-Lartigue l'invitait à toutes ses soirées et lui bah il trouvait ça vachement cool de sa part (même si Lionel invitait tout le monde à ses soirées). De plus, même Natsume y était invité alors ça lui permettait aussi de le voir là-bas (même s'ils sont dans la même classe alors c'est un peu con). Alors quand il avait vu que les deux étaient plutôt proches ce soir-là... Il avait senti quelque chose de douloureux le traverser et ça l'avait sorti de ses gonds. Au fond, il ne savait même pas s'il était vraiment en colère contre Lionel. Le bleu n'avait jamais en effet paru intéressé par le hérisson d'ordinaire, alors pourquoi maintenant ? Mais bon, il semblait convaincu désormais qu'il était impossible de revenir en arrière et surtout que le fils de bourges le détestait, et son 'ami' y compris. La façon dont il avait haussé le ton après l'Enodril avait d'ailleurs profondément marqué ce dernier même s'il n'avait jamais voulu le montrer ou l'admettre. Seul son oreiller se souvenait des pleurs que l'adolescent avait versé dedans le soir où il était rentré chez lui après être rapidement parti de la fête. Ses parents n'étaient pas dupes non plus, d'ailleurs : ils connaissaient trop leur fils pour savoir quand quelque chose clochait, et au réveil, il n'allait définitivement pas bien.

Comme tous les matins, Ikaël emmenait le lycéen à l'école en voiture et il s'inquiétait donc un peu pour lui. Il avait cessé de poser des questions au plus jeune quand ce dernier leur avait demandé de ne pas le faire, mais il ne peut pas s'empêcher de se faire du souci. Il aimerait pouvoir l'aider mais se sent malheureusement impuissant malgré qu'il ait insisté auprès de l'adolescent pour lui dire qu'ils étaient toujours disponibles s'il avait besoin de parler à quelqu'un. Le blond pensait toutefois presque aller voir ses amis Karl ou même d'ailleurs Miyu pour lui demander si elle avait elle-même autant de problèmes avec ses enfants, puisqu'il savait que le fils de la japonaise récemment arrivée était dans la même classe que Sam. Ikaël avait d'ailleurs gentiment proposé que les deux garçons s'apprennent mutuellement leurs langues natales (l'un pour faire découvrir le japonais et l'autre pour aider son camarade à progresser en français) mais ils semblaient tous deux trouver que cette idée était assez mauvaise (ou du moins du côté de Samaël l'opportunité aurait été belle à saisir mais il savait que ça ne se passerait pas dans une très bonne ambiance si ça devait arriver et il était inutile de forcer le cadet).
Lorsqu'ils arrivent à quelques mètres de l'école, la voiture finit par s'arrêter. Pour 'éviter de lui foutre la honte' c'était toujours à cette hauteur que le plus jeune descendait pour finir à pieds par peur de se prendre des remarques. Il aimait bien quand son père ou sa mère l'accompagnaient mais en craignant toujours les regards et les moqueries qu'on pourrait lui adresser.

« Et voilà mon bonhomme. Je te laisse faire le reste du chemin.
Merci, P'pa, à ce soir. »

Il força un très léger sourire devant son paternel avant qu'il ne fane aussitôt dès lors qu'il ferma la porte et qu'il laisse son père repartir. Lui-même essaya d'oublier quand même cet air morne sur son visage, mais les souvenirs de la soirée remontèrent encore et sa poitrine se comprima doucement. Il n'avait clairement pas hâte, pour une fois, mais il fallait qu'il affronte cette journée. Comme une drama queen, il avait failli demander s'il était possible de rater quelques jours d'école mais ce n'était guère raisonnable et il était conscient que pour quelque chose qu'il avait lui-même provoqué, c'était bien stupide et exagéré de sa part. Puis bon, ça ne le rendrait que plus lâche encore, au final. Il arriva quand même à franchir les portes de son lycée en faisant comme si de rien n'était et s'approcha de son casier pour prendre ses affaires de cours.

