La nuit, les connards sont de sortie [Natsu/Sam]

Observer de loin quelque chose que l'on convoite est un moyen sûr pour ne pas se faire repérer par l'objet de ses désirs, mais un moyen bien ennuyeux. J'ai déjà dû attendre que Kaden soit assez grand pour qu'il aille se jeter dans la gueule du loup tout seul... J'en ai eu cette fois assez de patienter pour pouvoir engendrer des retrouvailles avec son géniteur. Enfin... Un de ses géniteurs. Ce n'était pas la Vierge Marie, que je sache, même s'il a tenté d'effacer mon existence de la vie de notre fils aussi impunément. Tss... Mon existence et celle d'Axel qu'il a décidé d'oublier, visiblement, mais j'aurais le temps d'aborder ces sujets avec lui plus tard. Pour l'heure, je veux juste... Le revoir. Se refaire un tête-à-tête comme au bon vieux temps. L'accueil risque d'être fois, je ne me fais pas d'illusions. Mais de l'eau a coulé sous les ponts, depuis, non ?.. Et puis il me doit bien ça, après être parti sans autre forme de procès du jour au lendemain avec un polichinelle dans le tiroir que j'aurais bien voulu élevé avec lui. Même pas un petit mot d'adieu, vous vous rendez compte ? Après tout ce que j'ai fait pour lui... Enfin. Ce n'est pas pour me larmoyer que j'en suis rendu à là. Du moins, pas que.

Il fut aisé de découvrir la cachette où ils sont actuellement. Je le connais si bien, après tout, mon petit lapin... Il ne m'aura pas échappé bien longtemps. Là, tout de suite, je pourrais les reprendre avec moi par la force, si j'en avais envie. Mais ça serait bien moins amusant, et il y aurait toujours un risque qu'ils veulent s'enfuir de nouveau. Hors de question que ça recommence, toutefois. Pour cette fois, je veux simplement lui parler un peu, mais je compte bien ne pas en rester là, qu'importe le dénouement de cette rencontre.
Dans la pénombre de leur repaire, je me glisse dans l'antre comme si j'étais un prédateur parti à la chasse. Sauf qu'aucune proie ne sera mangée, ce soir. Il s'agit juste de jouer avec. M'asseyant sur un endroit confortable, je ne fais qu'un avec les ténèbres qui englobe à moitié l'espace, attendant qu'une présence entre ne pénètre à son tour dans le lieu. Et quand une vient s'annoncer, mes yeux brillent en reconnaissant instantanément cette silhouette dont j'ai dessiné les contours à maintes reprises pendant longtemps. Un sourire enjôleur étire mes lèvres quand Natsume remarque enfin ma présence.

« Tu n'as pas pris une ride. Tu es toujours aussi beau. »

On dit que l'amour rend aveugle. Pourtant ma vision, si elle a un peu baissé au fil des années, demeure, de mon point de vue, intact quand il s'agit de le détailler sous toutes les coutures. Pourtant son teint un peu pâle et maladif pourrait ne pas rentrer dans la définition de ce qu'on pourrait juger 'beau' puisque cela reflète des carences évidentes de certains aliments que sa condition ne lui permet pas de trouver par lui-même. Un constat qui ne me fait même plus soupirer, à force. Quel idiot, aussi, d'être parti... S'il était resté à la maison, il aurait pu manger ce qu'il désire, et à sa faim. Pas la peine de se priver parce que Môssieur a de la fierté et qu'il préfère croupir dans la rue plutôt que de revenir auprès de moi. Sincèrement, je ne vois pas ce qui l'attend. Mais tout ça, on s'en fiche. De mon œil expert, les années ont peut-être défilé et il n'a plus un rythme aussi sain qu'avant, mais ça ne le rend pas moins attrayant.

Kaden manque encore de finesse. Ce n'est pas quelque chose sur lequel il se ment, ni sur toutes les autres faiblesses de son fils, d'ailleurs. Cela viendra peut-être avec l'expérience, mais pour le moment, il n'est pas aussi subtil qu'il semble le croire : son arrogance lui fait faire des erreurs contre lesquelles il l'a pourtant averti maintes fois, mais... C'était prévisible. Et ce qui est prévisible ne perturbe pas tant Natsume que ça, au contraire. Il est plus facile de garder un as dans sa manche quand on sait à quoi s'attendre plutôt que lorsque l'on va contre le courant.
Et dans ce cas-là, pas besoin d'être un génie pour savoir à quoi s'attendre depuis que Kaden a commencé à... Enfin. Faire ce qu'il fait. Pour être tout à fait honnête, Natsume aurait aimé que l'adolescent attende encore un peu avant de se mettre à accumuler les erreurs idiotes, ne serait-ce que pour gagner un peu de temps, mais ce n'était pas tant un problème que ça. Les choses suivaient leur cours.

