Avocat du Diable

« … Vous n'allez pas intervenir ? »

Il avait osé poser la question quand bien même il n'était pas censé être trop curieux avec son supérieur. Gourmandise est pourtant l'un des seuls qui a le droit a un peu de repos en raison de son efficacité et surtout de son tempérament relativement calme. Il n'a jamais cherché à faire autant le foutoir que ses collègues, bien qu'il s'amuse toujours autant avec Luxure qu'il poursuit depuis bien trop longtemps. En retrait dans l'espace très personnel de Samaël, il était venu à la base pour lui parler des pâtisseries en vogue du moment parmi les mortels. L'ange déchu fut pourtant perturbé par la présence d'un ange près de l'un de ses démons. Interruption suffisante pour qu'il aille regarder dans son chaudron, où il peut voir plus ou moins tout ce qui se passe, qui se permettait de venir voir Natsume.

« Ce n'est pas la peine. Il peut très bien se débrouiller sans moi.
- Mais c'est un archange majeur ! »

Sam le sait bien. Mais ça ne lui fait pas peur de laisser son bras droit gérer la situation pour le coup ; les choses ont changé, depuis la guerre. Natsume est plus fort et ne se laisse plus faire. Dans l'ombre de sa demeure des Enfers, il avait observé le prince aux ailes noires et ce séraphin discuter sur Terre. Avec beaucoup de méfiance, sa colère et sa possessivité se sont faites silencieuses mais elles manquent d'exploser à n'importe quel moment. Pour l'instant, du moins, il a réussi à la contenir. Il savait (du moins espérait) que le manège n'irait pas bien loin. Et il avait eu raison. Maintenant que Faust s'en est mêlé à cause de ce.tte Liviel, le petit jeu va prendre fin. Samaël le sait. Il sait aussi que cette trahison de la part de l'ange ne sera pas très bien reçue par son démon favori, et il n'a pas hâte de le voir déçu. Mais c'était inévitable. Au moins, d'après ce qu'il voit à travers des images que l'eau du chaudron lui reflète, il constate que l'ancien gardien d'Eden s'en sort bien face à celui pour qui ils avaient une grande considération autrefois.

« Tu vois ? Il n'avait pas besoin d'aide, ce coup-ci. »

Un sourire apparaît sur ses lèvres. Cela passera l'envie à son petit protégé de ne plus s'approcher des anges et de faire ami-ami avec eux pendant quelques temps au moins. Une perspective qui enchante Samaël mais un peu moins Alois qui ne semble pas très à l'aise avec toute cette histoire.


« Je ne te sens pas dans ton assiette, mon petit Prince. »

Feindre l'innocence est devenu un de mes jeux préférés. Je ne vais pas faire croire que je ne sais rien de ce qui s'est passé, mais je ne lui parlerai pas du sujet moi-même, me contentant d'attendre qu'il veuille bien me faire des aveux. Enfin... Si ma patience atteint ses limites avant, je ne me gênerais peut-être pas. On verra bien ce qu'il me dit.
Je m'installe à ses côtés après l'avoir rejoint peu de temps après qu'il soit sorti du domaine de Luxure. Ce dernier se révèle être parfois un confident particulièrement intéressant auprès de Natsume. J'abuse même parfois de sa spécialité, j'avoue. Mais je ne crois pas que mon jardinier soit d'humeur à ça aujourd'hui. Peuh... Je ne sais pas si agir au moment où il a rencontré ce.tte séraphin aurait été judicieux. Il n'aurait sans doute pas aimé que je m'infiltre autant dans ses affaires alors qu'il espérait avoir un moment à lui, pour une fois, et je pouvais bien le lui accorder en le laissant faire ce qu'il voulait. Cela ne voulait cependant pas dire que j'allais rester aveugle face à ses agissements.

