kaden fait des betises

Silence. Un, deux. Pause. Troisième pas, pause, un pas en avant. Glissant comme une ombre comme le mur, mes mains s'accrochent ensuite à la barre d'acier du haut. On passe par dessus la grille, on jette un leurre, on attend quelques secondes, et...
Tombant comme un chat, je relève un coup d'oeil vers l'arrière, où les quelques pièges que j'ai désamorcé et évité sont tombés comme des mouches. Un léger bruit de pas, que je reconnais, me fait froncer les sourcils quand je tourne mon regard vers sa source.

« Red... ? T'as déjà... ? »

Mon Goupilou hoche négativement de la tête, l'air vaguement agacé par ma question. En même temps, j'ai dû la lui poser deux fois de suite. Mais bon, comprenez, d'ordinaire, quand on s'infiltre quelque part, il faut un moment avant qu'on se retrouve : la désactivation des alarmes et des pièges est normalement un long processus. Et là, eh bien... C'est très, très simple. Bien sûr, il y a bien quelques bidules sur le chemin, mais rien de très compliqué pour quelqu'un de mon talent. Prft... C'est même pas drôle. Roulant des yeux, je ne peux pas m'empêcher d'esquisser une moue prétentieuse. J'aurais au moins aimé ne pas m'ennuyer comme un rat mort, mais j'ai l'impression d'avoir affaire à un niveau digne d'une maternelle.

« Mais c'est pas possible, d'être aussi nul... »

Quand même. Quand Windberg m'avait refilé l'info, j'avais déjà tiqué un peu, mais... Bon. Je ne suis pas du genre à laisser passer une occasion quand elle me présente, surtout quand elle est aussi aisée à saisir. Je n'en ai évidemment pas parlé à mon père ; si il apprenait que j'allais cambrioler un centre de stockage après l'histoire du labo... Je suis presque sûr que j'aurais le droit à la prison Bouldeneu pendant une ou deux journées. Mais pour le coup, tant pis. Il aura beau m'arracher les oreilles, je n'aime pas trop sa respiration de plus en plus sifflante depuis quelques jours ; je me doute qu'il force, et j'ai besoin de trouver ces médicaments. Mais mine de rien, c'est très, très dur à trouver, les médicaments, alors quand j'ai entendu parler de cargaisons, eh bien... Bon. Me voilà, quoi, à braver le couvre-feu parce que, quand même, je sais mieux que l'autre vieux qui croit qu'il peut m'empêcher de faire quelque chose quand j'en ai envie. Même pas.
Et si j'étais honnête, j'avouerais que le truc de hier, dans les tunnels, me reste encore au travers de la gorge. J'ai eu beau le seriner, papa a refusé de m'expliquer quoi que ce soit, et... J'en sais rien. Je l'avais jamais vraiment vu comme ça. Mais je ne suis certainement pas perturbé, faudrait pas déconner.

M'enfin bon. Jetant un coup d'oeil dédaigneux sur le côté, je reporte mon regard sur les étagères que j'ai finalement atteint. Facile, en fait, tant et si bien que je ne peux pas m'empêcher d'esquisser un rictus satisfait sur mon visage alors que je prends distraitement ce que je cherchais, l'observant sous toutes ses coutures. Héhé. Quand je le dis, qu'ils sont tous nuls... Un peu déçu malgré tout, je porte ma main à l'un de mes écouteurs. Cela fait un moment déjà que je n'ai pas entendu mon Apireine, mais quand ma sentinelle est discrète, c'est généralement bon signe.

« … Magda ? Magda, reviens, on a fini. Même pas besoin d'aller plus loin, ils- »

Un bourdonnement frénétique me fait me crisper soudainement. Quelque chose l'a perturbée. Au fur et à mesure que les secondes passent, je peux l'entendre qui zigzague entre les ventilations, écarquillant les yeux lorsque je finis même par sentir le son se rapprocher au fur et à mesure que les secondes passent. Esquissant un pas sur le côté, je sursaute brusquement quand l'Apireine surgit brusquement d'un conduit, envoyant voler la grille plus loin à toute vitesse.

