Thérapie de (pas un) couple

Elle ne pourrait pas dire qu'elle sait ce qu'elle va découvrir ; en revanche, elle a eu le temps d'imaginer, et elle ne cille donc même pas lorsque le froid se fait de plus en plus intense. Ses bras se raffermissent autour du corps qui commence à trembler contre le sien, et dont l'écoute des pleurs lui demandent tout le contrôle du monde pour ne pas laisser échapper les siens à son tour. Elle sait. Elle sait, et elle savait, mais... C'est autre chose de l'entendre. La magie de son ami lui semble bien inoffensive à côté des coups qui heurtent son abdominen avec régularité alors que le plus âgé s'exprime. Les rêves de Samaël, elle les connaissait. Elle savait qu'elle allait les briser, ce jour-là, quand bien même une part d'elle espérait qu'il pourrait passer à autre chose ; cela ne l'empêche pas, toutefois, de ravaler sa salive avec amertume en l'entendant énoncer ses regrets.
Sa magie, durant un instant, faiblit un peu ; elle ne fait plus que les protéger de la morsure du froid, à l'heure actuelle. Elle n'aurait pas essayé d'aller contre celle de son ami alors qu'elle l'encourageait à se libérer. Mais entendre tout ça la déconcentre, vrille son estomac et fait remonter une nausée das son ventre qu'elle maîtrise tant bien que mal, se mordant les lèvres face aux sanglots qui se font de plus en plus bruyants. Difficile de rester imperturbable et calme face à un pareil spectacle, bien qu'elle se dit qu'il vaut mieux qu'elle le soit. Le moment lui semble long, très long. Tout ce qu'elle entend, elle le savait déjà, au fond, mais l'apprendre n'était pas l'objectif. Alors dans le fond, elle s'e fiche, de ce qui la secoue à ce point. Tant qu'il parle, tant qu'il s'ouvre, tant qu'il relâche ce qui l'empoisonne de l'intérrieur, elle peut bien supporter toute sa bile.

Le froid, toutefois, finit lentement par se calmer. Le givre disparaît progressivement, s'efface comme une cendre dans l'air, laissant la pièce comme si elle était intouchée jusque là. Natsume ne dit rien, laissant le temps de respirer à son ami, de parler si il le souhaite ou non. Lorsqu'il arrive finalement à parler, c'est un rictus amer qui s'étire sur ses traits.

« Si tu me disais que tu ne m'en voulais pas, je ne te croirais pas. »

Ou du moins, pas tout de suite. Certainement pas maintenant. Aussi aveugle qu'elle puisse être face à certaines choses, elle avait au moins conscience de cet état de fait. Alors, dans un soupir lent, de fatigue et d'un certain soulagement, elle sent sa poitrine et ses muscles se décontracter. Elle n'avait même pas remarqué qu'elle se sentait angoissée jusque lors : il fallait croire que l'explosion de son ami était aussi nécessaire pour lui que pour elle, afin qu'elle se sente véritablement à l'aise avec lui. L'honnêteté, en somme, leur avait fait du bien à tous les deux.

« C'est fini. Je ne partirais plus. »

Se permettant une audace qu'elle espère ne pas être trop poussée, l'une de ses mains vient se perdre dans ses cheveux, qu'elle se met, très lentement, à masser comme elle l'avait l'habitude de le faire il y a certain temps déjà. Certaines habitudes ne changeaient pas.

Il n'avait pas envie de lui en vouloir. Mais comment faire autrement dans leur situation actuelle ? C'était impossible de faire comme si de rien n'était. Ce n'était pas sain. Et si c'est douloureux encore de lui énoncer toute la rancœur qu'il a accumulé pendant des années, il sent réellement la différence et a l'impression qu'un poids énorme s'enlève de ses épaules. Il avait besoin d'entendre qu'elle ne s'en irait pas. Qu'elle ne le laisserait plus derrière. Qu'il avait le droit de lui faire des reproches. Aussitôt, sa magie se calme progressivement et il se sent déjà bien moins crispé que tout à l'heure. Sa respiration reprend sa régularité tandis qu'il laisse les doigts de son amie se glisser dans ses cheveux bruns ; un contact qui, quelque part, lui avait terriblement manqué les fois où il ne se sentait pas bien. Et ces fois étaient nombreuses. Ce simple geste le ramène des années en arrière, à une époque paisible où il était heureux dans sa relation et où il pouvait imaginer librement, avec optimisme, leur vie future ensemble.
Ses pleurs s'apaisent en même temps que ses muscles qui se laissent aller aux caresses de la magicienne. En poussant un profond soupir muet, il relève lentement sa tête vers la cadette, les yeux encore rougis mais qui ne débordent plus de larmes.