« Salut, salut, saluuut !
- AAAH ! »

Il ne saura jamais en fin de compte ce qui le fait sursauter le plus : le poids qu'il sentit d'un seul coup se jeter sur son dos ou cette voix bien trop joyeuse qui adorait percer ses tympans de bon matin. Une joie qui allait avec le personnage qui l'incarnait, lumineux et plein d'entrain comme toujours. En même temps, Elliott Dexter Donovan n'avait pas énormément de problèmes dans sa vie. Hormis son asthme qui lui posait quelques soucis (rien de trop grave cependant), ses notes (hormis en sport où il était dispensé) étaient excellentes et il était plutôt apprécié au sein de l'école. Fondateur du club d'informatique qui comprend une partie codage, jeux vidéos et même fanfictions, il prenait son rôle très à cœur et n'hésitait pas à aider même les amateurs dans le domaine. Gentil et souriant, difficile de lui en vouloir pour quoi que ce soit surtout quand il aimait parfois se cacher derrière une fausse innocence et un air malicieux. Pourtant il savait faire preuve d'une grande discrétion quand il voulait, au grand dam de l'Enodril.

« Ne refais plus JAMAIS ça.
- Hihihi, tu sais que je vais pourtant le refaire demain ! Et après-demain ! Et-...
- Et le jour d'après et ainsi de suite, oui, je sais. »

Samaël soupira quand l'autre redescendit, peu intelligent mais sachant que ça ne servait à rien de débattre sur ça avec lui. Elliott était un pur geek qui traînait avec la bande de Natsume et Helmut mais rares étaient ceux qui osaient se moquer de lui pour le coup à cause notamment de la présence de son frère Faust qui surveillait que personne n'embête son petit frère adoré. Et il fallait être maso pour provoquer la fratrie Donovan. Mais Samaël et Elliott étaient des amis depuis longtemps déjà alors le brun aux yeux verts était l'un des seuls qui se permettait autant avec le sportif.

« Allez, fais pas cette tête. Tiens, j'ai même une surprise pour toi !
- J'ai peur, quand tu dis ça... »

De la part d'un mec qui rêvait de faire une bande-dessinée multiverse avec des aliens et beaucoup de n'importe quoi, l'Enodril estimait qu'il avait des raisons de se méfier quand Elliott lui sortait ce genre de phrase. Et surtout avec un sourire aussi espiègle. Il finit par sortir quelque chose de l'intérieur de sa veste avant de la montrer fièrement à son ami.

« Tadaaaa ! Alors, merci qui ? »

Un hoquet de surprise, c'est bien tout ce qu'il parvint à faire sortir en premier lieu quand il aperçut ce qu'il lui tendit.

« Mais je... Je ne t'ai jamais de-demandé ça !
- Ah... Bon bah je la reprends, alors...
- HE ! C'est à moi, j'la garde ! »

Le Donovan éclata aussitôt de rire en voyant la soudaine détermination de l'autre pour conserver son cadeau. En même temps il savait que cette dernière allait être assez apprécié de son interlocuteur : une photo prise en douce de Natsume Shimomura. Objet de convoitise qui n'était pas si aisée à obtenir, après tout. Il n'avait pas réussi à capter son meilleur profil mais c'était mieux que rien, et aux yeux de l'Enodril, car apparemment, ça suffisait amplement, puisqu'il grognait désormais presque comme un roquet pour ne laisser personne s'approcher de ce qu'il venait d'acquérir. Heureusement, Elliott ne s'en offusqua nullement : ça le faisait marrer comme un idiot plus qu'autre chose, car le spectacle était bien ridicule à voir.

« T'es pas croyable, toi... Tu lui fais une vie de misère mais tu en rêves la nuit, ça ne fait aucun sens.
- … Comment tu sais que je rêve de lui la nuit ?
- … Je l'ignorais.
- Mais-...
- C'était une vanne.
- … Ah. »

Et voilà qu'il se retrouvait à être rouge comme une pivoine. S'il était proche de Elliott, il n'avait pourtant jamais raconter à qui que ce soit les rêves plus qu'étranges qu'il faisait ces dernières nuits où le Shimomura était souvent présent. Ce n'était pas pour déplaire à Sam, bien entendu, mais ça lui avait donné de puissantes envie de destruction vis-à-vis de son réveil le matin. Parfois c'est vrai, il enviait maladivement Elliott et même le crush secret de Martin pour pouvoir être si proche de l'élu de ses pensées, quand bien même il suffirait qu'il fasse seulement des efforts de son côté en se montrant moins stupide et plus gentil pour bénéficier peut-être de la même proximité ou du moins augmenter ses chances.