« … Magda ?! »

L'arrivée soudaine de l'insecte m'a pris de court en même temps qu'elle a mis sous tension tous mes nerfs. Elle bourdonne au dessus de moi de manière rapide et pressante, comme elle le fait quand la situation est difficile. Les muscles crispés et tendus, je n'en oublie pas mes bons réflexes. Ce ne serait pas la première fois que je me sors d'une mésaventure, et je reprends donc bien vite mes bons réflexes en me tournant vers mon Goupilou pour l'urger de reprendre sa position sur mon épaule. Me tournant vers lui, mon ton trahit toutefois mon empressement.

« Red, on décarre, ça pue. »

Mais le renardeau ne m'écoute pas. Au lieu de ça, il grogne, bruyamment et avec insistance, le dos arqué dans la direction dont nous sommes pourtant arrivés. Quelque chose le dérange. Instinctivement, je me mets sur mes gardes.

« … Red ? »

Ma main se porte à l'arme garnie de poisons et autres joyeusetés à ma ceinture, alors que je mime l'ignorance, jetant un coup d'oeil dans la pièce pour voir par où m'échapper au plus vite. Mon Goupilou, toutefois, refuse de bouger.

« Monsieur, il est là. »

La silhouette de l'adolescent passe sur les écrans de surveillance. Les yeux rivés sur ce qui s'y passe, la brune se tourne vers l'autre personne dans la pièce, un adulte plus âgé. Ce dernier esquisse un sourire derrière son masque et vient féliciter sa gardienne.

« Bien joué, Maëlle. Nous le tenons enfin. »

Je lève mon propre regard doré sur Kaden qui déjoue nos pièges avec une facilité déconcertante. Je pousse un soupir d'admiration et de fierté. Il a bien grandi. Malgré les interdictions de son père, il brave n'importe quel danger si ça peut lui venir en aide. Je n'aurais bien sûr pas laisser Natsume sans ce précieux médicament longtemps, mais si je pouvais m'en servir pour amener le garçon à moi, c'était une occasion que je ne pouvais pas rater. Il n'aurait pas été si difficile que je me ramène directement sur son territoire, mais je voulais le voir seul à seul. Je me doute que son paternel n'aurait pas aimé me croiser, quand bien même il me manque pourtant terriblement, de mon côté. Tous les deux, d'ailleurs. Je n'ai jamais eu la chance de pouvoir serrer mon fils dans mes bras et de le voir grandir. Il est temps de réparer cette injustice et de me faire une place dans sa vie. Alors j'ai dû l'appâter afin de le faire venir jusqu'à moi, à défaut d'aller le chercher. C'était une solution plus simple.
Saluant mon éclaireuse, je m'en vais donc en direction de l'adolescent pour faire cette rencontre que j'ai tant attendu. Smaug sur les talons, je marche d'un pas tranquille comme si je faisais une promenade de santé. Je me débarrasse en chemin de son Apireine avec une facilité déconcertante que mon Dracaufeu fait valser d'un coup de queue jusqu'à son dresseur.

« Tu es plutôt malin, pour ton âge. Je savais que tu déjouerais ces pièges facilement. »

Je sors enfin de l'ombre pour m'opposer au châtain et à ses Pokémon. Un Goupilou me fait face en me grognant dessus, mais je daigne même pas le regarder. Mes iris s'attardent sur l'adolescent et brillent d'une lueur impatiente. J'émets un gloussement guttural, mon sourire s'élargissant légèrement.

« Bienvenue dans une de nos bases, Kaden. Je t'attendais. »

Smaug souffle des narines devant les deux autres Pokémon, nullement impressionné, mais doit se calmer quand je lui intime de ne pas se montrer plus menaçant que nécessaire. Je ne voudrais pas blesser davantage les Pokémon de mon propre fils.

Je n'aime pas ça. Red n'est jamais aussi agité, d'habitude, et je sens que Magda est déconcentrée. Mon esprit s'est déjà remis dans l'état nécessaire pour élaborer au plus vite un plan de fuite, car je crois deviner qu'il va falloir que je me dépêche. Grmph. Fais chier. C'était supposé être facile, mais force est de croire que je me suis trompé ; mais là encore, je ne perds absolument pas confiance en moi et reste persuadé que je vais m'en tirer sans soucis. C'est ce que je fais à chaque fois, de toute façon.
Ma main sur mon arme, je me tends lorsqu'une voix inconnue résonne à mes oreilles et qu'un type masqué s'avance. Il ne m'inspire pas bien confiance, et le Dracaufeu visiblement de mauvaise humeur à ses côtés non plus. Tendu mais pas immobilisé par la peur (j'ai vu ma dose d'adultes me menaçant, voyez-vous), mon regard se fait perçant alors que je continue de jeter des coups d'oeil autour de nous afin de mettre au point un plan de fuite le plus rapidement possible. Red, de son côté, est remonté sur mes épaules en vitesse, l'air toujours aussi mauvais, tandis que mon Apireine, mal en point mais pas encore inconsciente, bourdonne agressivement à mes côtés. Je pourrais bien appeler un autre de mes compagnons, mais entre mon Oratoria et ma Bruyverne... L'espace est trop restreint. Ou du moins, pas sans une autre méthode en tête. Merde. C'est... C'est pas bon.