Parlant de ça, d'ailleurs, il n'eut qu'à faire un pas dans la cache temporaire de cette semaine pour savoir qu'il n'était pas seul. La bête féline sur ses épaules avait poussé un miaulement grave et onduleux, sautant de son perchoir pour rejoindre les quelques poutres de bois en hauteur, son regard perçant et délavé se fixant sur l'intrus sans un bruit de plus. Son maître, en tous cas, ne semble pas plus réagir que ça, ignorant les propos dirigés vers sa personne pour se tourner plutôt vers la partie de la cave où se trouve une théière un peu abîmée mais fonctionnelle, qu'il saisit distraitement pour se servir une tasse de café. Il n'a jamais aimé, mais cela le garde éveillé : et il sait, même inconsciemment, qu'il risque d'en avoir besoin.

Appuyé légèrement contre le plan de travail improvisé, il se préoccupe davantage de sa boisson, la buvant en silence. Il ne voit pas vraiment l'intérêt de répondre, l'expression impassible et désintéressée alors que le goût acre descend dans sa gorge. Par ailleurs, il ne fait pas l'affront à sa propre intelligence de demander, même pour la forme, ce que fait l'autre ici ; au lieu de ça, il prend la parole d'une voix plate et simple, le regard plutôt porté vers la tasse qu'il tient.

« Épargne-moi les délais et viens-en au point, j'en perdrais moins de temps. »

Il n'est pas assez naïf pour croire que ce sera le cas, mais toutefois, cela ne l'empêche pas de le dire.    Pas de surprise, d'étonnement, de colère ou même d'émotion apparente chez lui, alors que cela doit faire quelque chose comme presque seize ans qu'ils n'ont pas conversé. Au lieu de cela, son regard ne semble faire transparaître qu'un ennui évident : la prévisibilité a toutefois ça d'ennuyeux qu'elle ne peut pas lui épargner les rencontres, ou du moins les « retrouvailles » dont il se serait bien passé.

Mes yeux dorés scrutent le moindre de ses gestes comme s'ils les analysaient. S'il a deviné ma présence, il n'en montre rien et préfère m'ignorer pendant un premier temps. C'est que je me vexerais presque qu'il ne fasse pas tout de suite attention à moi. Mais j'ai tout le temps du monde, au moins jusqu'au retour de Kaden. Après notre dernière rencontre, je ne tiens pas particulièrement à ce qu'il me revoit tout de suite ici. Le chat miteux qui me feule dessus le remplace pour un temps, alors pas la peine que je revois son regard noir qui ressemble à s'y méprendre à celui de son papa. Ce dernier ne me réserve qu'un ton monocorde et même pas un détournement de la tête. Mes sourcils se froncent face à cet évitement qui ne me plaît guère.

« Hooon... Quelle hospitalité glaciale tu me réserves. Cela fait pourtant des années que je ne t'ai pas rendu visite. »

Et Arceus sait comme cela me manquait, pourtant, de le voir en chair et en os, de le sentir, de le toucher, de lui parler... Je ne rêvais qu'au moment où je pourrais le retrouver et saisir ma chance pour le faire revenir vers moi. Un sourire fin et sucré apparaît néanmoins à nouveau sur mon visage.

« Ce n'est pas comme ça qu'on accueille l'amour de sa vie. »

Je le sais, que mes sentiments sont réciproques encore aujourd'hui. Notre histoire passionnelle est tellement forte qu'elle ne peut s'envoler comme ça et qu'il y aura toujours chez lui des traces d'affection à mon égard. Mes pupilles se lèvent au ciel pour y apercevoir le félin dont l'âge doit être à peu près équivalent à celui de notre enfant. Je reconnais sans mal ce matou qui n'a pas changé, au fond, même si l'âge lui a fait perdre des poils et rendu plus hargneux.

« Tu as même gardé mon petit cadeau. Je suis flatté. »

Je savais qu'il ne pourrait jamais abandonner un être vivant tel qu'un chat et pourtant j'aurais cru que ce dernier ne tiendrait pas les années. Il faut croire qu'il est bien plus résistant qu'il n'en a l'air.

Natsume n'aime pas les pertes de temps, et certainement pas que l'on tourne autour du pot. C'est quelque chose qui lui fait horreur, et encore plus quand il s'agit de son interlocuteur, dont il déteste la tendance (ou plutôt l'obstination) à jouer pendant des heures plutôt que d'en venir directement au point. Il n'est pas naïf au point de croire que ce serait différent aujourd'hui, toutefois ; tout au plus, il se contente de vaguement lever les yeux au ciel, peu touché par ce qu'il voit comme des épanchages mélodramatiques et exagérés. Tout est toujours excessif et larmoyant, avec l'autre, alors face à ses plaintes et ses grands mots, si il se contentait jusque là d'un silence désintéressé, l'ancien anarchiste se permet de bailler on ne peut plus expressément devant son affirmation suivante.
Natsume ne voit pas vraiment l'intérêt de réagir ; il a appris il y a un moment déjà que la meilleure solution face à Samaël était encore de ne pas lui donner ce qu'il désirait, c'est-à-dire une réaction. Qu'il croit ce qu'il veut, car à ses yeux, ce n'est pas de son ressort. Tout ce qu'il entend ne le surprend pas : tout au plus, cela lui fait lever les yeux au ciel alors qu'il termine sa tasse d'une traite pour la reposer.

