youpi dansons la kalioka

« Mais pourquoi tu veux pas y aller tout seul chez ton pote… ? »

Marmonne Olaf en me jugeant depuis derrière sa petite machine à coudre. Il est en pleine dans la réparation d’un vieux costume de Julianne en vue de la convention. Je me tortille et regarde le plafond en emmêlant mes doigts avant de lui répondre. Il avait dit qu'il m'emmènerait, hier, qu'il vienne pas me mettre une veste aujourd'hui.

« Bah, euh, c’est qu’il est chez son cousin Daichi et je le connais pas bien, moi, Daichi… »

Il y a soudain un gros silence pesant dans le club. La machine à coudre s’arrête, Julianne regarde Olaf, Lionel se retourne et regarde Olaf, Zlatan qui dort du club dans un coin émet un ronflement sonore et Olaf devient tout rouge. Qu’est-ce qui lui prend, d’un coup, il est malade ? Après quelques secondes de blanc quelque peu bizarre, Julianne se met à tousser bruyamment et Olaf se lève brusquement et prend sa veste.

« Boooon, d’accord, d’accord, je t’accompagne, mais c’est bien parce que c’est toi, hein… J’ai pas que ça à faire, moi, rohlala… »
« …euh… mais… »

O-kaaay, c’était super bizarre, là, non ? Avant que je ne puisse poser la moindre question, mon cousin me jette ma veste sur les bras et me tend mon sac. Dans notre dos, Julianne glousse et recommence à faire marcher la machine.

« Aller, plus vite on y sera, plus vite Daichi et moi EUH, plus vite tu verras ton pote ! »

Hein ? Oh et puis merde j’ai pas que ça à faire que de me casser la tête à comprendre ses sautes d’humeur, hein, j’en ai déjà assez des miennes, alors ? Pendant qu’il me conduit jusqu’à son tacot, je vérifie mes SMS pour prévenir Natsume et aussi voir si Martin m’a répondu. Pas encore pour ce dernier, mais cela me refait penser que je n’ai toujours rien dit à mon meilleur pote pour moi et le Rosenthal. Il ne semble pas avoir capté comme il n’a pas demandé et je redoute beaucoup de lui avouer… et si il a l’impression que je le délaisse ? Je ne veux pas que ce soit la fin de notre amitié à cause de ça mais je ne veux pas délaisser Martin non plus ! C’est vraiment trop dur de gérer le relationnel, même avec les gens qu’on aime bien. Enfin. A force de tergiverser je ne m’étais pas rendu compte que Olaf roulait plus vite que d’habitude.

« Euh…. Tu peux éviter de griller des feux, quand même ?! »

Bon, c’était encore presque sur le orange m’enfin… quel abruti ! Normalement, il est prudent, je sais pas ce qui lui prend ! On aura l’air malin si on se fait arrêter ou qu’on à un accident ! C’est bon, je suis dans mon stress, maintenant ! Le plus âgé grogne et ralentit et je me sens soulagé. Y va me faire faire une attaque avant qu’on arrive, ce gros con. Quand on arrive devant l’immeuble dont Natsume m’a donné l’adresse, je sors rapidement suivi d’Olaf, et commence à être tendu. Je déteste arriver tout seul chez les gens que je connais pas. Je sais qu’il y aura Natsume et j’ai confiance en Natsume, j’aurais aussi pu lui demander de me retrouver en bas, mais bon, j’ai peur de déranger (eh, no comments). Bref, Olaf est ok pour m’accompagner puis repartir et… Pourquoi il est rouge et limite en sueur, là ? Dans l’ascenseur, il déambule bizarrement et il a l’air quelque peu anxieux.

« Olaf t’es très bizarre depuis tout à l’heure. »

Comme toute réponse, il grogne, une fois de plus. Je le laisse dans son délire mais il ne m’aide pas à me détendre et il me faut lui chigner dessus pour qu’il arrête de taper du pied en observant ses ongles et en jouant avec sa mèche tandis qu’on attend à la porte après que j’ai sonné. On entend quelques pas et la porte s’ouvre finalement sur Natsume. Je n’ai pas trop compris pourquoi il se retrouve che son cousin mais ce n’est pas la première fois, il me semble que c’est un peu compliqué ces temps-ci dans sa famille. Pour ma part, ça m’arrange toujours de ne pas être chez moi et pour mon alibi « je révise avec Natsume Shimomura » passe toujours très bien auprès de ma mère qui sait que mon ami est un bon élève (elle n’ira pas chercher plus loin).

