Doubtful Omens

Jamais quelqu'un n'avait aussi bien porté le nom de « ange » à ses yeux. Grâce et délicatesse étaient ses définitions parfaites. Mais il réservait une opinion des plus subjectives qui en faisaient soupirer plus d'un de blasitude. Enfin... Les quelques rares qui savaient la vérité.

« Samaël. »

Le concerné ne se retourna que brièvement. S'il avait reconnu la voix, son réflexe a été de poser son regard sur celui qui en était l'émetteur. Mais il ne lui accorda que peu d'attention et se remit à son activité comme si de rien n'était.

« Sam...
- Chut ! J'entends pas ce qu'il dit.
- Rien qui ne te concerne. Il parle encore à ses plantes. »

Le brun aux cheveux lisse leva les yeux au ciel. Peu importe qu'il parle à ses plantes !

« Je veux juste écouter sa voix... »

« Voix » disaient certains. « Mélodie », pensait-il, en tendant l'oreille pour écouter des bribes, juste quelques mots prononcés avec ce timbre suave qu'il aimait tant et l'adoucissait sur le coup, oubliant la présence de son comparse.

« Regarde-le, Elliott. Son aura est si douce... »

Il poussa un soupir d'admiration tandis que ses ailes s'agitèrent très légèrement, comme si elles frissonnaient de plaisir face à la contemplation de leur propriétaire. Caché derrière des arbres au feuillage épais, il en avait écarté juste assez pour apercevoir de loin le gardien du jardin sacré. Un manège qu'il répétait de plus en plus régulièrement, prenant garde à ne pas se faire surprendre par l'objet de ses pensées. L'archange majeur, en revanche, le prenait toujours en flagrant délit. Mais Samaël s'en moquait bien. Il avait toujours été cet être un peu insolent qui atteignait les limites sans vraiment les franchir pour faire tourner le monde céleste en bourrique. Aujourd'hui encore, il était au bord d'un interdit fragile qui pourrait lui coûter des problèmes. Mais à partir du moment où ses prunelles dorées se posaient sur l'archange mineur, c'était comme si plus rien autour d'eux n'existait.

« Oublie-le, Sam. »

Les mots de Elliott étaient durs, et ça ne lui faisait pas plaisir de lui demander ça, mais ils étaient justes, selon les règles des cieux qu'ils ne connaissaient que trop bien tous deux. Il disait ça parce qu'il s'inquiétait pour lui avant tout ; mais il faudrait ne pas connaître Samaël pour croire qu'il est obéissant. Cela ne lui avait pas apporté que des bénéfices, mais tous les anges ne pouvaient pas être dociles. Le cœur a ses raison que la raison ignore et jamais il n'avait pu autant l'expérimenter qu'aujourd'hui. Il se sentait attiré par le protecteur d'Eden, quand bien même il n'avait pas la plus célèbre des réputations. Il était connu pour être plutôt timide, ne se montrant que rarement et parlant peu aux autres êtres célestes. Elliott était l'un des seuls à qui il se confiait, d'après les dires du concerné qui appréciait beaucoup l'archange mineur, fasciné en plus par son travail et le jardin magnifique qu'il entretenait avec soin depuis des lustres.

« Je ne fais rien de mal. »

Innocemment, il continuait de se défendre en écoutant d'une oreille distraite les quelques réprimandes de son ami sans vraiment bien sûr y faire attention. Il répétait toujours la même rengaine, de toute façon. Ce qu'il était pénible, quand il faisait son Faust... Sam admirait également beaucoup le brun à pics aux yeux bleus, mais son obsession avec les règles pouvait être étouffante. Samaël a toujours été un électron libre qui n'avait jamais peur de se faire disputer. Il pensait que le prix à payer était bien moindre comparé à ce qu'il s'autorisait à faire au final. Elliott était pourtant de plus en plus inquiet pour son comparse aux yeux dorés qui n'en faisait qu'à sa tête, encore davantage ces temps-ci depuis qu'il sentait son cœur battre chaudement en sentant le halo s'étendre autour de lui comme un champ brumeux qui se propage de part et d'autre du jardin.

« Tu sais bien qu'on a pas le droit. Les règles-...
- Les règles sont stupides. »

Interdit, Elliott émit un hoquet de stupeur, choqué par ses propos.

« Samaël ! »

Ses ailes couleur noisette aux reflets verts se tendent sous le coup d'un début de colère. Les plumes aurore de son comparse se plaquent sur sa bouche pour lui intimer de se taire. Craignant de se faire repérer, Sam finit par l'emmener un peu plus loin.

« Qu'est-ce qui te prend ?! Les lois célestent sont suivies depuis toujours !
- Et c'était une erreur de notre part d'en inventer.
- Sam ! Tu ne te rends pas compte de ce que tu dis ! Elles ont été faites pour éviter le chaos. Sans elles, il n'y aurait plus d'équilibre !
- Mais je ne veux pas d'équilibre. Je veux être libre ! Les humains le sont, eux !
- Ne nous compare pas aux humains. Ils restent mortels et plus faibles. C'est ce que tu voudrais, toi aussi ? Tu serais prêt à abandonner l'immortalité pour... pour... »

Elliott eut du mal à terminer. Son regard s'était tourné vers Natsume qu'il observait de loin, mais sa conclusion mourut, comme s'il n'était plus vraiment sûr de croire en ses propos. Comme tout à chacun, même s'il s'agissait d'un des archanges les plus importants, ça ne l'empêchait pas de se poser des questions. Mais jamais il ne pourrait remettre en cause les propos de Mère. Ce serait un véritable blasphème.
Le brun aux cheveux lisses poussa un soupir. Ses ailes s'abaissèrent et se mirent à traîner au sol tandis qu'il se retourna vers le centre de son attention, encore occupé à vérifier que ses fleurs éclosent convenablement. Croisant ses bras contre une branche, il reposa sa tête par-dessus, le regard morne porté vers cet archange mineur qui était pourtant le plus lumineux être qui soit à ses yeux. Mais s'il osait s'exclamer ainsi, il aurait le droit à une sévère punition, et il ne serait pas le seul.

« À quoi ça sert, d'avoir une vie infinie, si on ne peut pas faire ce qu'on veut ?.. »

Elliott ne put s'empêcher de se mordre la lèvre inférieure et de regarder à côté, ne sachant que dire. Il était peiné pour son ami mais n'avait malheureusement pas le pouvoir d'exaucer ses souhaits, quand bien même il possédait une autorité déjà conséquente. Il y aurait toujours des choses qui le dépassaient. Mais cela n'avait jamais été un problème pour lui auparavant. Empathique, il ressentait pourtant un voile de tristesse l'atteindre, émanant de son camarade. Doucement, il s'approcha de lui pour poser sur son épaule une main réconfortante dans un geste bienveillant. Ses prunelles émeraude scrutait le jardin parfaitement entretenu. Aah... Oui, il était beau. Mais ça n'allait pas suffire à cacher la sombre histoire du royaume des nuages qui, bientôt, allait se diviser.