Ce qui le fait réagir, en tous cas, est le propos du militien quant à l'animal qui se trouve au dessus de leur tête et qui traîne lourdemment sa patte sur les échafaudages improvisés de bois. Pendant une seconde, son regard se fait perçant et son ton, inconsciemment, fluctue légèrement vers quelque chose qui ressemble vaguement, de manière très lointaine, à une émotion. Et encore.

« Les animaux sont innocents des actes commis par les humains. Et ce ne sont pas des objets. »

Même si il avait tenté de le garder éloigné au début, par crainte de s'y attacher, il avait fini par le garder auprès de lui, cette bête hargneuse et abîmée qu'on lui avait mis dans les pattes il y a de là à peu près seize ans. Au fil du temps, il était devenu comme son ombre, seul compagnon auquel il attachait un tant soit peu d'importance. Les autres avaient disparus, ou il les avait écarté de son plein gré car n'en valant plus la peine à ses yeux ; seules les créatures comme celles-ci attiraient encore sa compassion devenue maigre et éphémère. Ils étaient devenus tous juste bons à contribuer à leur protection. Eux, au moins, n'ont pas cette arrogance insupportable qui lui fait cripser ses doigts sur sa tasse alors qu'il la repose sans un mot au début.

« Penses-tu vraiment que tu es parvenu ici de ton seul plein gré... ? L'absence de pièges était pourtant évidente. »

Pas d'expression particulière sur son visage à l'instant, alors qu'il se garde de donner une réponse à sa question on ne peut plus rhétorique

« Je ne « t'accueille » pas, je m'évite un désagrément bien plus long et relativement inévitable. »

Comme à peu près tout, cette cache n'avait aucun intérêt à ses yeux, si ce n'est d'être facilement accessible et plus que dispensable. Elle serait détruite en l'heure : mais pour l'instant, elle suffisait.

« Kaden ne pouvait pas ne pas faire d'erreurs. »

Sans rien dire, il s'éloigne distraitement pour aller s'asseoir dans un « fauteuil » en bien mauvais état, mais qui faisait l'affaire. Nul doute que Kaden n'apprécierait pas de savoir que Natsume avait parié sur son incapacité à ne pas laisser d'indice quant à leur localisation actuelle derrière lui du fait de son inexpérience, mais aux yeux de l'ancien scientifique, ce n'était qu'une donnée négligeable.

L'affection que Natsume porte pour les êtres vivants, Pokémon et animaux, est bien l'une des seules choses qui ait demeuré chez lui malgré les années. Cela m'attire encore aujourd'hui de le voir réagir là-dessus. Son côté protecteur envers eux me fait envie. Et dire qu'il fut aussi bienveillant avec moi, fut un temps... Je regrette cette période paisible où je pouvais voir une sincère admiration dans son regard. Et bien sûr, qu'il en avait. Après tout, je l'ai toujours respecté dans ses décisions et je le traitais bien, moi, pas comme d'autres. Lui donner un chat dans les pattes (un chaton, à l'époque, encore mieux) devait le retenir de commettre l'irréparable. Même s'il n'aurait jamais laissé ce minou tout seul, une part de mon ego est flattée qu'il l'ait gardé avec lui. Je suis toutefois on ne peut plus surpris de savoir que l'absence de pièges était préméditée pour une potentielle visite de ma part.

« Et je suis honoré de cette gentille attention de ta part en prévention de ma venue. »

L'avait-il deviné ?.. Il n'avait pas à les enlever, ces pièges, s'il y en avait. Je trouve ça amusant de savoir qu'il a fait l'effort de les retirer. Il aurait pu les laisser, après tout, je n'aurais de toute façon pas eu beaucoup de mal à les repérer et encore moins à les contourner, Natsume devrait le savoir. Ses plaintes me tirent un léger gloussement amusé, persuadé qu'il n'en pense pas autant qu'il le prétend et que ma visite, au fond, ne le laisse pas indifférent.

« Erreur ? Mais au contraire, je suis plus que ravi de son invitation, c'est vraiment un bon garçon. Tu l'as bien élevé. »

Je n'avais nullement besoin de l'aide de Kaden pour venir jusqu'ici, mais il était évident que son père allait découvrir son escapade à la tour. Je suppose qu'il le surveille bien plus que l'adolescent ne pourrait le croire.
Me levant de ma place, je viens près de mon partenaire en contournant le fauteuil où il s'est installé pour me mettre dans son dos.

« J'espère que tu ne lui en voudras pas... il n'avait que de bonnes intentions en s'infiltrant chez nous. Il s'inquiète pour toi, tu sais ? »

Ils prennent soin l'un de l'autre à leur manière, c'est un fait... Mais ça n'empêche pas une relation chaotique de se former entre eux et j'ai eu l'occasion de m'en rendre compte à plusieurs reprises.