« Ah, euh, bah, salut, euh… on peut entrer ? »

Quoi, je sais jamais quoi dire en arrivant chez les gens donc le mieux c’est toujours d’entrer et c’est pas malpoli, non ? Normalement, mes parents ou les gens avec qui je suis font ce boulot à ma place. Olaf n’est d’aucune aide, aujourd’hui, de toute façon.

« Tu es sûr que ça ne dérange pas... ?
- Non. »

Incertain, l'adolescent a tout de même bien du mal à ne pas gesticuler nerveusement, assis sur le canapé de son cousin alors que celui-ci, le nez encore plongé dans un bouquin de littérature comparée au titre nébuleux. Il n'a ni relevé le regard, ni le ton, quand bien même il s'agit de la sixième fois depuis une heure que le cadet lui répète cette même question avec un air surpris tout aussi identique que la première fois qu'il l'a posée.
Lorsque le frigo était devenu vide, il avait pu se débrouiller en glanant ici et là des choses dans le congélateur, ou en essayant de s'acheter des paquets de soupe avec le reste de l'argent qu'il avait, mais lorsque l'eau chaude, puis l’électricité, avaient fini par être coupées, il avait finalement consenti à venir passer quelques jours « temporairement » chez son cousin. Cousin qui, au passage, lui disait de passer depuis au moins une semaine, mais Natsume étant têtu, il avait préféré attendre le moment où il n'aurait véritablement plus le choix. Ce qui l'embêtait quelque peu en soi, puisque cela voulait dire qu'il allait devoir dire à Helmut de le rejoindre ici ; déjà qu'il avait du mal à être à l'aise en n'étant pas chez lui, alors en plus en invitant des gens... Autant dire qu'il tournait un peu en rond en caressant distraitement son lapin pour se distraire. Déjà qu'il avait un peu fait une attaque en apprenant que son ami allait ramener quelqu'un qu'il ne connaissait pas...

La sonnerie, toutefois, finit par résonner, et malgré une anxiété assez importante, il s'approcha de la porte, Vanitas toujours bien lové dans le creux de son sweat. En l'ouvrant, il ne fut pas surpris des visages qu'il croisa, mais la question de son vis-à-vis le déconcerta quelque peu, principalement car il partait du principe que c'était évident.

« Euh, oui. »

Ouvrant la porte, il n'arriva pas tout de suite à parler de nouveau, les accompagnant plutôt vers le salon avec tout le naturel d'un robot mal configuré. Il fallait toutefois bien qu'il s'explique un peu, ce qu'il consentit à faire au bout d'un petit moment, le ton nerveux.

« Désolé pour euh, enfin, aujoud'hui, c'était pas trop prévu. »

Et tout ça non plus, aurait-il pu dire si il avait l'ombre de la conscience d'une responsabilité quelconque de sa mère là-dedans, mais ce n'était pas le cas, puisqu'il était très fort en déni. Prenant la direction du salon, il veilla tout de même à garder un coup d'oeil sur le Nagel.

« On peut aller dans la chambre si tu préfères, enfin, je dois juste passer prendre mon sac et-
- ... Olaf ?

C'est que Natsume, après un « bonjour » rapide où il aurait presque détourné la tête et se serait mis à ramper contre un mur si il l'avait pu, n'avait pas pris le temps de prendre connaissance du nom de l'invité de son ami. Daichi, en revanche, semblait plus aux faits que lui, relevant temporairement le regard vers celui qu'il venait d'appeler. Curieux qu'ils se connaissent, le Shimomura lui jeta un coup d'oeil interrogation, mais il ne reçut aucune réponse, vu que l'étudiant en littérature choisit plutôt de reprendre la parole.