« Hé... Il va pas te manger si tu vas lui parler gentiment, tu sais.
- M-Mais... Tu as bien vu comme il était énervé à la soirée de Lionel...
- Baaah il est comme toi, il est pas très malin, parfois. Mais bon... Comme en plus l'amour ça rend idiot...
- … Qu'est-ce que t'as dit ?
- J'ai dit qu'il n'était pas très malin parfois.
- Non, non, juste après...
- Ah, faut que je te laisse, j'ai pas envie d'être en retard à la réunion des délégués. Bye, Casanova !
- Elli, attends !.. »

Trop tard, la sonnerie retentit déjà, comme si son ami l'avait prédit, et ce dernier le salua de loin en prenant la direction de la salle de réunion, noyant les interrogations de Samaël. Elliott était proche de Natsume, alors il pouvait sans doute avoir des informations à son propos qu'il ne connaissait pas. Mais il semblait vouloir au contraire l'inciter à se débrouiller davantage par lui-même. 'Cela ne regarde que vous', lui avait-il même dit un coup sans davantage de précisions.
Bientôt, il se retrouva complètement seul dans le couloir. Ou presque. Toujours fatigué à cause de ce week-end qui ne lui avait pas permis de se reposer pleinement, il baissa les yeux sur la photo que son ami lui avait rapporté. Il la détailla quelques instants pour admirer les traits du modèle qui se trouvait dessus. Puis, quelques secondes plus tard, ce fut devant elle qu'il adressa son premier sourire de la journée.

TW : On parle des yaoi et de ses pratiques entre autre donc c'est des trucs malsains et deg enfin y'a pas grand chose mais je préfère mettre ça au cas où /!\ Et c'est niais et cringy btw par moment

« Qu'est-ce que tu lis ? 
- AH ! »

Le livre manque de lui échapper des mains au moment où Elliott le surprend avec une apparition aussi soudaine que non désirée. Samaël adore son ami, surtout qu'il le connaît depuis un bail maintenant, mais il ne s'attendait pas à le voir à la librairie du coin au même moment que lui.

« Chhhhht ! »

Des murmures autour d'eux se font entendre de la part des autres lecteurs pour leur intimer le silence. Gêné, l'Enodril esquisse un mouvement de la tête pour s'excuser avant de bifurquer dans une petite allée à l'abri des regards en espérant pouvoir parler plus librement au Donovan si ce dernier a quelque chose à lui demander. Il ramasse donc le bouquin qu'il a malencontreusement laissé échapper de ses mains et détourne distraitement le regard en le replaçant sur l'étagère. En vérité, il en train de le lire, mais il ne tient pas spécialement à ce qu'on ne lui pose plus de questions là-dessus. Malheureusement, c'est à Elliott qu'il a affaire et ce dernier lit en lui comme dans un livre ouvert, en l'occurrence. Ses yeux verts se sont d'ailleurs tout à coup agrandis en apercevant la couverture du manga que le brun aux cheveux lisses feuilletait avec attention une minute plus tôt.

« Tu lis des yaoi, toi ? »

Sur le coup de l'interrogation, Sam sent tout son corps se crisper d'un coup. Ses joues prennent une couleur rouge tandis qu'il sent sa tête le chauffer légèrement.

« Euh-Euh je-je euh n-non je... euh... »

Devant les prunelles dorées de l'autre, l'aîné de quelques mois prend ledit livre en question et le laisse s'ouvrir tout seul pour voir si une page en particulier avait intéressé son ami. Expérience réussie puisqu'il tomba sur un chapitre spécifique où l'un des protagonistes exécutait un kabe-don à l'autre en lui jetant un regard de braise devant lequel Elliott ne put s'empêcher de pouffer.

« Pfrrrt c'est ça que tu regardes ?
- M-Mais NON ! Même pas vrai ! »

Le pivoine de sa face n'aide en rien sa crédibilité qui est déjà au niveau zéro avec le châtain aux cheveux hérissés. Il n'est pas bien compliqué de savoir quand Samaël ment, mais ce n'est certainement pas lui qui pourrait lui cacher quoi que ce soit. D'un geste brusque, Sam prend le manga des mains du Donovan et le replace en rayon avant de commencer à faire demi-tour, le regard sur le côté.