« Je ne te retiendrai jamais. Mais promets-moi de ne plus disparaître comme ça. »

Ce n'était déjà pas agréable d'imaginer qu'elle aurait pu ne plus être de ce monde...

« J'étais tellement inquiet... Et j'ai eu si peur... »

Il se disait que s'il n'y avait pas de nouvelles, c'est que c'était bon signe, mais comment cela puisse être bien si elle disparaissait ainsi ? Heureusement que la Peterson avait été là pour confirmer au moins qu'elle était toujours vivante.
Piteux, son regard cherche avec peine à croiser celle de la Shimomura.

« J-Je peux demander un câlin ?.. »

Il avait l'habitude de se montrer avec un peu plus de fierté en essayant de ne pas craquer devant celle qui avait le plus besoin d'aide à l'époque, mais son surnom de 'nounours' n'est jamais venu de nulle part, après tout, surtout depuis qu'il a pris un petit peu de ventre après sa retraite de sportif. Alors il n'a pas l'air très malin, à pleurnicher comme ça.

« Promis. »

De toute façon, elle ne se sentait plus le courage de le faire. C'était bien ce qu'elle avait craint pendant des années, lorsqu'elle s'était interdit de le recontacter ou de le revoir, bien consciente, quelque part, qu'elle risquait de ne plus avoir la foi de s'éloigner définitivement si ils se parlaient même quelques instants. Ses mains continuent ses mouvements de caresses avec tranquilité, tandis que, lentement, les muscles détendus, elle sent que son propre corps s'apaise à son tour. Ce qu'il dit ne la surprend pas, mais elle est tout de même soulagée qu'il arrive à s'ouvrir plus aisément et à être plus honnête. En somme, ce type qui se trouve dans ses bras à l'heure actuelle n'est pas si différent du jeune homme qu'elle avait quitté il y a seize ans, même si l'âge et le chagrin l'avaient marqué. Quelque part, cela la surprenait et ne la surprenait pas. Même sa demande avait quelque chose de familière, lui tirant le début d'un gloussement et d'un sourire amusé.

« Viens-là. »

Avec douceur, elle vint passer ses bras autour de son ami, portant sa tête contre sa poitrine et serrant ses bras autour de sa taille dans un mélange de fermeté et de tendresse. Même si elle n'aimait pas trop tomber dans la nostagie, cela lui rappelle des souvenirs agréables, et elle constate avec une certaine surprise que le contact, même devenu peu familier, ne la brusque pas. C'est agréable et tranquilisant, si bien qu'elle laisse ses mains venir dessiner des cercles dans son dos. Peu de choses ont changé, en soi, hormis peut-être...

« … Tu es plus confortable qu'avant, tiens. »

Elle avait dit ça sans trop y réfléchir, le regard fixé sur le plafond. Mine de rien, les prises de poids, ça rendait ce genre d'étreintes un peu moins sèches. La pensée, en soi, lui tira inconsciemment un gloussement rieur et le début d'un sourire sincère.

Quand ils se sont revus après tant d'années il y a quatre jours, il avait oublié de demander la permission avant de s'approcher. Au fil de leur relation il avait repéré les signes nécessaires pour savoir si elle avait besoin de contact ou non et les paroles, au bout d'un moment, n'étaient plus utiles. Ils étaient si proches qu'ils pouvaient sentir, par magie ou non, les émotions de l'autre. Mais il ne veut plus refaire d'erreur et risquer de la froisser. Sur le moment, il s'est senti si ridicule qu'il avait préféré cette fois avoir son accord avant toute chose. Il profite toujours bien plus du câlin quand il sent que c'est consenti des deux côtés alors quand elle entoure ses bras autour de lui, il fait de même en enroulant ses bras autour de sa taille et se blottit contre sa poitrine comme il avait l'habitude de le faire il y a bien longtemps. Il avait oublié à quel point sa poitrine pouvait être volumineuse, d'ailleurs, mais il suppose que la grossesse et la naissance de Kaden n'ont rien arrangé à ce niveau. Pas qu'il se soit plaint une seule fois, cela dit, osant même se coller un peu plus et humer son odeur qui le ramène à des souvenirs doux et agréables. Ses larmes, au moins, ne coulent plus et il se permet même de sourire doucement au compliment de la cadette tandis que ses joues prennent une légère teinte de rose. Lui qui complexait un peu de se montrer avec du poids en plus devant la magicienne, ayant toujours eu un corps entraîné rigoureusement, ça le rassure quelque peu de savoir que c'est finalement un point positif. Il n'a pas arrêté complètement les exercices physiques mais il ne peut plus autant se dépenser et comme il n'est plus soumis à des sessions intensives, son ventre a eu le temps de s'arrondir un peu.