En roulant des yeux, il n'essaie pas de contredire son interlocuteur quand bien même ce dernier se roule, bien piteusement à ses yeux, dans l'idée que le scientifique puisse avoir une quelconque bienveillance envers lui. Natsume n'a ni l'envie, ni la patience, ni un erzatz même de la motivation de lui dire le contraire. Alors il se contente de relever le regard vers le plafond, comme pour y compter distraitement les morceaux de roche s'effritant. Arceus, avait-il toujours autant déblatéré sans aucun objectif ? C'était effarant, en vérité, de parler dans le vide à ce point. Effarant et vaguement irritant, par ailleurs, mais il se contenta de chasser le début d'agacement dans son ventre en tapotant des doigts sur l'accoudoir à moitié arraché qui lui servait de reposoir.

Rouvrant un œil torve en voyant l'autre filer dans son dos, car il n'était en plus de ça pas nouveau que Natsume détestait que l'on se faufile ainsi derrière lui, il ne fait pas toutefois preuve d'une grande expressivité (à nouveau, et de toute façon cela faisait bien quinze ans que les derniers restes de ce genre avaient disparu) le sujet repasse vers Kaden. Encore une fois, c'était désespérément prévisible, tant et si bien que face à sa question qui avait en plus de ça l'audace de le prendre pour un idiot, il n'eut qu'un roulement d'yeux à répondre au début.

« Ce qu'il fait le regarde, il est assez grand pour se débrouiller. »

Si Kaden voulait s'embourber dans de situations intenables malgré ses multiples avertissements... Eh bien cela arriverait, à ses yeux, et il ne se voyait pas de lui courir après en permanence. Il était libre de faire ses erreurs. Mais le sujet n'est pas là, et il le sait. Devant la question prétendument ingénue de l'autre, il lui offre un regard plus acéré et plus dur, du moins durant quelques secondes.

« … Maintenant, veux-tu cesser prétendre poser des questions aussi faussement naïves et en arriver à ce que tu veux vraiment mettre sur la table ? »

Un comportement on ne peut plus horripilant, qui l'avait toujours insupporté, même à l'époque où ils entretenaient encore une relation cordiale (c'était ainsi que Natsume l'appelait, puisqu'aucun autre mot n'était vraiment tolérable à son esprit). Qu'il vienne ramener le sujet de sa relation avec l'adolescent n'avait rien d'innocent à ses yeux et, par ailleurs, il avait comme une idée de ce vers quoi la « conversation » allait tourner.

Il parle de Kaden avec un détachement qui ne me surprend plus, depuis le temps, mais qui tout de même me rend perplexe. Il n'a pas besoin de cacher son affection pour lui devant moi, pourtant. Bien que l'adolescent ait prouvé qu'il était effectivement assez grand pour prendre des décisions seul et que c'était inutile de le stopper, j'aurais cru que Natsume soit plus protecteur que ça envers lui. Mon attention n'est pas de tourner autour du pot, néanmoins. Je reçois ses regards plus tranchants sans que cela me perturbe plus que ça. J'y suis habitué, depuis le temps, et mes sentiments pour lui ne me permettent pas d'avoir peur ou de vraiment le craindre.

« Ce n'est pas parce que tu ne lui as jamais parlé de moi que je dois faire la même chose. »

J'ai encore en travers de la gorge le fait qu'il m'ait totalement effacé de la vie de Kaden. J'estime que c'est injuste de ne pas lui avoir révélé cette vérité, surtout qu'il s'est peut-être posé des questions à ce sujet ; il avait le droit de savoir. Nos échanges auraient sans doute été plus simples s'il avait été mis au courant. Peut-être même qu'il serait venu me voir de son propre chef, dans ce cas-là...

« Pourquoi crois-tu que je sois venu ? »

Oui, pourquoi pense-t-il que j'ai fait le déplacement ? Juste pour parler de Kaden ? Pas seulement.
Mes yeux se posent sur lui avec un air plus sérieux, moins joueur tout à coup. Je m'accroupis pour venir à sa hauteur et laisser mes lèvres se balader près de son oreille tandis que mes doigts glissent su sa nuque pour la caresser.

« Tu me manques. Pas un seul jour n'est passé sans que je ne pense à toi. »

Mon souffle chaud et ma voix suave passent contre sa joue comme si j'espérais réveiller quelque chose d'enfoui en lui. Des souvenirs qui sont restés, heureux et nostalgiques.

Le regardant de travers, Natsume n'esquisse ni un geste, ni une parole supplémentaire sur le moment, estimant qu'il était déjà bien gentil d'accorder quelques mots alors qu'il aurait bien pu ne pas le faire – mais encore une fois, ce n'était pas tant un acte de grâce qu'une manière pour lui de ne pas délayer l'inévitable. Face à son reproche, par ailleurs, il baille d'autant plus visiblement, ne ressentant pas vraiment de remords à ce propos. Pas le moindre, à vrai dire. Aux yeux de Natsume, de toute façon, il était parfaitement justifié et ne ressentait pas le besoin de donner des excuses, puisque l'opinion de son vis-à-vis là-dessus ne lui importait nullement. L'ancien scientifique ne savait même pas ce qu'il espérait, d'ailleurs, par rapport à cette pique ; pensait-il qu'il allait se confondre en justifications et en excuses... ? Qu'il sentirait le besoin d'expliquer quoi que ce soit... ? De prouver quelque chose ? … Peut-être l'aurait-il fait il y a seize ans. Mais le temps avait passé, depuis. Ce qu'il avait pu être aussi.  