« Tu sais, si tu veux des mangas de romance, j'en connais.
- NON ! J-Je le remettais juste à sa PLACE ! 
- CHHHHHHHHT ! »

Honteux et se rendant compte qu'ils font définitivement trop de bruit, les deux compères sortent en même temps du magasin. Le Donovan pourtant ne lâche pas l'affaire.

« Ce n'est pas dans ce genre de livre que tu pourras apprendre à draguer Natsume, tu sais.
- M-M-Mais... ! »

Il voudrait lui lancer un regard noir pour qu'il se taise mais n'y arrive pas. Il est mauvais à cela quand ce n'est pas quelqu'un qu'il déteste. Il ressemble juste à un chiot mouillé quand il essaye face à Elliott : il a déjà tenté, et c'est lui qui avait sorti ça. Ce n'était pas faute de dire la vérité, cependant, car c'est vrai que Sam n'est pas très crédible quand il veut faire peur sans que le sentiment ne soit là.

« Allez, fais pas la tête. On prend le goûter à la maison ? »

L'Enodril s'arrête dans sa marche de frustration avant de pousser un soupir. Un peu de sucre lui ferait probablement du bien, alors il ne peut pas refuser cette invitation de la part de son ami. En silence, il opine de la tête pour accepter et prennent tous deux le chemin de l'auberge. Après avoir salué Kagami et Karl qui travaillent encore, les adolescent montent dans la chambre d'Elliott et installent leurs affaires comme ils ont souvent l'habitude de le faire lorsque l'un va chez l'autre. Sam aime beaucoup aller chez Elliott. Il y a toujours beaucoup de vie chez les Donovan. Lui qui aurait souhaité avoir un frère ou une sœur, il a longtemps jalousé le brun aux yeux verts. Mais le lien qui l'unit à Faust aujourd'hui comble un peu ce vide, même s'il sait que ce doit être différent que de vivre constamment avec. Puis si Miyu s'occupe de l'architecture des Enodril quand elle vient très souvent les voir (il n'aurait d'ailleurs jamais pensé que ses parents et elle puissent être aussi proches mais tant mieux), la maison des Donovan est plutôt chouette. La chambre d'Elliott est très chaleureuse et son lit est confortable à souhait, avec une grosse couette qui tient chaud en hiver. Ses murs sont couverts de posters, de dessins de monstres et de science-fiction ainsi que quelques photos. Le seul meuble dont il ne s'approche pas est son bureau, sur lequel il passe beaucoup de temps le soir. Ce dernier lui sert de plans de travail quand il veut faire des bandes-dessinées ou bidouiller des trucs électroniques. Comme Sam ne veut pas y mettre le bazar, il préfère s'en tenir loin. En arrivant dans la pièce, ses yeux s'attardent plutôt sur le planning du club d'informatique dont il s'occupe et sur celui du club de jeux vidéos qu'il aide à gérer. Des consoles de toutes générations reposent dans un coin de la pièce mais l'absence de poussière indique à l'Enodril soit un bon entretient, soit une utilisation fréquente. Il s'agit des deux, se dit Sam qui joue d'ailleurs régulièrement à la console chez Elliott quand il est chez lui. Devant Smash ou Mario Kart, ils font la conversation et parlent de tout et n'importe quoi. C'est parfois une manière chez le Donovan de parler de sujets relativement sérieux. C'est ainsi qu'ils font la discussion devant Ultimate et que Elliott, comme toujours, prend l'avantage. Si Sam sait se servir des personnages pétés avec une épée, le Donovan les maîtrise à peu près tous et sait jouer de façon tellement vicelarde qu'il arrive souvent à prendre au dépourvu ses adversaires. Aucun d'eux n'a parlé de l'éléphant dans la pièce, mais c'est que l'aîné attendait le bon moment.

« Alors, tu vas m'en parler, du tome de Romantic Lovers Butterfly que tu lisais tout à l'heure ? 
- H-Hein ?! »

Concentré sur le jeu mais distrait soudainement par l'interrogation de l'autre, il ne se rend compte que trop tard que son Link s'est jeté dans le vide du terrain tout seul. Les joues de Samaël ont pris une teinte rosée, ses yeux ne quittant pas l'écran de télévision qu'il fixe avec énormément d'insistance quand il ne fait pas mine de regarder ailleurs en évitant son interlocuteur.