« Que faites-vous ici... ? Vous vous inquiétiez pour votre cousin... ? Dans tous les cas, c'est un plaisir de vous voir. Et vous aussi, jeune homme. »

Habituellement poli, mais toujours aussi peu expressif, Daichi avait esquissé une légère inclinaison de la tête pour les saluer. Embarrassé, Natsume sentit ses jambes flamber.
Mais la honte, la honte ! Il peut pas s'empêcher d'être aussi formel... !

Natsume ne s’embarrasse pas pour nous laisser entrer chez son cousin et nous accompagne vers le salon en s’excusant pour certains imprévus. S’il croit que c’est ça qui me préoccupe, en ce moment, qu’il ne se fasse pas de soucis.

« Non, non, c’est bon… »

Je suis un peu distrait en répondant, car je ne pige pas pourquoi Olaf me suit encore. Il a pas dit qu’il était préssé ou un truc comme ça, quand on est partis… ? Je veux pas avoir l’air de casser l’ambiance mais on s’incruste pas chez les gens de cette manière quand on y est pas invité !

« Qu’est-ce que tu fais..? Je croyais que tu étais préssé ! »

Glissais-je en chuchotant à mon cousin que je surprends en train de scruter l’intérieur de l’appartement comme un légiste sur une scène de crime. Il m’énerve, je comprends pas ce qu’il cherche, cet après-midi. Si j’avais su, je me serais débrouillé pour venir car il me fout la honte, là, je sais plus ou me mettre. Et, oui, je sais, c’est moi qui chouinais il n’y a pas une demi-heure car je voulais pas venir ici tout seul, je me moque un peu du monde, mais je vous jure que c’est inconfortable, pour moi. Mais de toute évidence, on est au moins deux dans ce cas-là et tandis que Natsume me donne le choix entre le salon ou la chambre, le propriétaire des lieux apparait pour nous saluer et je ne pensais pas que toute cette scène pouvait devenir encore plus embarrassante.

« Bah, comme tu veux, on peut… »

Je suis interrompu quand le cousin de Natsume prononce le nom de mon cousin… Attends, quoi, est-ce que Daichi et Olaf se connaissent… ?

« … Vous vous connaissez ? Mais pourquoi tu me l’as pas dit tout de suite au lieu de… ! »

Mais je crois que Olaf ne m’entend pas du tout. Voila qu’il s’appuie contre un mur face à l’étudiant et lui répond, toujours aussi rouge. Si vous voue mon avis, je crois qu’il a mangé un truc pas frais.

« Daichi… »

Qu’est-ce que… C’est là que j’entends l’autre « vieux » lui répondre en le vouvoyant (bon, j’imagine que c’est l’héritage des usages japonais) et en me vouvoyant aussi et… je ne comprends plus rien. Olaf n’était pas attendu, visiblement, mais ils se connaissent. J’envoie un appel au secours à mon camarade de classe qui sait aussi peu où se mettre que moi et je bafouille une réponse au plus âgé des deux Shimomura.

« Ou-oui, merci pour votre accueil ! »

Je renvoie son salut à Daichi (pour le coup, comme maman veut m’envoyer au Japon pour mes études, elle m’a appris quelques usages, pour une fois qu’un truc qu’elle m’enseigne est utile quelque part) puis reporte mon attention vers Natsume.

« Euh… on va dans la chambre, du coup ? »

Je ne veux plus avoir à faire des trucs sociaux avec les deux vieux. Je ne pensais pas que Natsume avait aussi a se trimballer un « cousin pas sortable » comme moi (… même si maintenant que j’y pense, de manière générale, c’est nous, les « cousins pas sortables). Je laisse donc le SHimomura me guider tandis qu’Olaf s’explique avec le garant des lieux.

« Eh bien, euhm, Helmut avait besoin de quelqu’un pour l’accompagner jusqu’ici et comme j’avais tant de temps à tuer aujourd’hui… »

…Je vais faire comme si je n’avais rien entendu du ton mielleux qu’il emploie et de ses explications. Oh, et puis merde, hein.

« Tu m’avais dit que tu étais pressé ! »

Olaf m’envoie un regard noir et je triomphe un peu intérieurement avant de disparaitre avec Natsume dans le couloir, laissant les deux plus âgé à leurs… courbettes… ? Je sais pas trop.