« Et toi tu l'es autant que dans mes souvenirs. Y'en a un qui a de la chance ! »

À son tour, il ne peut s'empêcher de glousser, conscient que c'est encore risque de glisser une remarque un peu beauf à leur niveau. Mais il se souvient que ça la faisait rire, quand c'était lui. C'était même parfois un jeu de drague pour la provoquer lorsqu'il était d'humeur taquine. Doucement, il se redresse pour la regarder. Ses yeux reprennent peu à peu une couleur normale et il esquisse un sourire tendre résultant de la sérénité qui l'entoure à présent.

« Merci, Nat'. »

Il se sent mieux. Il peut le sentir jusqu'au fond de lui, cet espèce d'aura apaisante qui a pris possession de sa poitrine pour combler un peu le trou qui le faisait souffrir.

« J'espère que... que ça ira quand même mieux avec Kaden. Je ne veux pas qu'il y ait de conflit à cause de moi, et... »

Il n'avait pas vraiment envie d'aborder de nouveau un thème sérieux mais la colère qu'il a ressenti chez l'adolescent résonne tout à coup en lui quand il se sent plus tranquille et qu'il se rappelle les paroles que Natsume lui avait dit quelques minutes plus tôt.

« Moi aussi, je veux le protéger de Namiko. »

Il n'a jamais rencontré la grand-mère paternelle de Natsume en personne, mais ce qu'elle lui disait d'elle était bien suffisant pour qu'il se rend compte un peu de la manipulation qu'elle lui a fait subir, et encore aujourd'hui elle lui avait révélé que leur séparation avait été causée par une menace de la vieille femme qui n'a finalement jamais laissé le choix à sa petite-fille.

Un gloussement narquois s'échappe de sa gorge devant sa plaisanterie. Celle-là, elle s'y serait presque attendue. C'était bien car c'était lui qu'elle ne le fixait pas d'un air blasé, dans les faits, même si elle se retint de dire que Kaden avait plus tendance à se plaindre qu'autre chose quand il était enfant, à force d'être étouffé. Enfin, maintenant qu'il la dépassait d'une quinzaine de centimètres, c'était autre chose, mais... Roulant des yeux pour la forme, elle tapota un peu le sommet de son crâne dans un aux rabrouement qui n'aurait trompé personne. En croisant son regard et en entendant ses remerciements, néanmoins, son visage s'adoucit quelque peu. Ne voyant pas vraiment ce qu'elle aurait pu ajouter, elle se contenta de hocher négativement de la tête, comme pour dire que c'était nécessaire.

Son regard se voile quelque peu quand l'autre suppose un conflit causé par sa présence. Lorsqu'il aborde à nouveau le sujet de Namiko, elle retient une grimace. Il lui faut quelques secondes pour répondre, mais sa main vient passer de ses cheveux à son visage, qu'elle caresse distraitement, le regard distant.

« Le souci ne vient pas de toi, entre moi et Kaden. C'est un prétexte pour... D'autres choses. »

D'autres choses de sa responsabilité, encore une fois, qu'elle doit gérer seule. La magicienne ne veut toutefois pas qu'il se mette de pression ou s'imagine des responsabilités qui ne sont pas les siennes, vu sa tendance déjà conséquente de le faire. Ou de se mettre trop sur le plateau d'un coup, d'ailleurs.