« Je... Je ne vois pas de quoi tu parles !.. »

Le brun aux cheveux lisses presse son camarade de continuer la partie pour prendre d'autres personnages. Son choix se porte cette fois sur Marth tandis que le Donovan choisit Marie. Motivé à gagner cette fois-ci pour espérer penser à autre chose et enterrer la conversation déjà engagée, cela n'arrête pourtant pas le Donovan qui, à peine le match débuté, arrive à asséner une attaque smash assez puissante pour OHKO son adversaire. Ce dernier, surpris, s'immobilise et esquisse une tête dépitée. Il sent bientôt sur lui le sourire doux et énigmatique de son ami mais fait mine de l'ignorer. Jusqu'à ce que ce dernier reprenne la parole en émettant un léger gloussement.

« Hé... T'es plutôt mignon, quand t'es embarrassé.
- … Qu-... Quoi ?.. »

En se tournant vers lui, Sam sursaute quand il remarque que l'adolescent a rapproché son visage du sien pour qu'ils se retrouvent à quelques centimètres l'un de l'autre. Le souffle coupé, le cadet déglutit mais ne bouge pas, se laissant faire inconsciemment au moment où Elliott le fait basculer en arrière sur la moquette bleue. Il est trop confus par ce comportement inattendu pour que son cerveau se pose tout de suite des questions. Couché sur le dos, il devient tout à coup plus anxieux en plongeant son regard dans les prunelles d'Elliott où brille une lueur qu'il n'arrive pas à déchiffrer, loin de sa malice habituelle. Sa voix, elle, s'est faite suave.

« Qu'est-ce qu'il a de si spécial, Natsume ?.. Moi, je pourrais t'apprendre à devenir un homme, si tu le souhaites.
- E-Elliott, que... q-qu'est-ce que... »

Il a du mal à comprendre où veut en venir son ami, et surtout ce qui lui prend ; jamais il n'avait agi comme ça avec lui, ou même avec quiconque, d'ailleurs. Ce n'est pas son genre. D'autant plus que la phrase lui est familière. Il lui faut plusieurs secondes avant qu'un flash le surprenne et qu'il saisisse enfin pourquoi ses mots lui rappelaient quelque chose.

« … C'est... C'était une phrase d-du livre...
- … Oh ? Eh bin, tu l'as lu, finalement ? »

Samaël cligne des yeux à l'instant où l'expression d'Elliott s'est faite plus joviale et taquine.

« Pfrt... PWAHAH ! »

Il le reconnaît davantage comme ça, même s'il ne voit toujours pas où l'autre voulait en venir, surtout lorsqu'il se met à rire à gorge déployée ; chose pas si commune chez lui, quand il y pense. Rapidement, le Donovan s'éloigne de l'Enodril pour le laisser se redresser, mais ne tarde pas à lui asséner un petit coup amical sur la tête pour lui faire la morale.

« Aïeuh !
- Alors ? C'est effrayant ou pas ? Tu vois quel genre de bêtise tu regardes ? C'est pas vrai, je peux pas te laisser une journée sans que tu ne te mettes à fourrer ton nez là où il ne faut pas.
- Je... ! Je-Je... »

Honteux, le concerné baisse les yeux. Il s'est fait prendre au piège. Quelque part, il savait que c'était inutile de mentir longtemps à Elliott, mais il espérait pouvoir s'en tirer pour cette fois. Il n'avait pas vraiment envie qu'on découvre ce qu'il fait à la librairie quand il y passe des heures, surtout quand il sait que ses lectures sont loin d'être une référence mais qu'il n'a que cette source-là pour se rassurer ou avoir des situations qui lui sont proches, même avec la plus faible des ressemblances.

« Je-Je pensais j-juste qu-que... C-Comme c'était u-une histoire en-entre...
- Deux gars, je sais. Mais c'est pas ça qui va t'apprendre des trucs. C'est juste là pour vendre, pas pour aider les gens comme nous. »

Comme d'habitude, il lui est transparent. Face à ça, le sportif n'a rien à répondre. Il a raison. Les mangas en eux-mêmes n'étaient pas très intéressants à lire et étaient à mille lieux des shonens classiques qu'il aimait dévorer (et quelques shojos aussi mais ça il se cachait un peu). Les dessins n'étaient même pas beaux et la romance très peu développée, laissant place à des scènes érotiques très étranges qu'il se passait de voir, par gêne principalement. Mais c'est vrai qu'il ne se rendait pas trop compte d'à quel point les scènes dans les bandes-dessinées japonaises pouvaient être craignos parfois. Elliott surenchérit d'ailleurs et manque de faire s'étrangler son ami.