« Euh. Oui… Pressé parce que… héhé... » Ping ! « Parce qu’avec le club manga, on envisage de monter une pièce, en adaptant un classique de la littérature Japonaise, tu sais, la Princesse Kaguya ! Et on m’a dit que tu t’y connaissais en classiques alors, j’me disais qu’tu pourrais p’tet, ‘fin, si tu veux, hein, aider euh, au niveau d’la dramaturgie… ? »

Le pire, c’est qu’Olaf avait l’air très, très fier de son rattrapage, alors qu’il venait d’inventer cette excuse de toutes pièces.

Le visage rouge de honte et d'embarras, Natsume a quelque peu envie de mourir, si possible après avoir tué son cousin puisqu'il était bien incapable de ne pas faire quelque chose d'embarrassant pendant cinq minutes. Ce n'était pas la première fois que cela arrivait, et c'était bien la raison qui faisait que d'ordinaire, il évitait de présenter Daichi aux autres ; parce que si il y a quelqu'un qui était aussi pire que lui en termes de codes sociaux, c'était l'étudiant. Ainsi donc, il hocha vigoureusement de la tête devant la proposition de son camarade, pressant presque Helmut vers la porte pour qu'ils n'aient pas à rester une seconde de plus dans le salon.

« Oh, c'est aimable. »

L'adolescent ne porta pas grande attention entre les échanges qui commençaient à naître, mais il plissa tout de même les yeux ; pourquoi est-ce que le brun semblait si narquois, d'un coup... ? Boarf, il lui demanderait de tout à l'heure. Là, il voulait juste s'éloigner.

« … Pourquoi pas... ?

Un peu décontenancé, l'étudiant ne s'attendait pas vraiment à ça et fixe son interlocuteur d'une expression impassible, le même ton monotone que d'ordinaire alors qu'il fronce les sourcils pour tenter de comprendre pourquoi l'on viendrait le chercher pour ça. Il lui faut deux secondes pour faire le lien entre ses études et ce que lui propose le plus âgé. Flatté, ses yeux s'ouvre un peu et une lueur de surprise passe entre ces derniers. Ne sachant que faire sur le moment, il finit toutefois par reprendre la parole d'un air prudent.

« … C'est-à-dire que je n'ai jamais monté de pièce, mais je suppose que je peux vous aider pour le symbolisme et la traduction... ? »

Ce n'était pas grand chose, mais pour le moment, c'était tout ce qu'il avait, ne pouvant évaluer ce qui était attendu de sa part ou même ce que désirait faire Olaf et sa bande. Cela ne l'empêchait pas d'être intéressé, toutefois, tant et si bien qu'il continua la conversation (ce qui était déjà pas mal, venant de Daichi).

« Mais c'est intéressant ; ce serait quel genre d'adaptation... ? J'avoue que Kaguya n'est pas celui que je connais le plus. »

Pas qu'il n'appréciait pas l'occasion d'approfondir le sujet. En plus, même si il ne l'avouerait pas, il espérait un peu pouvoir aider à quelque chose, avec ses connaissances inutiles qui barbaient tout le monde dès la première occasion.

Il est vrai que Daichi a une réputation (à priori tout a fait fondée) de gros ringard et de petit vieux, que ce soit dans ses manières ou sa dégaine. Même si Olaf dira toujours que son hôte est parfait, il ne peut pas vraiment nier que cela le démange sérieusement de suggérer un relooking simple et sobre au Shimomura. Il se serait pas contre l’idée de l’accompagner la prochaine fois qu’il irait s’acheter des vêtements non plus, mais, ça, il faudrait qu’il trouve le courage de lui proposer. Bref.

Le Nagel-Griffin qui était soulagé d’avoir vu son cousin quitter la pièce avec le reste de ses remarques pas très malignes capables de le griller se mit un peu plus à l’aise. Enfin, aussi à l’aise qu’il pouvait l’être quand il était trop concentré sur « oh putain je suis chez Daichi je dois baratiner de ouf et la jouer cool et sympa et ah merde non je peux pas péter maintenant argh non pas sûr que Daichi me trouve toujours aussi « aimâââble » quand j’aurais lâché une grosse caisse-- » ; bref. Quelle vie. Olaf était bien content que le Shimomura lui parle de symbolisme, enfin, il ne savait foutre rien à ce sujet mais juste pour l’idée d’avoir un échange de plus de 0,5 secondes avec Daichi avant qu’il ne s’enfuie ça en valait la peine.