« Mais une chose à la fois. »

Aujourd'hui était déjà un pas en avant, en un sens. Un long et laborieux pas qui les a tous les deux laissé fatigués mais soulagés. Il leur faudra, avant de songer à quoi que ce soit d'autre, prendre le temps de se reposer. Inconsciemment, pourtant, Natsume se surprend à ne pas ressentir la même inquiétude paralysante que d'ordinaire en y réfléchissant. Si elle le regardait en face, elle admettrait même la présence d'une petite étincelle de courage au fond de sa poitrine, qui, doucement, se met à bourgeonner.

Il est juste inquiet que son retour puisse affecter la relation entre Kaden et Natsume même s'il ignore tout de leurs échanges habituels. La concernée le rassure toutefois là-dessus, même s'il aimerait bien être plus utile que ça auprès d'eux. Mais il s'agit encore d'un étranger pour cette demeure, après tout, alors il hésite parfois quant au comportement à adopter. Il profite néanmoins de la paume chaude qui passe sur sa joue, encore un peu étonné de voir à quel point certaines habitudes ont vite repris quand il sait pourtant que la Shimomura n'est pas la plus démonstrative de ce côté-là, même si leur complicité d'antan avait permis à Sam de franchir ses barrières les plus solides. Doucement, il se permet de poser sa main sur celle qui caresse son visage, l'air bien plus serein que tout à l'heure.

« Tu m'as manqué. »

Il ne se rappelle plus l'avoir déjà dit ou non, mais les répétitions ont toujours été son fort. Il ne lui a pas dit qu'il l'aimait rien qu'une fois, d'ailleurs, quand ils étaient en couple. Dans un désir de rassurer l'autre ou non, il prenait toujours le temps de lui glisser des mots doux à son oreille.

« Est-ce que tu veux que j'aille le voir, ou... ? »

Il jette un œil vers la porte comme s'il s'attendait presque à ce que l'adolescent revienne pour s'expliquer avec sa mère, mais peut-être que ça l'arrange de lui envoyer l'autre adulte. Il se propose dans tous les cas pour faire l'intermédiaire même s'il n'est pas encore très proche de l'adolescent. Mais il pense sincèrement ce qu'il dit : entendre de nouveau le rire et voir le sourire de celle qui fut son grand amour ont quelque chose de plaisant même après tout ce temps et dans leur situation actuelle. Fut un temps, c'était une de ses raisons de vivre, après tout.

Ses joues s'échauffent quelque peu devant les paroles d'affection qui lui sont réservées. Ne sachant plus comment répondre face à ce genre d'expressions après des années de « rien », elle est brièvement déconcertée, clignant bêtement des yeux alors que son visage se fait rose. Si la question qui suit a au moins le bénéfice de la secouer un peu, c'est le regard baissé que, timidement, sa voix résonne à son tour. Ses doigts, instinctivement et machinalement, tapent sur sa cuisse comme pour combler sa nervosité grandissante.

« Tu... Tu m'as manqué aussi. »

L'aveu passe sa gorge avec une certaine difficulté. Non car elle ne le pensait pas, mais car il  y avait toujours cette voix dans sa tête qui la rendait honteuse de penser ou d'exprimer ce genre de choses, comme si elle était égoïste et n'en avait pas le droit. C'est sincère, toutefois, et une petite partie de sa poitrine se réchauffe doucement, assez pour qu'elle passe au delà de cette forme d'incertitude. Elle n'en oublie toutefois pas ce qu'il a demandé il y a quelques instants, hochant négativement de la tête avant de reprendre la parole d'une voix plus calme.

« C'est entre lui et moi, tu n'as pas à servir de pigeon voyageur. Toi, tu dois déjà te reposer. Si tu veux l'aider lui, du moins. »

Elle ne serait pas contre le fait que son ami veuille aider Kaden ; il y a en revanche certains soucis qu'il ne peut pas régler à sa place, quand bien même il le désirerait. Ce ne serait pas sain, et ce n'est pas quelque chose qu'elle désire. Et de toute façon, même si elle ne le dit pas, il y avait peu de chances que Kaden apprécie un pareil comportement.
Un fait, toutefois, persistait. Quand elle y  pense, cela fait un moment qu'elle aurait dû le dire, mais elle ne s'était jusque là pas autorisée à le faire, comme si la tension sous-jacente entre eux à cause de la rancune de son ami et des non-dits la bloquait. Maintenant, elle arrive à esquisser un léger sourire timide pour parler et dire la vérité.

« Mais je... Suis heureuse de te voir. »

Un fait qui, malgré des années de refoulement, n'avait pas pu être altéré.