« D'ailleurs qu'est-ce qui t'a pris de vous enfermer tous les deux dans le gymnase avec Nat' ? C'était pas ta plus brillante idée.
- Qu-QUOI ?! C-C'était un accident ! C'est pas moi !
- Ah, bon... Comme tu regardes des animes un peu con je pensais que...
- Y-Y'a un truc avec les animes et les gymnases ?.. »

Nonchalant, l'ado à pics se contente de fixer le menu du jeu vidéo avec un œil neutre en se grattant l'arête du nez.

« … Laisse. »

Il ne désire pas tout de suite expliquer à son pote ce qui se trame à ce niveau, même si cela l'aurait en effet étonné qu'il ait ce genre d'idée.
Un ange passe durant lequel aucun des deux ne dit rien. Puis, le Donovan s'empare de nouveau d'une des manettes et agite l'autre pour inviter silencieusement son ami à le rejoindre. Ce dernier hésite un peu, puis accepte, plus serein en se disant qu'il va pouvoir penser à autre chose. Mais comme toujours, il perd. Et ce n'est pas faute d'avoir pris Link, cette fois, mais Elliott est imbattable avec Pikachu. Ce n'est qu'au bout de la troisième manche que l'aîné de quelques mois rompt leur moment détente.

« Qu'est-ce qu'il a de si spécial, Natsume ?
- E-Elli, on a dit qu'on arrêtait...
- Non, c'est une vraie question. »

Nul piège dans son interrogation. Ses yeux verts se posent sur lui avec une réelle curiosité. Intimidé, Samaël ne sait d'abord pas quoi lui répondre.

« Euh... J-Je sais pas trop... »

Mais en vérité, il le sait. Il l'a toujours su, au fond de lui. Sa manière de donner les bonnes réponses les peu de fois où il est interrogé à l'oral, ses cheveux hérissés dont il rêve de plonger les doigts au travers, ces yeux noisette qu'il trouve sublimes mais qui renferment une certaine réserve et de la tristesse... Et puis tout le reste, en fait. Sa générosité, sa douce voix qui sonne comme une mélodie à ses oreilles, sa manie de mordre dans son stylo quand il est concentré, sa générosité lorsqu'il défend les personnes sans défense, son intelligence qui force chez lui de l'admiration, sa tendresse quand il s'occupe des animaux... Il se rappelle encore de sa délicatesse vis-à-vis de Vanitas, le lapin du Shimomura.
Et puis quelque chose qui n'arrive que dans les histoires peu terribles, il y a deux ans. Il aura fallu une mauvaise soirée un coup pour qu'il en oublie le lendemain de préparer ses affaires afin de partir à l'école. Il s'en était rendu compte trop tard, une fois à mi-chemin. Alors il était quand même venu, sa trousse laissée par inadvertance dans sa chambre tandis qu'il l'avait sorti pour faire ses devoirs la veille. Pas de chance, ils avaient un contrôle, le matin même. Une situation critique qui avait mis l'Enodril en panique ; il ne voulait pas mettre en colère un de ses professeurs ou devenir la risée de la classe. Nouveau dans l'école, c'est pourtant Natsume qui a fait le geste de lui prêter quelques affaires pour qu'il puisse écrire et faire cet examen. Il les lui a rendu à la fin de l'heure sans pouvoir lui dire à quel point il lui était reconnaissant, même si la scène pouvait paraître tout à fait anodine et pas si dramatique que ça. Mais pour lui, ça valait beaucoup. Et il ne l'avait jamais oublié. C'est à partir de ce moment-là qu'il s'est mis à le regarder d'une autre manière. Mais jamais il ne s'était approché pour lui parler davantage.

« Il est... gentil ?.. »

Qui sait ce qui se serait passé, pourtant, s'il avait fait ce premier pas ?

