kaden fait des betises

L'estomac en vrac, je ne le regarde plus, me contentant d'essayer d'avaler ce que je viens de comprendre, quand bien même tout ça est aussi rance qu'amer. Dans le fond, je me fichais assez bien de ce qui avait amené ma naissance ou même de l'identité de la seconde personne avec qui papa m'avait eu ; ça ne m'avait jamais travaillé plus que et, en vérité, ça ne me travaille pas non plus maintenant.Si cela fait un choc à encaisser sur le coup, ce qui me reste véritablement en travers de la gorge sont les omissions béantes et majeures qu'a volontairement laissé papa. On pourrait me dire qu'il ne me devait pas de me parler de sa transition ou même des circonstances exactes de ma naissance, mais... Je ne saurais pas dire exactement pourquoi, puisque je suis peu lucide sur ma propre situation, mais c'est extrêmement désagréable, d'entendre ça de la bouche d'un inconnu. De me dire que si ce n'avait pas été aujourd'hui, j'aurais très bien pu ne jamais avoir été mis au courant de tout ça, et... Non, je ne le prends pas très bien.
Quand il m'indique que je peux m'installer dans un fauteuil, toutefois, je me réveille un peu, comme sorti de ma transe. Quasiment instantanément, mes défenses qui s'étaient baissées l'espace d'un moment se remettent en place et je me sens mon expression se refaire aussi neutre que possible. Comme un réflexe, une habitude que papa a ancré dans ma tête aussi vite que possible ; une technique de survie comme une autre. Lui disait qu'il ne fallait jamais se dévoiler complètement, alors j'ai assimilé ça au plus vite et les habitudes rendent ça automatique. Enfin, ça, et ne jamais faire confiance à qui que ce soit ; une leçon que j'ai toujours un peu mis sur le dos de son côté « vieux con », mais j'admets que dans le fond, je fais la même chose, notamment à l'instant, alors qu'une question me taraude.

« … Pourquoi ? »

Les sourcils froncés, l'air pensif mais la mine plus méfiante, mon regard s'est fait perçant. Je n'oublie pas que je n'ai aucune confiance en l'individu en face de moi, même si il n'a pas attaqué ; et quand bien même ce type a des liens génétiques avec moi (je me refuse encore à user d'un terme plus précis, même sans connotation)... La confiance que j'ai envers mon père, même ébranlée, me rend méfiant. E-et oui, j'ai confiance. Je ne sais pas trop pourquoi il l'a quitté, mais pour le moment, je ne sais pas si je pourrais croire ce que dirait mon interlocuteur à ce propos. Et surtout, je ne vois pas la logique de son action.

« Après quinze ans, quel intérêt de me dire ça, et encore plus maintenant ? »

Je ne saisis pas pourquoi avoir mis tout ce cinéma en marche de nos jours, si il voulait « juste me révéler des choses » (et je ne crois pas vraiment à une intention purement bénévolente). Par ailleurs...

« Entre ça et le type à pics de la dernière fois, ça commence à faire beaucoup. »

Mon ton est un peu mordant. Je l'ai encore en travers de la gorge, il faut le dire ; Medeus avait mis un temps à se remettre des blessures infligées par le Ptéra de celui qui m'avait attaqué. Et peut-être suis-je parano, mais j'ai comme l'impression que tout ça est lié.

Les yeux plissés et posés vers l'adolescent qui semble quelque peu choqué et confus par la situation -qui ne le serait pas-, j'attends le moment où il commencera à abaisser ses défenses. Bien sûr, ça ne se fera pas tout de suite. Il n'a déjà aucune raison de me croire. Même si je n'ai en soit, pour ma part, aucune raison de lui mentir non plus. Mais je tiens à lui montrer qu'une vie meilleure l'attend à mes côtés. Axel a été heureux, durant toutes ces années, non ? C'est injuste que Kaden ne puisse pas profiter du même luxe, plutôt que de errer pendant aussi longtemps dans des cachettes sans jamais se fixer. Ralala... Et dire que tout ça serait plus simple si Natsume voulait bien revenir avec lui...

« Tu avais le droit de savoir la vérité. Ce n'est certainement pas Natsume qui t'en aurait parlé. S'il était resté, je me serais occupé de toi avec lui. Je trouve ça injuste. »

Qu'il veuille me quitter, passons... Mais il aurait pu au moins me prévenir pour sa grossesse, déjà, mais aussi me laisser le choix de prendre soin de notre enfant. Il aurait eu une vie tellement plus facile, ici... Mais non, il a fallu qu'il le garde égoïstement avec lui sans nous laisser le choix, à Kaden comme à moi. De quoi avait-il peur, au juste ? Que je délaisse notre fils ? Pas comme s'il avait été très heureux de l'avoir de son côté, sinon, il n'agirait pas ainsi avec l'adolescent.