En l'écoutant parler, je fronce les sourcils, de plus en plus perplexe, mais j'arrive assez vite à comprendre que ce 'coup' était visiblement un guet-appends, ce qui me laisse un goût assez rance dans le coin de la gorge. Ce qui m'interpelle le plus est le fait qu'il utilise mon prénom, à vrai dire, et me fait me tendre davantage. Oh, génial, le comité d'accueil est personnalisé. Par-fait. Manquait plus que ça.

« … Ravi du comité, mais j'aurais préféré du thé. »

Le sarcasme est sorti tout seul. En même temps, il est quasiment automatique, chez moi ; c'est plus ou moins comme ça que j'ai été élevé, à ne prendre rien ni personne au sérieux. Et sûrement pas un péquenaud qui veut se la jouer intimidant.

« Si c'est pour le truc de l'autre fois, c'est trop tard. Et à vrai dire, j'ai un emploi du temps chargé, alors... »

Je ne suis clairement pas à l'aise, mais hors de question de l'avouer, et surtout, hors de question d'attendre pour jouer à faire la discussion. En revanche, je ne suis pas assez bête pour ne pas me douter que si c'est un piège, l'endroit doit déjà être quadrillé. Peu importe. Je finirais bien par trouver.

Je reconnais dans son sarcasme un ton qu'il a hérité de Natsume, sans aucun doute. C'était exactement le même genre. Dans ses traits, j'aperçois d'ailleurs une ressemblance évidente entre lui et ses deux géniteurs. Il possède certes le visage de l'autre, mais ce regard et ces expressions... Elles viennent de moi. Je suis heureux de pouvoir enfin le voir en personne. Je n'ai pas eu ce loisir auparavant, le laissant d'abord à Axel même si leur altercation ne s'est pas exactement passée comme prévu. Au moins, nos enfants ont eu un avant-goût de ce qu'ils ont dans le ventre, chacun de son côté. Mais je ne compte pas laisser partir Kaden aussi facilement, même s'il en a envie.

« Allons, allons... Tu ne vas pas déjà nous quitter, tout de même, tu viens juste d'arriver. »

Mes propos sont appuyés par l'apparition de ma Ptéra de l'autre côté qui grogne déjà. Je m'avance contre le mur où une porte apparaît à la suite d'un mécanisme, avant de l'ouvrir pour laisser place à une sorte de salon richement décoré et confortable.

« Puisque tu insistes pour du thé, je peux t'en préparer avant que tu ne repartes d'où tu viens. »

Je ne lui laisse pas vraiment le choix sur le moment. Ma venue l'a sûrement pris de court et il semble ne pas être tout à fait dans son élément, à l'heure actuelle. Hé... Il est vrai que c'est lui qui arrive à surprendre, d'habitude. Mais ça, c'est parce qu'il ne s'était pas encore confronté au Maître dont il tient les gênes.

… Et il se fout de ma tronche, en plus, l'autre. Oh, ça m'énerve déjà. Si je suis étonné de le voir ouvrir la porte jusqu'à un salon juste à côté, cela me fait plus lever les yeux au ciel qu'autre chose. Mais bien sûr. J'en grognerais presque.
Quitte à ce qu'on expédie ça, j'aurais aimé qu'on aille droit au but et que ça soit rapide, pas d'avoir droit à tout le cinéma de menace qui prend la forme d'une Ptéra à l'air plutôt patibulaire. De plus en plus, j'envisage de libérer d'autres de mes pokémon pour m'en tirer le plus rapidement possible, mais pour le moment, ce n'est pas vraiment dans mon intérêt. Ou du moins, ça ne m'avancerait pas plus que ça. Plus pratique de savoir ce que me veut exactement ce gugusse avant de sortir les armes, même si ça me démange. Je déteste ne pas contrôler la situation, et encore plus ne pas avoir de plan en arrière-pensée. Bon, remarquez, j'ai bien mes bombes de gaz, mais... C'est sale, c'est rustre : c'est pas mon style.