Il n'aimait pas être traîné comme ça aussi tôt à la cantine. C'était bien parce que Elliott lui avait promis que ça valait le coup, mais en temps normal, il n'aimait pas être pressé. Jamais le Donovan ne lui avait indiqué de mauvais plan ou s'était fichu de lui, toutefois, alors il tendait toujours plus ou moins à lui faire confiance même si ce n'était pas foncièrement une bonne chose quand on considérait l'énergumène en question. Assis à table devant son plateau et l'aîné en face, Samaël scrutait nerveusement les alentours comme s'il devait s'attendre à quelque chose. Mais comme son ami ne lui avait donné aucun indice, il était dans le brouillard.

« Quand est-ce que tu vas te décider à me parler ?
- Tu verras, tu verras... »

L'air serein (presque trop), Elliott ne s'inquiétait pas outre mesure et se contentait de manger le bento que sa mère lui avait préparé ce matin. Heureusement, ils autorisaient les élèves à manger à la cafétéria avec des repas du dehors à condition qu'ils laissent la place prioritaire à ceux avec des plateaux quand il n'y avait plus d'autres tables disponibles. Il était là l'intérêt également d'avoir amené l'Enodril ici : avoir de l'espace et surtout du silence en attendant que les autres arrivent. Mais ce n'était bien sûr pas ce qui avait motivé le frère de Faust et Clive. De plus en plus impatient, Samaël poussa un bref soupir. Puis, tout à coup, il s'immobilisa. En suivant son regard doré, le Donovan esquissa un rictus fier et malicieux.

« Je t'avais bien dit que ça en valait la peine. »

Aussitôt, les joues de Sam devinrent aussi rouges que les tomates dans son assiette et il dévia les yeux au moment où une présence passa à quelques mètres d'eux. Serein, Elliott ne bougea pas, se contentant de suivre la scène. Natsume se plaça sur une table pas si loin, où le sportif avait la vue dégagée pour le voir puisqu'il s'était positionné face à lui. Ou plutôt, face à son propre déjeuner, mais au moins, il ne lui tournait pas le dos. Sa vision arracha au plus jeune un sourire transi mièvre qui fit glousser son camarade.

« Ton déjeuner est sur cette table, pas celle d'à côté, tu sais. »

Samaël cligna des yeux sans comprendre sur le coup, avant de sortir son visage s'embraser. De nouveau, il détourna le regard, jetant à Elliott un regard mauvais. Mais ce dernier n'en avait rien à faire. Il préférait se moquer gentiment de son ami qui ne pouvait décidément pas cacher devant lui ce qu'il ressentait pour le nerd à la tignasse volumineuse. Et pourtant, l'Enodril se fustigea d'avoir ainsi changé de vision car celle qu'il avait auparavant était quelque peu plus agréable que les pâtes carbo sur son plateau. L'air de rien, il tenta donc d'être le plus naturel possible en reportant ses prunelles sur le scientifique.

« C'est ça, que tu voulais que je vois ? »

Question rhétorique. Il le sut dès l'instant où l'autre était apparu près de leur position. Elliott resta silencieux, préférant lui offrir pour cette fois un silence qu'il comprit sans mal. Le fils d'Ikaël retourna donc à sa contemplation et apprécia chaque trait sur le visage fin du Shimomura. Au bout de plusieurs secondes, un détail attira toutefois son attention.

« Pourquoi il mange tout seul ?
- Quand Moumou ou moi ne sommes pas là, ça arrive.
- … 'Moumou' ? »

Helmut, comprit-il juste après en essayant de réfléchir aux personnes qui côtoyaient le plus le japonais.

« Je t'ai amené tôt au réfectoire parce que c'est le moment où il y a le moins de monde. Et le moment que Natsume préfère, quand il ne mange pas dehors. »

C'est là où il a le moins de bruit se dit le caucasien en pensant au casque que Natsume mettait régulièrement sur ses oreilles. Beaucoup de choses faisaient sens, maintenant qu'il y songeait. Il regretta de ne pas l'avoir découvert plus tôt, et surtout tout seul. Le connaissait-il mal, finalement ? Lui qui pensait que l'observer aussi souvent allait lui permettre de mieux savoir comment il était... Mais si Elliott en savait autant, ce n'était guère anodin, puisqu'il traînait parfois avec le Shimomura. Comme il l'enviait...

« Il se sent pas un peu seul, parfois ?.. »

Samaël s'inquiétait. Il s'inquiétait toujours, quand ça concernait Natsume.