« Par ailleurs... Le "type à pics"... C'est l'enfant dont s'occupait Natsume avant de t'avoir. »

Mon regard se fait un peu plus sévère et dur. Je n'étais peut-être pas le tuteur d'Axel, à la base, mais... Cela ne m'a pas empêché de m'occuper de lui quand Natsu est parti. Ce n'était pas dans mes projets, et pourtant... J'imagine que j'ai quand même fini par l'aimer comme mon propre fils, ce gosse... Mais quel gâchis, que son papa d'adoption soit parti... Nous aurions pu être heureux, tous les quatre, sans son drama à deux Opals. J'vous jure...

J'ai conscience que je ne maîtrise plus la situation, et que je suis pas en possession de la moitié des éléments nécessaires pour comprendre et analyser de la bonne façon. C'est justement ce qui m'énerve et me rend si à cran à l'heure actuelle. En plus de ça... Je ne fais pas confiance à mon interlocuteur. Il se présente d'une manière bien trop positive pour que cela n'égaie pas un peu mes soupçons ; mais en même temps, j'ai été élevé à être perpétuellement dans la méfiance et le soupçon depuis... Depuis que je sais à peine marcher, à peu près. Il n'est étonnant que je me montre donc dubitatif face à ses propos. Voyez, quand on me parle d'injustice et de vérité, j'ai tendance à voir immédiatement ça comme un piège. Surtout quand on m'a attaqué peu de temps avant, et que, visiblement, cette histoire sent le foin.

« … Que... ? »

Les sourcils froncés, je reste immobile quand il m'indique que le type avec lequel je me suis battu est en réalité... Je ne sais pas trop, e-enfin...  Je cherche dans ma tête tous les mots qui n'ont pas la signification de « fils » afin de ne pas y penser trop longtemps, commençant déjà à imaginer qu'il ait aisément pu abandonner un gamin il y a quelques années. Ma gorge se noue. Je pourrais presque sentir des sueurs froides dans mon dos. Et en même temps, je ne veux pas y penser : alors je me garde de faire un commentaire.
Au lieu de ça, je reste silencieux, digérant l'information quand je le peux. Les épaules rigides et le dos tendu, ma nervosité est grandissante. Je peux sentir Red me glisser des coups d'oeil incertain, conscient du fait que mon stress n'a cessé de grimper depuis tout à l'heure. Je... N'aime pas ça. Pas du tout. L'accumulation d'éléments n'est pas quelque chose de bon pour mon contrôle de moi-même. Garder mon air impassible se révèle compliqué. Et surtout... J'ai perdu mon sens de la répartie, pour le moment.

« … C'était bien gentil de faire acte de charité en me racontant tout ça, mais c'est-à-dire que j'ai un agenda chargé, et que j'avais prévu autre chose. »

Ça manque de miel, d'aisance, de sourires assurés et faux qui me permettent d'ordinaire de garder la main sur la manière dont tournent les choses. Je ne peux même pas me cacher à moi-même que j'écourte au maximum mes échanges pour ne pas enfoncer davantage mes pieds dans ce marasme que j'ai l'impression d'avoir à peine effleuré. Pour tout dire, je n'en ai pas envie ; pour l'instant, tout ce que je veux, c'est m'en aller. Même si cela me coûte d'avoir à attendre que l'on daigne me relâcher.

Il ne me fait pas confiance, et c'est tout à fait normal. Je préfère ça plutôt qu'il me croit tout de suite. Mais de sa part, je ne suis guère étonné. Il est plus intelligent que ça, se méfie beaucoup, et si Natsume lui a appris à être vigilent, ce n'est pas tombé dans l'oreille d'un sourd. Mais je m'attendais à ce que ça se fasse sur le temps, de toute manière. Peu importe s'il met longtemps à venir à ma rencontre, mais je ne lâcherai jamais le morceau, pour ma part. Tout ça, c'est de la faute de son père, après tout, il n'avait qu'à pas s'en aller. Nous aurions pu être heureux, en famille. Personne n'aurait manqué de rien. Je ne comprends pas pourquoi il s'est entêté à partir pour vivre dans des conditions difficiles, entraînant avec lui notre fils dans cette histoire. Et puisque je sens qu'il stresse et essaye de trouver un moyen de s'échapper, je n'ai aucune raison de le retenir.
Le regard et la voix plus sérieux, je ne le quitte pas des yeux, analysant son comportement. Je vais le relâcher, qu'il ne s'inquiète pas. Mais il s'en est plutôt bien sorti jusqu'à présent, et je trouve ça assez admirable, son côté débrouillard. Un sourire se glisse donc sur mes lèvres, fier de l'adolescent qu'il est devenu même s'il fait tourner en bourrique mes subordonnés, que Faust me déteste probablement pour avoir engendré un môme pareil, et qu'il... Ne me considérera probablement jamais comme son père.

« Tu es doué, Kaden. Très doué. Tu es malin et agile. Natsume t'a bien appris. »

Il n'est pas innocent dans cette histoire, je le sais... Mais il peut aller se faire voir pour que je l'abandonne lui et l'enfant. Aujourd'hui encore, même si j'ai dû affirmer le contraire à voix haute, Natsume n'est pas mon "ex". Notre relation n'est pas finie et je refuse de mettre un trait sur cette dernière. Je compte bien le récupérer dans mes filets.