« On y réfléchit encore, mais on pensait à un truc hyper contemporain et un peu gothique-dark ! » En réalité il n’y avait aucun projet de la sorte et Olaf était totalement en roue libre. « Mais ouais, le symbolisme… c’est bien, ça, le symbolisme. C’est important que y’ait des éléments dans la mise en scène qui permettent aux spectateurices de comprendre que c’est bien l’histoire de Kaguya, quoi ! Genre… euh… la lune, ouais, ouais, ça m’inspire à mort, la lune. »

Ça allait commencer à se voir qu’il improvisait. Pour préserver les apparences, Olaf prit son plus bel air inspiré d’artiste torturé, en regardant dans le vague avec un doigt posé sur son front, yeux fermés en émettant des « hmmmm » pas très crédibles.

« Enfin, ce n’est pas pressé, je sais que les grands esprits comme les nôtres ont besoin de temps pour avoir un éclair de génie, parfois. »

C’est pas la modestie qui l’étoufferait, en plus d’enchainer les banalités. Enfin, c'est surtout qu'il avait envie de parler d'autre chose. Son regard passa sur le décor fort sobre de l’appartement et les bibliothèques. Ce n’est pas du tout comme ça qu’il décorerait un lieu de vie mais il devait bien admettre que cet environnement ressemblait bien à Daichi.

« Dis-donc, c’est drôlement grand chez toi, quand même… et calme ! Mon appart est situé dans la rue de la soif, moi, c’est pas vraiment calme les fins de semaine. »

Mais étant donné qu’il travaille les soirs jusque tard, ça ne le dérange pas tant.

Bien souvent, Daichi ne pige pas grand chose, mais il compense par une intense volonté de faire de son mieux, quand bien même ce n'est la plupart du temps pas suffisant. Voilà donc pourquoi même si son interlocuteur ment comme un arracheur de dents, il prend bien attention à l'écouter au mieux possible pour retenir toutes les informations et ne pas avoir l'air d'un idiot si, et il y a tout de même des chances que cela arrive, oublie cinq voir cent détails. Malgré ses efforts néanmoins, il a quelque peu du mal à suivre son interlocuteur, plissant les yeux dès lors que la conversation commence à tourner autour de la lune. Intéressé au départ (même si il comprend « gothique » par un style très littéraire et pas vraiment comme une esthétique), il manquerait de demander des précisions si son interlocuteur n'exprimait pas son besoin de réfléchir un peu avant ça. L'audace de ce dernier lui tira un air perplexe, mais il n'osa pas être trop intrusif. Croyant que l'autre voulait sincèrement parler immobilier, il répondit avec un sourire tranquille.

« Eh bien, c'est effectivement assez excentré, donc le loyer était correct pour les dimensions. En outre, ce n'est pas trop loin de mon lieu de travail. »

La petite librairie qui avait consenti à l'embaucher était assez sympathique, assez petite pour qu'il ne se sente pas perdu et juste assez grande pour qu'il puisse se cacher dans un coin pour lire un peu entre deux séances de commande. Très pépère, il était donc bien là où il était et ne se posait pas trop de questions quant à ce qu'il ferait une fois son master en poche – déjà qu'il imaginait mal mettre fin à son mémoire un jour. En pensant à ça, un détail qui avait été énoncé lui fit légèrement tiquer.

« .. La rue de la soif, ce n'est pas justement là où vous-, tu travailles, de souvenir... ? Je ne suis jamais venu, de souvenir, je ne connais pas vraiment les établissements du coin. »

Ayant remarqué le tutoiement de l'autre, il se força donc à adapter sa façon de parler. Et bien qu'il ne s'en rende pas compte lui-même, il est plus enthousiaste que d'ordinaire ; peut-être parce que cela lui fait plaisir d'arriver à communiquer avec quelqu'un sans se recevoir en échange une mine désabusée et lassée.