« Tu n'as qu'à lui demander. »

Elliott perdit de son sourire taquin pour le fixer d'un air sérieux, comme s'il avait dit quelque chose d'évident.

« Puisque ça te peine autant, tu peux lui proposer de manger avec lui. »

Les joues redevenues rouges, le concerné avait bizarrement du mal à se concentrer sur son repas. Timide avec son crush, jamais bien sûr il n'oserait aller jusqu'à lui dans une telle démarche. En tortillant une mèche de cheveu autour de son doigt, il tentait de trouver une excuse pour faire reculer cette idée dans un coin de sa tête. Il rêverait d'avoir une telle audace, mais ils ne sont pas assez proches pour qu'il soit détendu à ce point avec lui.

« J'aurais pas l'air con, s'il refuse...
- Ça ne changerait pas de d'habitude. Ne va pas me faire croire que tu as déjà essayé. »

Touché.
L'autre ne répondit pas plus. Un silence s'ensuivit pendant lequel aucun des deux n'esquissa un geste. Mais l'Enodril releva son regard vers Natsume qu'il observait au loin, comme prêt à attendre de voir si quelqu'un osait l'embêter. Mais personne ne vint.

« Martin, lui, au moins, est courageux. »

Son attention se reporta immédiatement sur Elliott. Il ne s'attendait pas à entendre ça de sa part, ne voyant pas non plus à quoi il fait allusion.

« Qu'est-ce que tu veux dire ?..
- Tu n'as pas remarqué ? Lui et Helmut se rapprochent de plus en plus. »

Surpris, il fixa le Donovan sans mot dire en réalisant qu'il y avait effectivement quelque chose qui avait changé dans le comportement de son ami. Il n'avait pas su dire quoi jusqu'à présent, mais il n'avait donc pas rêvé en apercevant brièvement Martin et Helmut traîner ensemble. Quand il les voyait tous les deux, il évitait d'ailleurs de les déranger. Le blond avait l'air si heureux... Et le lunetteux aussi. Il était réellement soulagé pour son ami qu'il ait pu enfin faire avancer les choses, mais une pointe de jalousie n'avait pas pu s'empêcher de se pointer et c'est avec le cœur serré qu'il enviait également désormais le Rosenthal pour avoir été plus brave que lui. Pour le coup, Elliott n'avait pas eu besoin de lui affirmer pour qu'il le sache. Sam le pensait déjà.

« Tu pourrais être à sa place, si tu le voulais.
- La place de qui ?
- Bah celle de Martin.
- Mais j'ai pas de crush sur Helmut, moi !
- Je parle pas au sens littéral, idiot. Mais toi aussi, tu pourrais réaliser ton rêve et apprivoiser Nat'. »

Il dit ça comme si c'était si facile...
Pour le brun aux cheveux lisses, ça ne l'était pas. Pourtant, en louchant sur la table du Shimomura, il se prit à fantasmer, comme ça lui arrivait de temps à autre de le faire. Il s'imaginait là, prenant place aux côtés de l'asiatique à lui parler de tout et de rien. Il pourrait y avoir Martin et Helmut, ou Elliott, ou n'importe qui... Ou personne. Juste eux deux autour d'une table pour déjeuner et parler de tout et de rien, ou simplement rester l'un avec l'autre en profitant de leurs présences mutuelles. Il demanderait à ses parents de lui apprendre à faire la cuisine pour pouvoir préparer quelque chose à Natsume de temps en temps... Et il éloignerait tous ceux qui lui voudraient du mal. Oui, il en rêvait. Mais à ses yeux, c'était encore inaccessible. Alors il poussa un soupir.

« C'est... C'est compliqué, Elliott...
- Non. Déménager dans un pays étranger et se faire harceler par un débile, ça c'est compliqué. Lui dire et lui montrer que tu l'apprécies est simple, Sam. »

Son ton se fit tout à coup sec, son regard vert, lui, presque tranchant. L'Enodril ne prononça plus un seul mot. Il n'avait jamais rien à dire quand venait l'argument décisif d'Elliott, et puisqu'il était plus mâture sur certains sujets que lui, cela arrivait fréquemment. Au même instant, Natsume se levait de sa chaise pour sortir du réfectoire. Il avait déjà fini avant même que Sam ne commence.