« … Vous voulez quoi ? »

Mon regard est aussi froid que mon ton. Je ne m'avance pas vers la zone qu'il a débloqué, par simple esprit de contradiction et parce que je n'aime pas trop que l'on se moque de ma tronche – quand bien même j'adore le faire subir aux autres. Je ne sais pas trop ce qu'il veut, et ça m'agace. Pour autant, du peu que j'arrive à saisir, je ne suis pas là pour rien.

« Ne t'en fais pas, aucun mal ne te sera fait, ici. »

J'intime à Scatha et Smaug de reculer un peu. J'avance ensuite dans la pièce que j'ai ouverte dans le mur, parlant toujours d'une voix sereine.

« Tu as faim ? »

Je m'approche d'une table roulante sur laquelle est disposée une cloche que j'ouvre pour laisser voir quelques gâteaux faits maison par mon cher cuisinier personnel. Je sens qu'il est méfiant, et je peux je peux le comprendre. Ma réputation a peut-être atteint ses oreilles et il faut dire que je ne fais pas bonne figure, avec mes deux dragons. Alors ils restent en retrait pendant que, de mon côté, j'enlève mon masque pour dévoiler mon regard.

« Je souhaitais juste m'entretenir avec toi. En savoir un peu plus sur ta vie, sur comment tu vas... Ce genre de choses. »

Je lui montre un fauteuil moelleux dans lequel il peut s'installer s'il le désire, alors que je prends place moi-même dans celui d'en face, un sourire tranquille aux lèvres.

Plus il parle, et plus j'ai l'impression de voir et d'entendre un sketch. Les sourcils froncés, je l'observe faire son petit numéro et n'affiche rien d'autre qu'une indifférence froide. Non, mais sérieusement, il s'entend ? « Viens par là mon petit, on a des gâteaux » ? J'ai l'air d'être aussi stupide (ne répondez pas à cette question) ? Je ne prends même pas la peine de refuser oralement alors que l'autre s'installe tranquillement avant de se dévoiler. Je ne le fixe pas plus de quelques secondes ; sa tête ne me dit rien du tout, alors ça n'a plus d'intérêt que ça à mes yeux. Sa... Curiosité, en revanche, me perturbe un peu. Comprenez, si un type que vous ne connaissiez ni d'Arceus ni de Mew se mettait à vous demander de raconter votre vie du jour au lendemain, vous auriez légitimement des méfiances. Ou envie d'appeler la police, mais j'aime pas les porcs.

« On m'a toujours dit de ne pas parler aux inconnus. »

Mon regard ne dévie pas et, pendant une seconde, j'en oublie le poids qui s'est délaissé de mon épaule, pour se...

« … Red ! »

Grommelant, j'aboie presque mon rappel à l'ordre alors que le renardeau s'est avancé pour saisir un gâteau et le grignoter à sa guise, la bouche pleine de crème à glaçage alors qu'il me fixe d'un air absolument pas dérangé. Me rapprochant pour venir saisir le Goupilou, je le saisis assez fermement dans un de mes bras. Bon sang, mais je fais pas l'inflexible pour que ça soit ruiné par cette espèce de... !
Relevant mon regard, mon expression reste neutre. Je ne suis pas à l'aise, et clairement, j'ai l'impression qu'il y a quelque chose que je ne saisis pas là-dedans, ce qui ne fait que m'agacer davantage.

« Une raison particulière à ce soudain besoin de connaître mon groupe sanguin ? »

Je ne suis pas né de la dernière pluie, tout de même. Mais j'ignore encore si il s'agit de quelque chose que j'ai provoqué, ou d'une vieille affaire de papa dont j'ignore probablement des détails. Il faut dire qu'en ce moment, entre le coup du tunnel et l'autre type de la dernière fois, j'ai mes raisons d'être méfiant.

« Aux inconnus ? »

Je lève un sourcil, perplexe et vexé que mon lapinou préféré ne lui ait pas parlé de moi. Mais je m'en doutais. Ou du moins, cela ne m'étonne pas de lui. Tss... Cela ne sert à rien de cacher la vérité à Kaden. À mon sens, il a le droit de savoir.