Devant sa question, le regard de Natsume se teinte d'agacement. Il n'est pas naïf au point de ne pas savoir ni de comprendre (ou du moins, il ne l'est plus) les motivations de l'autre, mais la manière qu'il a de tourner autour du point le fatigue. Alors sur l'instant, il ne répond pas, attendant de voir comment son interlocuteur compte faire son cinéma.
Ses épaules se tendent toutefois d'un coup net lorsque son interlocuteur se rapproche de telle sorte à ce que ses lèvres se retrouvent près de son oreille puis de sa joue. Le contact de doigts familiers sur sa nuque lui fait l'effet d'une brûlure aussi soudaine qu'inattendue. Une réminiscence pénible, tant et si bien que à peine l'autre eut-t-il fini de parler, sa main vint se saisir de son poignet avec une brutalité ferme, l'emprisonnant et le serrant avec avec force, sans se soucier plus que ça de la douleur qu'il peut susciter. Le regard perçant, un rictus sarcastique vient passer sur son visage.

« Oh, les conséquences de tes propres actions sont désagréables ? »

Un rire sec et cruel sortit de sa gorge, comme si il avait face à lui quelque chose de risible et qui méritait bien toute sa condescendance. Après tout, c'était peut-être mieux d'en rire, d'ailleurs, car si il y pensait trop longtemps, cela ferait remonter des choses qu'il ne servait à rien de considérer à nouveau. Même sa colère et sa rancœur, au fil du temps, s'étaient muées en une apathie acide et froide. Son expression repassa vers une froideur désintéressée, reprenant la parole avec un détachement à la limite du mépris.

« Bien sûr, que je sais pourquoi tu es venu. La même soupe mélodramatique que d'habitude. La même chose depuis vingt ans. »

La prévisibilité ne rend pas la situation moins irritante. Elle éclaire simplement la redondance, les cycles, les vieux mécanismes encrassés. Des schémas qui l'irritent et qui lui ont mis des bâtons dans les roues pendant trop longtemps.

Sa poigne soudainement et ferme ne me fait rien. Tout au plus elle me tire un gloussement amusé en sentant sa colère jusque dans la force qu'il met pour tenter de me faire mal. S'il y a bien peut-être un peu de douleur, je ne suis plus à ça près et je la tolère quand c'est lui qui me l'inflige. Je l'ai toujours fait, après tout. En revanche sa question rhétorique me fait esquisser une grimace contrariée. Qu'il m'accuse d'être mélodramatique s'il veut. Je n'en ai que faire, même venant de lui. Il n'a jamais vraiment compris que mon affection n'était destinée à personne d'autre et que je n'ai toujours voulu que son bien.

« … Mes actions ? »

Il me ferait bien rire, sur le coup, si je n'étais pas un tout petit peu vexé. N'ai-je pas engager le meilleur médecin, le meilleur cuisinier, pour s'occuper de lui ? N'ai-je pas fait installer un jardin pour qu'il se sente comme chez lui ? Aveugle face à mes efforts, si aujourd'hui nous ne sommes plus ensemble je considère sans mensonge que c'est de sa faute.

« C'est toi qui n'es jamais rentré, je te signale. »

Et il peut parler, en me référant à mes actions. Est-ce que ça lui fait du bien, de tenter de me blesser ? Qu'il essaye toujours, s'il en a vraiment envie. Si ça le défoule. S'il se sent mieux après. Je me contente de garder mon calme et mon sang-froid, ne quittant pas ma position près de lui. J'ai enlevé de mon visage le sourire doucereux qui y était dessiné.

« Ce serait si simple, pourtant, si tu revenais. Pour moi, pour toi, pour Kaden... »

J'enlève une de mes mains de sa nuque pour la poser lentement sur celle qui retient l'autre avec férocité. Je ne me montrerais jamais violent avec lui, quand bien même il en profite pour me donner tous les coups qu'il veut. Je ne veux pas lui faire de mal. Il doit pourtant regarder la vérité en face. Quelqu'un, hormis moi, pendant seize ans, l'a attendu à la maison et l'attend encore.

« Pour Axel... »

Je ne tolérerais pas qu'il me parle de mes actions quand il doit d'abord affronter les siennes en face.