« Mais tu te trompes si tu crois que tes capacités seules t'ont permis de toujours parvenir à tes fins. Ce n'est pas un hasard si tu as pu t'en sortir jusque là. »

Mon expression se fait plus grave et mon sourire se fane. Quittant mon fauteuil, je me lève afin de me rapprocher un peu du plus jeune.

« Les personnes sous mon autorité ne te feront jamais de mal, car je le leur interdis. Mais Axel, le jeune homme "à pic" que tu as affronté l'autre fois, a voulu t'affronter et il recommencera peut-être alors entraîne bien tes Pokémon. »

Ses alliés ont des compétences qui pourraient lui être utiles, mais je peux deviner sans les voir à l'œuvre qu'ils manquent encore d'expérience. Si Kaden les rend plus forts, ils seront néanmoins sans doute redoutables, capables de rivaliser même avec la Ptéra d'Axel.
Les portes de sortie s'ouvrent derrière nous. Il essaye de trouver une excuse pour sortir, mais il saura qu'il n'en a nullement besoin. Je reprends alors la parole avec une expression plus douce, l'invitant d'un geste du bras à partir s'il le souhaite en montrant l'ouverture de la pièce.

« Va. Rentre chez toi. Mais ne t'embête pas à essayer de rentrer en douce, la prochaine fois. »

Un gloussement amusé ronronne dans ma gorge. Je lui glisse un dernier sourire malicieux avant qu'il ne s'en aille.

« La porte vous est grande ouverte, à toi et à ton papa. »

Et j'espère bien qu'un jour, l'un comme l'autre les franchiront d'eux-mêmes.

… Est-il capable de se taire, un peu ? Je sais que c'est l'hôpital qui se moque de la charité (j'ai peu de conscience de moi-même, mais je suis à peu près lucide sur mes tendances à blablater pendant des heures), mais... Tout de même. Je retiens à peine un grognement quand il se met à me complimenter, roulant aussi lourdemment que visiblement des yeux. Pfeuh. À d'autres. J'ai du mal à deviner ce qu'il attend en se comportant ainsi, mais j'ai assez de neurones pour ne pas baisser ma garde.
Et puis... Je ne sais pas. Sa manière de se présenter comme ayant eu des coups d'avance durant un long moment m'agace autant que cela me met mal à l'aise, alors je me contente d'y répondre par un regard froid. Il sait très bien ce qu'il fait, en plus, ça se sent à cinq cent mètres : et c'est bien ça qui me donne tant envie de sortir les griffes. L'idée que papa ait pu supporter un type pareil m'apparaît complètement lunaire. Il me sort par les trous de nez, et cela fait à peine une trentaine de minutes que nous « parlons ». Enfin, « parler »... Il cause, et j'attends qu'on daigne me laisser sortir. Insupportable, je vous jure. Alors devant son commentaire plein de conséquences quant au fait que je risque de croiser l'autre excité au Rexilius, je me contente de froncer les sourcils et de répondre d'un ton aussi sec que désobligeant. Mon expression s'est fermée, finissant de débarrasser toute trace de fausse légereté que je gardais jusque là : ma patience a plus ou moins atteint ses limites.

« La dernière fois, c'était largement suffisant. »

Je n'oublie pas que si il ne m'avait pas eu en traître avec son Ptéra, j'aurais gagné. Je ne digère toujours pas d'avoir dû fuir en vitesse sur mon Bruyverne, il faut dire, alors je supporte encore moins d'entendre ne serait-ce qu'un sous-entendu sur le fait que je risque quoi que ce soit. Comme si j'avais besoin de conseils ou qu'on me ménage... Papa n'a pas élevé un lâche.
Si je regarde la sortie, je garde un coup d'oeil méfiant vers mon interlocuteur. Arceus, c'est possible d'être plus pédant et prétentieux (quoi comment ça je me fiche du monde)  ? Pas étonnant qu'il se soit fait larguer, je vous le dis. Ce qui me frustre le plus, c'est le fait de savoir que je ne peux pas faire grand chose pour le moment, et ce n'est pas l'envie qui m'en manque, pourtant. J'ai horreur qu'on me dise quoi faire : encore plus qu'on me sous-estime. Alors évidemment, ses plaisanteries et son ton ne passent pas. Si j'étais honnête, j'avouerais que je n'aime pas trop goûter à ma propre médecine, mais je ne le suis pas. Alors que je m'éloigne et que je suis près des portes, j'ai le réflexe de parler une dernière fois, sans me retourner. J'ai, inconsciemment, le besoin de me distancer au plus vite.

« J'ai jamais eu besoin que qui que ce soit pour faire ce que je veux. »

Je ne sais même pas si je parlerai de ça à papa. Je crois que non. Pour le moment, j'ai juste... Besoin d'un grand bol d'air. Et de ne surtout pas penser à ce qui vient de se passer, car sinon, je vais bien finir par devoir avouer que la nausée qui a pris mes tripes n'a rien de semblable avec celle d'une simple surprise. Et ça, c'est hors de question.