« Alors ton père ne t'a rien dit ?.. Le sale farceur... »

J'esquisse un rictus amer avant de ricaner brièvement lorsque son Goupilou s'empiffre d'un gâteau alors que son dresseur se montre encore réticent. Je ne me montre pourtant pas hostile le moins du monde et attends qu'il daigne se montrer suffisamment curieux pour venir de lui-même. J'ai peut-être cependant un peu trop d'espoir pour aujourd'hui.

« Je suppose que Natsume ne sait pas que tu es ici ?.. »

J'en suis persuadé, ou du moins, je le suppose. Et c'est assez intéressant de savoir qu'il y a des choses qui ne se disent pas, entre ces deux-là.

… Et plus, il évite soigneusement mes questions, le... Grmbl. Je déteste qu'on me fasse mariner. Papa le fait déjà assez pour qu'un random ne se mette pas à l'imiter. Les sourcils froncés, je sens de plus en plus qu'il y a quelque chose qui m'échappe, mais c'était déjà évident face à tout le cinéma qu'a dû déployer mon interlocuteur pour me tendre un piège. Pas besoin d'être un génie pour le comprendre. Mais ses commentaires, toutefois, font croître le malaise dans ma poitrine alors que je réalise qu'il est très, très possible que papa m'ait caché quelque chose, quoi que ce puisse être. Voilà pourquoi lorsqu'il l'évoque, je me tends de manière imperceptible.
... Qu'est-ce que papa ne m'a pas dit ? Et c'est qui, ce type, par rapport à lui... ?

Je me garde de poser ma question directement, toutefois, même si elle me brûle les lèvres. Je n'ai pas l'envie de paraître trop curieux non plus, dans un réflexe défensif à peu près signe d'intelligence. Surtout que sa dernière interrogation a visé juste, et inconsciemment, mes épaules se tendent.

« ... Et qu'est-ce que ça importerait ? Vous voulez lui faire un mot dans mon carnet ? »

J'ai bien conscience que je ne suis pas avantagé, actuellement, et que cela me met dans une situation compliquée. Pour autant, je crois pouvoir dire ce que ce type n'est pas l'allié de mon père : je connais assez sa répugnance pour la compétition, elixir, les autres anarchistes, et... Et beaucoup de choses. Mais il a toujours été plus virulent avec les premiers.
... Est-ce que ça aurait un rapport ?
Je n'en sais trop rien. Mais ça me démange.

« … D'où vous connaissez mon père, d'ailleurs ? Et comment ça, il ne m'a rien dit... ? »

Je ne devrais pas probablement montrer que je suis interrogé de cette façon ; je montre mes cartes trop vite, sans faire attention à prendre le temps comme je le fais d'habitude, mais... Les événements de ces derniers jours ont fait remonter trop de questions dans ma tête.

Il n'a pas l'air à l'aise. C'est bien ce qu'il me semblait. Natsume ne lui a rien dit et ne lui dit probablement pas grand chose. Un manque de confiance et de communication ?.. Intéressant. Je pourrais peut-être tirer cette information à mon avantage. Je me dis qu'il faudrait que j'y pense. Kaden n'a pas l'air d'apprécier qu'on lui ait fait des cachotteries, en tout cas. Et c'est plutôt compréhensible. Je le sens se tendre. Comme Shimomura père, il se sert du sarcasme pour masquer sa gêne. Je suis surpris toutefois qu'il craque un peu plus vite que je ne le pensais, mais la question devait lui brûler les lèvres depuis un moment. Je suis surtout étonné qu'il ait l'air de croire que je pourrais ne pas lui mentir. Mes yeux jaunes se posent sur lui, un voile nostalgique tombant sur mes iris.

« Cela fait plus d'une vingtaine d'années que je connais ton père. »

Peut-être un peu moins, je ne saurais quand exactement. Mais ça doit être dans cette tranche. Calé dans mon fauteuil, je repense aux doux souvenirs me liant au concerné de la discussion. Des souvenirs doux et amers qui me manquent.

« Il ne t'a rien dit à mon sujet. Sur le fait que nous nous connaissons. Sur le fait que nous étions bien plus que des amis. »

Perdu dans le vague, mon regard s'attarde un instant sur les Pokémon de l'adolescent. Un renard... Cela lui va bien. Je souris légèrement avant de relever la tête et de le désigner.