L'agacement de son interlocuteur allait bien finir par arriver, alors Natsume n'est pas tant surpris que cela devant son changement de comportement. Il trouverait ça presque drôle, d'ailleurs, tant il suffisait d'indiquer qu'il avait commis quelque chose de douteux pour qu'il ne se mette à se défendre et à déflecter le sujet au plus vite. Un comportement qui ferait presque rire Natsume si cela ne suscitait pas chez lui autre chose qu'une vague lassitude, roulant lourdement des yeux devant son reproche quant au fait de ne « pas être revenu ». Oh, il avait bien failli, au départ. Surtout après son passage chez les anarchistes qui n'avaient pas été bien contents de le voir et qui lui avaient laissé quelques petits souvenirs qui, encore aujourd'hui, formaient des cicatrices bien laides sur son dos. Fort heureusement, Livie avait servi à quelque chose (pour une fois dans sa vie, même si son objectif était purement égoïste) en lui remettant les idées en place plus d'une fois. Il avait fini par comprendre que ce n'était nullement dans son intérêt et que, d'autre part, cela l'empêcherait de faire ce qu'il avait à faire. Alors il ne sent pas vraiment de remords à ce propos. Plus envers Samaël, du moins. L'idée même qu'il devrait ressentir des remords à ce propos lui paraît saugrenue au mieux, et presque insultante pour son intelligence au pire.

Relâchant le poignet qu'il tient lorsque l'autre vient poser sa main, car il n'avait pas vraiment d'intérêt à le tenir tant qu'il se tenait à carreaux, il eut toutefois le réflexe de se tendre lorsque fut abordé le sujet d'Axel. Un sujet qui, brièvement, fait résonner dans le fond de sa poitrine un sentiment désagréable et pénible, mais qu'il chasse en affichant une mine désabusée.

« Je ne sais pas si tu as toujours été aussi mauvais où si j'étais juste assez idiot pour tomber là-dedans, à l'époque. Probablement le second, je l'admets. »

Il n'irait pas nier ses anciennes tares ; une naïveté abyssale, une incapacité manifeste à tirer un trait ainsi qu'une faiblesse on ne peut plus répugnante à ses yeux maintenant. Une idiotie qui l'avait amené plus d'une fois à répéter les mêmes erreurs sans apprendre, mais qu'il tenait maintenant en laisse. Probablement qu'il se serait laissé amadouer par la culpabilité, fut un temps, et qu'il aurait fini par l'intégrer de telle manière qu'il se serait ensuite interdit de faire ce qu'il devait pourtant faire. Plus maintenant, toutefois : alors il prenait les propos de son interlocuteur comme une tentative aussi insultante que trop grossière de le manipuler.

« Si Axel me cherche, qu'il vienne me trouver ; en attendant, ça ne te regarde pas, comme tes discussions avec Kaden ne me regardent pas. »

En haussant les épaules, il ne peut pas s'empêcher de lancer une pique, ne serait-ce que pour faire saisir qu'il est loin d'être aussi à la ramasse que ne le pense, bien arrogamment, l'adolescent. Mais malgré lui, il ne peut pas s'empêcher de revenir sur ce qui a été dit tout à l'heure, fronçant les sourcils avec déplaisir, le regard légèrement méprisant.

« Mais ne me fais pas rire. Si j'étais revenu le voir, tu ne m'aurais jamais laissé repartir. »

Et ça, Natsume n'aurait pas pu se le permettre.

Je masse distraitement mon poignet quand il le relâche enfin. Au moins, j'ai réussi à le faire réagir lorsque j'ai fait tomber le sujet d'Axel. Je me disais bien qu'il ne pourrait pas rester indifférent alors qu'il a laissé derrière lui un enfant qu'il avait élevé et chéri comme le sien pendant quelques temps. Le départ inattendu et brutal de Natsume avait bien sûr laissé des traces sur le petit garçon qu'il était alors à l'époque et j'ai tenté tant bien que mal de prendre la relève, mais jamais je n'aurais pu remplacé dans son cœur la place que son premier père d'adoption avait prise, tant elle fut importante. Idiot, ce n'est pas comme que j'aurais qualifié Natsume à ce moment-là, quand il fondait aisément dans mes bras. Ce n'était pas naïf d'être avec la personne aimée, et à ce moment-là... Il opposait moins de résistance. Il m'aime toujours, je le sais, même s'il essaye probablement de se convaincre du contraire. Sans dire que mes discussions avec Kaden le concernent, je ne sais pas si Axel irait de lui-même retrouver Natsume. Peut-être attend-il le bon moment... Ou alors il a peur de la réaction qui l'attendra au moment venu. Mais ça ne change pas que j'ai vu clair : le fait qu'il ait pris un court temps d'arrêt signifie qu'il n'est pas si à l'aise que ça avec cette histoire. Je me retiens même de lever les yeux au ciel quand il insinue que je ne l'aurais pas laissé s'en aller.

« Pourquoi aurais-tu voulu partir en premier lieu ? Je n'ai jamais compris ce qui te motivait tant à fuir le confort et l'affection que je te donnais. »

Je suis encore amer de sa disparition il y a des années.

« Allons bon... Que je sache, je ne t'ai jamais obligé à revenir, durant toutes ces années, alors que je savais où tu te cachais. »

Il aurait été très simple que je le reprenne par la force. Mais... Je n'en avais pas envie. Je voulais voir son désir pour moi dans ses yeux. Je voulais qu'il revienne de lui-même, qu'il sache qu'il m'appartenait. La satisfaction de savoir que Livie n'arrivait à rien avec lui ne me suffisait plus au bout d'un moment. En outre, il y avait une vérité qui est restée la même aujourd'hui. Si je ne le retouche pas, mes yeux restent posés sur lui.