Daichi écoutait Olaf comme s'il disait des choses super intelligentes et il était bien difficile pour le métalleux de ne pas être distrait en se disant « haaan il est si gentil et parfait et gentil même s'il est mal sapé ». Il lui résistait à cèder pour commencer à minauder et faire « hihi » en enroulant ses cheveux longs autour de son doigts ou en jouant avec son pendentif pentagramme inversé. Mais bon, l'ambiance ne s'y prêtait pas vraiment et ce serait un peu bizarre quand ce n'est que la première fois qu'ils se parlent vraiment.

Par contre, même en étant assez peu objectif, Olaf trouvait que Daichi était totalement à côté de la plaque. Cette manière de prendre tout au premier degré le laissait un peu interloqué, sans savoir si le Shimomura était tout à fait sérieux ou si c'était sa manière de plaisanter. Dans le doute, le Griffin sourit, sans trop savoir s'il était attendri ou confus. Il y avait assurèment des deux, Daichi était mignon, à sa façon. Puis il y avait le fait que pour sa part, le métalleux ne pouvait pas s'empêcher d'être un peu touché du fait qu'on s’intéresse à lui. C'est qu'il a tendance à se faire passer après les autres là où il travail et milite.

« Oh, bah, c'est bien, c'est bien... c'est un luxe d'habituer pas loin de son taff. Tu travailles où d'ailleurs ? »

Non, non ce n'était pas du tout pour trouver une excuse de passer dans le quartier et faire des scènes façon « oh Daichi alors tu travailles dans le coin mais quelle coïncidence, alors, oh bah ohlala ! »... enfin, ce serait peut-être l'occasion de parler de théâtre avec lui, aussi, même si Olaf n'ira pas mentir en disant qu'il n'est pas un peu intéressé par autre chose dans un tel processus.

« Euh... ouais, ouais, c'est ça, bien vu. J'savais pas que tu... que tu savais, héhé. »

Il ne se rappelait pas l'avoir dit à son interlocuteur qu'il vivait et travaillait dans ce coin... est-ce que Daichi était du genre à sortir certains soirs ou à écouter les ragots, en fait ? En dehors du tutoiement surprenant et des propos du Shimomura, Olaf se disait que s'il voulait sauter sur l'occasion pour inviter l'autre à sortir, c'était le moment où jamais.

« B-b-Beeeeen, si tu veux, j'pourrais te montrer les bars sympas que je connais, un de ces quatre ? Enfin, euh, ou-ouais, voilà, quoi. Héhé. »

En venant ici il n'aurait jamais espéré avoir l'occasion de faire ce genre de proposition à son crush. Il commençait à se dire que c'était une caméra cachée et regardait nerveusement autour de lui en espérant qu'il n'était pas trop rouge et que le grand type en face de lui ne percevait pas le fait que son cœur battait à toute vitesse en anticipant sa réponse.

Daichi est du genre calme, discret ; par conséquent, parfaitement capable de se faire oublier pendant que vous discutez et qu'il est en réalité juste à côté. Et comme il avait beaucoup de mal à ne pas tout entendre autour de lui, cela lui a donné l'habitude d'apprendre, bien malgré lui et ses tentatives de rester plongé dans ses affaires, beaucoup de choses sur à peu près tout le monde. Le copain de machin qui en fait va chez machine les 2ème weekend du mois, la maman de bidule qui préfère les tulipes aux roses... Tout un tas de trucs, dont, au passage, quelques vagues informations sur son interlocuteur actuel. Malheureusement, Daichi a tendance à oublier le fait que ça peut parfois sonner comme si il était un vieux stalker un peu louche, mais vu sa dégaine et son incapacité manifeste à comprendre pourquoi les gens le regardent avec des airs méfiants, il faudra belle lurette avant qu'il finisse par saisir ce détail.