« Et toi... Toi je te suis depuis ta naissance, aussi. Même avant cela. »

Bon, dit comme ça, je n'ai peut-être pas l'air rassurant, mais s'il est vraiment aussi curieux et intrigué ou simplement en recherche de réponses, il arrivera à passer outre les apparences.

… De quoi ? Il a dit « vingtaine », là, où je rêve ?
Je cligne un peu des yeux, ayant du mal à m'imaginer ça du haut de mes quinze ans. Je ne m'étonne pas plus que ça de l'idée qu'il ne m'ait pas parlé d'une connaissance qui remonte à ce point ; elles ne sont pas rares, les personnes qu'il connait depuis et surtout, il n'est absolument pas rare qu'il ne les mentionne pas. Avant-hier encore, après tout... Enfin, c'est tout à fait possible, avec lui. Papa n'est pas du genre à parler du passé, voir à parler tout court : il estime que c'est une perte de temps, le passé. Une ou deux fois, je l'avais entendu dire que ça ne servait à rien hormis commettre des erreurs. Je ne peux pas dire que je ne partage pas la même vision, mais principalement parce que moi, quand je pense au passé, c'est par rapport aux trucs un peu douteux que j'ai pu faire et sur lesquels je préfère ne pas m’appesantir. De temps à autre, je me demande si c'est pour la même raison qu'il se montre aussi virulent, mais... Eh. Je sais pas. J'ai toujours eu la sensation qu'il y avait plus, mais je n'avais jamais vraiment eu l'occasion d'en savoir plus : papa a toujours été une tombe, question secrets.

Je n'aime pas trop le fait qu'il appuie sur le fait qu'il ne m'a rien dit ; je ne vois pas trop pourquoi cela le travaille, ce qu'il me dit ou non. C'est notre affaire. Et peut-être me suis-je, inconsciemment, mis sur la défensive à ce propos, comme si je ne craignais quelque chose par rapport à notre relation. Pour autant, plus l'autre appuie, plus mon expression se refroidit.
… Comment ça, « plus que des amis »... ? … Il est pas en train d'insinuer que...
Son commentaire suivant ne m'aide pas à y voir plus clair : je ne fais que trouver ça encore plus étrange, à vrai dire. Mais je chasse son propos comme une tentative étrange de m'amadouer. Ma première hypothèse est qu'il veut quelque chose en rapport avec papa, puisque je ne vois aucune raison pour laquelle il s'intéresserait au gamin d'un de ses amis. Enfin, « ami »...

« … Meilleurs amis, vous voulez dire ? »

Ma voix sonne plutôt comme une affirmation, comme si j'attendais qu'il me réponde ça et par autre chose, le mettant presque au défi d'avouer quelque chose qui me met mal à l'aise, pour une raison que j'ignore. Déjà, ce que j'ai cru comprendre me paraît complètement impossible, quand j'y pense, et j'ose à peine y penser. … Arceus, faites que je me trompe.

« Kaden... »

Il ne pense pas lui-même à ce qu'il a dit. Est-ce que ça lui fait peur, de savoir la vérité ?.. Pour l'instant, ça ne l'engage encore à rien ; il ne sait pas le meilleur. Mais j'imagine que ça va être dur à encaisser, encore plus à y croire. Je ricanerais presque face à sa supposition s'il avait été honnête, mais il est loin d'être idiot. Je suis persuadé qu'il a très bien compris ce que je voulais dire. Je reste un peu déçu que Natsume n'ait jamais fait allusion à moi, mais il a tenu à m'écarter le plus possible de sa vie, depuis qu'il s'est échappé du laboratoire. Une décision futile et non nécessaire. C'est sûr qu'il pense encore à moi même de loin. Lui, en tout cas, n'est jamais parti de mes pensées et je n'espérais qu'une chose : pouvoir rencontrer mon fils. J'en ai bien le droit, non ?.. Si seulement il veut bien me faire confiance quand je lui avouerai pour son cas.
Un ange passe avant que je ne me lève finalement de mon fauteuil pour me rapprocher de quelques pas, regardant distraitement par la fenêtre.

« Je suis la seule relation amoureuse que ton père a eu. Et réciproquement. »

Autant ne pas y aller par quatre chemins, puisque sinon il va me demander si on était des 'frères de cœur' brrr... Mais je ne veux pas trop le brusquer en étant direct. C'est mieux qu'il y réfléchisse aussi un peu par lui-même.
Marquant une pause, je me rappelle des jours suivant son départ où j'étais dans une humeur exécrable. Il m'a laissé en gardant tout de même auprès de lui une partie de moi.