« Je le sais, en plus... Tu m'aimes encore. »

Un sourire apparaît sur mes lèvres, un peu plus doux et rêveur cette fois-ci. Fut un temps, il n'avait pas de mal à me dire ce qu'il ressentait pour moi. Mais plus les années ont passées, plus... Il tentait de se mentir à lui-même.

Il avait cessé de tenter de faire comprendre quelque chose à son interlocuteur depuis... Depuis longtemps, à vrai dire. Le deuil avait été fait depuis un moment ; à peu près un mois suivant la seconde fois où il s'était retrouvé enfermé, il avait fini par saisir qu'il ne servait à rien de tenter de raisonner. Alors maintenant, devant ses protestations, tout ce qu'il trouvait à faire était de lever les yeux au ciel. Sans doute que Samaël devait croire à tout ça, dans le fond. Et à quarante ans, inutile de tenter de faire quoi que ce soit.
Comme il était inutile de réagir plus que ça à ce qu'il venait d'affirmer, suscitant à peine un regard de travers de la part de l'ancien scientifique. Que cherchait-il, à vrai dire, hormis se rassurer lui-même ? Il devait s'avoir qu'il n'obtiendrait rien ; hormis peut-être tenter de le narguer, mais le cinéma qu'il mettait en place lui importait peu. Tout au plus se contenta-t-il de répondre d'un ton plat et désintéressé, ne voyant pas vraiment l'intérêt de cette question.

« Quoi que je dise, tu l'interpréteras comme tu le voudras, de toute façon. »

Haussant vaguement les épaules, si il ne saisissait pas ce qu'il cherchait, le brun à pics ne voyait pas l'intérêt de se lancer dans une pseudo-joute verbale qui n'aboutirait à rien. Et il ne ressentait pas le besoin de prouver quoi que ce soit à son interlocuteur, d'ailleurs. Redressant sa tête pour fixer le plafond, il préférait encore essayer de se détendre un peu plutôt que de perdre inutilement du temps.

« De la même manière que tu ne viens pas ici pour me convaincre de quoi que ce soit, mais plutôt pour t'amuser vaguement. »

Ou quelque chose du genre – peut-être espérait-il toujours sincèrement un revers soudain, mais dans tous les cas, Natsume ne voyait pas vraiment d'autre explication. Et n'avait pas non plus forcément envie d'en chercher une autre.

Je prends son silence pour une confirmation silencieuse de ce que je viens d'affirmer. Je n'ai nullement besoin qu'il approuve, de toute façon, puisque je suis persuadé de ce que j'avance ; mais j'aurais aimé avoir la satisfaction de l'entendre ne pas nier mes propos. Je ne considère pas, contrairement à ce qu'il pense, que je fais des interprétations dans le but que ça me plaise. Je n'entends pas que ce que je veux. Je sais ce que j'entends. Et s'il croit que j'en tire du divertissement, en venant le cueillir jusque dans cette cachette... Il se trompe lourdement.

« M'amuser ?.. »

Je grimace, ne trouvant pas que tout ça soit très fun. Il devrait être conscient que je préférerais le savoir près de moi plutôt que dans la nature. Là, je serais bien plus détendu.

« Ce n'est pas vraiment ce qui m'amuse, de te courir après. J'aimerais bien qu'il en soit autrement. »

Ma tête se repose au-dessus de mes bras que je croise sur le dossier de la chaise, l'air un peu las et sans doute plus fatigué que je ne voudrais et pourrais l'admettre. Ce serait si simple, s'il arrêtait d'être difficile... Aujourd'hui encore je regrette de ne pas avoir été là quand ce laboratoire a explosé et que ce jour a marqué la disparition de mon amant. Si je l'avais sauvé, alors... Je suis certain qu'il serait resté. Que nous aurions élevé tous les deux Kaden comme ça aurait dû le faire, auprès d'Axel qui aurait pu s'occuper de son petit frère. Je maudis donc les personnes qui ont pu le faire changer d'avis alors que j'étais parvenu à le ramener de mon côté.

Natsume voit une bonne partie du comportement de son vis-à-vis comme une tentative de moquerie et de narquoiserie insupportable ; rien d'étonnant, du coup, à ce qu'il imagine qu'il doit en tirer un vague amusement, ou quelque chose du genre. Cela ne lui importait pas tellement, dans le fond, et devant le changement d'expression du plus dresseur, il n'eut qu'une mine désintéressée et peut-être, dans le fond, légèrement lasse. Ce qu'il interpréta comme des plaintes lui fit rouler des yeux, se relevant distraitement pour se retourner vers l'espèce de cuisine improvisée (ou du moins le coin qui servait à faire cuire des choses) il en profita pour en sortir une gourde d'eau, l'air plus préoccupé par ça qu'autre chose.