« La librairie du vieux chat, dans l'impasse juste à l'angle du salon de thé. Elle est petite, alors les gens la ratent souvent au premier coup d’œil. »

Pour ainsi dire, la plupart de la clientèle était surtout amenée par le matou éponyme du lieu, qui, non content d'être caressé et câjolé toute la journée, trouvait encore le moyen de mendier un peu de poisson ou de viande devant le bistro du coin. Une bestiole que Daichi aimait bien, d'ailleurs, et dont il avait tendance à déblatérer les mérites sous le regard circonspect de tous ceux qui avaient l'occasion de regarder plus d'une seconde cette vieille boule vaguement puante et boiteuse.

« … Je ne m'y connais pas bien en bar, mais ce serait l'occasion de voir le quartier. Il est vrai que je ne connais pas grand chose, en dehors de mon travail. »

Il hocha de la tête comme si il était en train de considérer un plan de travail. Comme il était bien parti sur sa route, et puisque remarquer que son interlocuteur était actuellement en train de se liquéfier sur place était au dessus des ses capacités, il trouva bon d'en rajouter une couche.

« Par ailleurs, j'ai du temps, ce soir. Puisque Natsume ne compte pas sortir, je crois que je peux me libérer, si ça te va. »

Pas comme si son cousin faisait autre chose que rester enfermé dans sa chambre depuis qu'il était ici, mais il y avait tout de même chez lui cette politesse et cette envie de bien faire qui le poussait à expliciter la situation, notamment pour ne pas causer de gêne. Malheureusement, c'était justement ce qui le rendait souvent aussi gênant pour les autres.

Olaf tenta de se remémorer une librairie en centre-ville qui ressemblait à celle décrite par le Shimomura. A vrai dire, comme la drag-queen aime les chats, elle se souviendrait en avoir vu un devant une librairie, surtout s’il est sociable. Le goth eut une pensée pour son propre chat noir (nommé Azazel mais qu’il appelait plus souvent « le Chat » ou « fout l’camp ») qui devait actuellement être en train de dormir et qui lui gueulera dessus de l’avoir laissé seul quand il rentrera.

« Ah, j’ai jamais du la remarquer mais si y’a un chat, j’viendrais, héhé. J’en ai un de matou, d’ailleurs, un gros tout noir avec des poils vachement longs. »

Oui, je suis une caricature.

Daichi était toujours aussi formel mais n’eut pas l’air si dérangé par la proposition de son interlocuteur. Au contraire, même, il avait dit « oui » et proposait même de sortir ce soir.

Oh, bah oui bien sûr, ce soir-- ce soir ?! Gné ? Il est sérieux ?

Probablement que le grand type à la chemise et au pull trop bien repassés ne captait absolument pas qu’Olaf avait quelque attirance pour lui et qu’il n’allait pas s’empêcher de voir un date dans une situation consistant à « sortir ce soir boire une bière ». Cela dit, le Nagel-Griffin garda la tête froide en constatant qu’il n’était pas sur la même longueur d’onde que son interlocuteur à l’égard de ses sentiments. Ils allaient déjà sortir tous les deux et Olaf en était ravi. Il espérait sans doute un peu trop de choses et idéalisait la situation, mais, c’était chouette.

« Ah, euh… b-bah, je suis libre aussi. Tu… enfin, tu penses qu’on peut laisser les deux seuls ici ? »

Hmph, Helmut est capable de faire la cuisine sans tout foutre en l’air en même temps. Bon je sais pas pour Natsume, mais dans tous les cas, c’est pas eux qui mettront un appartement sans dessus dessous ou iront sniffer de la coke en cachette. Purée, on peut pas en dire autant d’Alex.

Il espéra que ses derniers propos n’allaient pas mettre dans la tête de Daichi l’idée d’emmener avec eux les deux lycéens. Car, bon, il aime beaucoup Helmut mais niveau cockblock on fait difficilement pire. Quoique, il y a toujours pire. Helmut a au moins l’excuse de ne pas faire exprès.

« Hm, je te proposerais bien d’y aller en voiture, mais au cas où si on boit, on aurait plutôt interêt à marcher ou prendre les transports… enfin, euh, c’est pas pour te presser juste pour euh, la logistique… ? »

Le petit gros au look gothique était près à partir dès maintenant pour sa part, mais ne voulant surtout pas mettre Daichi mal à l’aise, il se sentait forcé de prendre mille précautions.