« Il m'a quitté il y a quinze ans en partant avec notre enfant. »

C'est toujours pénible de se dire que son garçon a grandi sans lui. Mais le récupérer aurait été trop compliqué et Sam aurait voulu reprendre les deux en même temps.

J'espérais une autre réponse, mais je me doutais que je ne l'obtiendrais pas. J'ai beaucoup de mal à y croire, et je reste immobile quand il confirme ce que je pensais, sentant sans trop le savoir pourquoi un sentiment de malaise croître dans ma poitrine. L'information devrait m'indifférer, mais elle me perturbe, comme si je sentais qu'il ne me disait pas ça pour rien et que cela m'inquiétait. J'ai du mal à y croire. Beaucoup, beaucoup de mal. Imaginer mon père dans une relation de ce genre, même sans sentiments (car pour moi, l'amour doit être pour lui l'équivalent d'un ovni), et juste... Non. Ça ne colle pas du tout avec l'image que j'ai de lui, et peut-être que si j'étais lucide, je me rendrais compte que c'est probablement un peu ça, qui me perturbe. Cela confirmerait encore davantage que ce que j'ai en tête est... Erroné. Ou du moins que les quelques bases que je pensais stables ne le sont pas tant que ça. Et en plus de ça...
… Mais qu'est-ce qu'il lui trouve ?
… Oui, bon, ne me regardez pas comme ça, j'ai bien le droit de le dire. Et je ne vais pas mentir, la question est à double sens. Autant je ne vois absolument pas comment on pourrait être intéressé par mon père de cette façon (qui veut faire la discussion avec un frigo, sérieux), autant je ne... Saisis pas trop ce que ce type a de particulier non plus. Oui, d'accord, il fait gaffe à ses fringues, mais... Eh.

Je n'ai pas tout de suite tiqué. Difficile de faire le lien, et encore plus dans ma représentation actuelle des choses, et surtout de ce que je connais de mon paternel. Alors sur le coup, quand il parle de « notre » enfant, je ne fais pas le lien. Je ne peux pas vraiment le faire. Je m'immobilise, comme glacé, mais c'est surtout car mon esprit n'arrive pas du tout à saisir ce que je viens d'entendre. Un courant froid passe par ma poitrine, en même temps que ce que j'entends m'apparaît complètement absurde. Je retourne, pendant quelques instants, la question sous tous les angles alors que je sens mon Goupilou s'agiter dans mes bras à cause de ma prise qui s'est crispée assez vivement.

« C'est... »

J'essaie d'éructer et de protester, les rouages s'agitant dans mon cerveau alors que j'essaie de comprendre, alerte mais pas paniqué ; plutôt pensif et et mal à l'aise qu'autre chose. Si mon cerveau fonce vers l'idée de l'adoption, je sais que c'est impossible. Je suis le portrait craché de mon père, quoi que j'en dise, alors...

« … C'est impossible. C'est mon père biologique, je vois pas comment ça pourrait... »

Je le dis comme une certitude, sans vraiment y réfléchir. Sans vouloir y réfléchir, à vrai dire. Comme si j'avais une bonne parade envers quelque chose qui, je le sais, ne me plaira pas d'entendre. Dans ma gorge, toutefois, le noeud se serre ; dans ma poitrine, l'intérieur de ma cage thoracique s'est fait glacé.

Je le sens perturbé par la nouvelle. Quoi de plus normal, après tout, si on ne lui a jamais rien dit à ce propos. Ce n'était pas à moi d'en parler à la base, mais je ne vois pas pourquoi il se tiendrait éloigné du secret encore longtemps. Peut-être qu'il s'est posé des questions sur sa 'mère' ou quelque chose du genre. Que lui aurait dit Natsume à ce sujet ? Sans doute quelque chose de très vague. J'affiche donc alors un air plus grave.

« Je ne vais pas t'obliger à me croire. Cela te paraîtra invraisemblable. Mais j'estime que tu as le droit de savoir la vérité. »

En soit, Natsume n'avait pas vraiment de raison ou d'occasion, je présume, de lui parler de sa transition. Moi, je ne l'ai su que par accident quand je suis tombé un jour sur ses seringues. J'ai d'abord cru qu'il se droguait, d'ailleurs. Mais cela ne m'a pas gêné le moins du monde. Pour moi, c'était du pareil au même. Je le voulais pour moi, peu importe son genre. Ironiquement, j'ai éprouvé pour lui plus de respect à ce niveau que beaucoup d'autres. Le corps tourné vers la fenêtre, je ne fais que bouger ma tête dans sa direction pour le regarder, une expression des plus sérieuses sur mes traits.