« La chance qu'il en soit autrement est morte il y a vingt ans de ça ; il serait temps de faire son deuil. »

Il se garda de tout autre commentaire, comme si cela aurait pu l'incriminer d'une façon ou d'une autre. Haussant distraitement des épaules alors qu'il reposait la gourde dont il venait de prendre une gorgée, il n'eut qu'un regard en coin à offrir, trahissant à la fois une certaine fatigue et une lassitude indue à la conversation.

« Trouve-toi un passe-temps, ça te fera passer à autre chose. »

Ce n'était pas vraiment une moquerie, et on n'aurait en même temps pas vraiment pu appeler ça un conseil. Il ne savait même pas pourquoi il avait dit ça, d'ailleurs, et il n'y avait pas réfléchi plus que ça, inconsciemment. Pendant quelques secondes, toutefois, ses épaules s'étaient détendues et son ton était redevenu plat.

Je fais la moue. Un deuil ? Hors de question. Ce que nous avons vécu est peut-être derrière nous mais je continue à croire qu'il peut faire partie de notre futur aussi. Cela serait possible, s'il voulait bien me laisser une chance. Mais il semble pour l'instant réticent à me donner une nouvelle chance. Je ne veux pourtant pas abandonner maintenant, convaincu que quelque chose peut encore se passer entre nous. Notre histoire n'a pas encore connu sa fin. Je suis peut-être avant tout surpris qu'il ne soit pas plus agressif que ça. Pas que ça soit déplaisant, un peu de calme, mais j'aurais pensé qu'il mordrait davantage. Peut-être qu'il se montre clément pour cette fois parce que nous venons à peine de nous revoir vraiment... Quoiqu'il en soit, s'il croit que je vais passer à autre chose aussi aisément, c'est qu'il me connaît mal.

« Je n'ai pas envie de passer à autre chose. »

Me redressant, je me rapproche lentement de lui. Quand comprendra-t-il que je ne souhaite pas voir ailleurs ? C'est lui ou personne d'autre. Il y a longtemps que j'ai fait mon choix et avec mon statut il aurait été peu difficile de me trouver quelqu'un d'autre, même temporairement.

« Ce serait dommage d'abandonner comme ça, tu ne crois pas ? Je ne voudrais pas te laisser à quelqu'un d'autre... »

Je glousse légèrement, faisant le pas jusqu'à lui avant de poser mes bras de part et d'autre de son corps comme si je voulais l'emprisonner. Il y a vraiment peu de chance, en réalité, qu'on fasse une quelconque tentative d'approche envers lui. Je sais que Livie, quand iel a essayé, n'a guère eu de succès, pour mon plus grand plaisir. Il le nie, mais moi, je le sais, que le cœur de Natsume bat encore pour moi. Et ça le fait chier. Ça le fait beaucoup chier.

Encore et toujours la même rengaine ; au bout d'un moment, il n'avait même plus l'envie de lever les yeux au ciel, car même si cela l'irritait considérablement, il avait la sensation on ne peut plus frustrante que c'était aussi utile que de vider une barque trouée en pleine mer. En fin de compte, l'on y revenait toujours, pour sa grande frustration. L'avantage de ne plus revoir celui qui avait, fut un temps, été un ami, pendant presque vingt ans, c'était aussi de ne plus revivre ce vieux cycle rouillé qui ne cessait de se répéter.

Le rapprochement n'est pas surprenant, de telle mesure que lorsqu'il arrive, Natsume ne cille pas, se contentant d'une expression à la fois lasse et à la fois vaguement incommodée. Son regard s'est fait plus perçant, ses épaules se sont tendues. Sur la défensive, il ne dit rien, occupé à jauger le comportement de son vis-à-vis, comme si il s'attendait à mordre d'un instant à l'autre. Les propos qu'il entend, toutefois, arrivent encore à le tendre un peu plus : sa colonne vertébrale se raidit et le durcissement de ses traits trahit la tension qui est revenue d'un seul coup le travailler. Mais sur l'instant, il la refoule, quand bien même ses doigts crispés et la lueur d'énervement grandissante dans son regard suffisent à eux seuls. Il pourrait bouger et attaquer, mais il ne le fait pas, car ça serait, à ses yeux, comme se défiler. Mais se défiler de quoi, ça...

« Parce que tu crois que tu as encore quelque chose ? »

La remarque est plus sarcastique, plus vive. Moins faussement calme que tout à l'heure, alors que son ton s'est fait incisif et acide. L'idée l'irrite autant qu'elle provoque chez lui l'envie de ricaner sèchement, comme si il venait d'entendre une bonne blague. Après quelques instants, toutefois, c'est un sourire mielleux et faux qui se pose sur son visage, pendant qu'il parle d'un ton aussi condescendant que hautain.

« Macère dans tes regrets. Je ne ferai plus les mêmes erreurs. »

L'idée l'amuse. Si il était honnête avec lui-même, il remarquerait qu'il n'est pas forcément normal qu'il accorde autant d'importance au fait de lui rendre la vie le plus pénible possible. Mais, de toute façon, il n'est pas honnête ; il ne l'a jamais été et il estime que de toute façon, aucun d'entre eux ne l'a un jour été.