« Kaden... Ton père ne te l'a probablement jamais dit, mais il a fait une transition de genre. Il t'a 'porté' dans son ventre. »

Pour l'instant, je ne vais pas lui en dire plus. C'est déjà probablement une information qui va lui faire comprendre un peu mieux ses origines. Mais je pense qu'il va deviner la suite tout seul, avec ce que je lui ai déjà dit. Ou alors il faudra que je le lui annonce directement par moi-même, mais j'ai pensé que ça serait peut-être un peu plus simple pour lui à assimiler s'il assemblait le puzzle tout seul.

Je n'ai pas envie d'entendre ça. Il pourrait très bien mentir, et c'est ce dont j'essaie d'ailleurs de me convaincre, mais plus j'y pense... J'en sais rien. J'ai l'impression qu'il y a un fond de vrai dans ce qu'il dit, même si je ne lui fais pas confiance en soi. Mais en même temps, une partie de moi n'a pas envie de l'entendre. Un peu comme si je faisais un blocage, de plus en plus appuyé au fur et à mesure que les secondes passent et que ma crispation ne se défait pas, au contraire.

... Quoi.
Quand il explique finalement, il me faut un moment pour digérer l'information. J'ai un arrêt, comme une pause, un bug. Les épaules crispées, les yeux écarquillés, je n'arrive pas tout de suite à réagir. Je crois que mon cœur a raté un mouvement et que, durant une seconde, je n'ai pas respiré. Sur le moment, je n'y crois pas. Mon cerveau a un moment de rejet. Je ne veux pas y croire.
… Non, non, il m'en aurait parlé. C'est...
Je pourrais presque le traiter de menteur, sur le coup, tellement mon déni initial est grand ; car cela implique un mensonge bien trop large de la part de mon père que ce que j'imaginais, et... Très crédible, en réalité. J'ai envie de vomir. Le choc me laisse avec une nausée puissante et soudaine alors que j'essaie de rassembler les éléments dans ma tête. Mes pensées sont un nuage confus et agité, dans lequel s'entrechoquent des données entre elles.
Pendant que je fais lentement le lien, mon regard se relève sur l'adulte que j'examine pour la première fois plus attentivement, les yeux habités par une lueur inquiète, comme par crainte de ce que je pourrais saisir alors que je détaille ses traits.

« C'est... »

Si j'ouvre la bouche pour parler, les propos ne viennent pas. Au lieu de cela, je reste silencieux, entièrement crispé. Je n'ose plus parler. J'ai déjà saisi, mais je n'ose pas parler, comme si vocaliser ce que j'ai compris le rendrait plus réel, et je peine déjà à l'assimiler. Devenu livide, je peux sentir mon Apireine bourdonner avec tracas derrière moi, tandis que Red a relevé un regard interrogé sur mon visage.

Je ne sais pas si je peux comprendre pourquoi Natsume a tenu à lui cacher ses origines. Ce n'est pas comme s'il avait pu me retrouver après avoir été mis au courant. Certaines de ses questions auraient trouvé des réponses, et vu comment il semble troublé par ce que je lui apprends, je devine qu'il avait quelques interrogations. Ou du moins, que cela le préoccupait bien plus qu'on n'aurait pu le penser. Il aurait pu se dire que ce n'était pas si important. Mais son malaise est aisément perceptible et je n'apprécie pas trop le voir dans un tel désarroi.

« Tu peux t'asseoir, si tu veux, je comprends que cela puisse te chambouler. »

D'un geste calme, je lui indique qu'il peut emprunter le fauteuil s'il le désire.

« Je ne te retiendrai pas ici, de toute manière, je voulais simplement parler un peu avec toi et te révéler certaines choses. »

Au point où il en est, je ne sais pas si sa principale préoccupation était de trouver un moyen de s'enfuir. Mais je préfère le prévenir que ce n'est pas dans mes intentions de le retenir, puisque je sais qu'il a un endroit où il peut retourner. Je devine toutefois que des tas de pensées doivent bousculer dans son cerveau.