« Mais ce n'est pas possible d'être aussi INCOMPÉTENT ! »

Il gronde depuis une ou deux heures maintenant ; et les quelques braves qui avaient osé franchir la porte de son bureau se retrouvaient à partir en courant, traînant leurs jambes au sol pour échapper aux ronces d'ombres qui cherchaient à les retenir. Certains, bien naïfs et jeunes, avaient tenté de l'amadouer en offrant des nouvelles relatives à la bonne organisation de l'enfer, mais ils n'en avaient tiré que de devenir la cible de vociférations plus intenses encore.
La nouvelle est vite passée : depuis qu'il est revenu du monde terrestre, le général de l'acédie est d'une humeur désastreuse. Rien à voir, cette fois, avec les quelques mauvais jours où il pouvait se montrer acerbe mais supportable. Même Paresse, qui d'ordinaire ne craignait pas grand chose, même en dépit de sa fainéantise iconique, avait cette fois pris la sage décision de rebrousser chemin aussitôt qu'il eut vu quelqu'un se retrouver violemment expulsé en dehors, la tête contre un mur.

Alors, progressivement, le flux de démons venant normalement s'en référer à lui pour des affaires délicates ou renvoyés par les généraux s'est tari. Ne restait plus que le démon aux ailes vertes dans son bureau, grognant avec insistance à chaque fois qu'il tente de se concentrer sur quelque chose qui ressemble à du travail pour ne pas réfléchir outre mesure aux échanges qu'il vient d'avoir, successivement, avec Luxure puis avec Elliott. Il n'a pas envie de le faire ; le nœud bourdonnant et pénible dans sa poitrine n'est pas quelque chose auquel il veut penser. Et il n'a certainement pas envie d'en parler.

Quelque part, toutefois, il n'était pas surpris que Samaël ne finisse par s'en mêler ; les choses se savent vite, par ici. Rien d'étonnant alors à ce que ça ne remonte à ses oreilles, mais pour être honnête, l'ancien archange mineur ne pouvait pas dire que cela l'enchantait, pour une fois.  D'ordinaire, il n'était jamais contre la présence de son ami, mais Natsume n'était pas assez idiot pour ne pas saisir qu'il venait essentiellement à cause de sa mauvaise humeur.
Alors, quand il le vit débarquer dans son bureau, son regard se releva brièvement avant de se fixer avec insistance sur les dossiers qu'il était en train d'inspecter, l'encre de sa plume venant s'écraser en de gros pâtés disgracieux à chaque fois qu'il semblait vouloir écrire en poignardant la table avec l'embout pour venir marquer ses parchemins.

« Mais je vais très bien. J'irais encore mieux si ces incapables arrivaient à faire le dixième de ce qui leur est demandé ! »

Dehors, quelques démons indiscrets (mais relativement courageux) qui s'étaient permis de jeter un coup d'oeil curieux de loin, disparurent immédiatement dès lors que le regard courroucé de leur supérieur se posa sur eux.
Le calme revenu, il sentit toutefois ses muscles se détendre ne serait-ce que partiellement. S'agacer ainsi et se mettre dans des états pareils ne rendait pas vraiment ses propos crédibles, il en était conscient. Gronchon mais toutefois plus calme, il reprit distraitement quelques parchemins pour les lires d'un œil, comme si de rien n'était.

« … Je suis débordé. Ça finira par se tasser. »

Il pouvait tout aussi bien s'assommer de travail pour ne pas penser au problème ; c'était quelque chose pour lequel il était très doué, par ailleurs.

L'ambiance est pesante. J'ai bien senti la tension qui émanait du bureau avant même que je n'y entre ainsi que la peur des démons de plus petite classe en apercevant leur supérieur des plus coléreux. Lorsque Natsume ne va pas bien, il peut tout aussi bien être aussi orageux qu'une tempête ou au contraire si calme qu'on pourrait entendre une plume chuter. Mais je n'aime pas le savoir de mauvaise humeur. Cela parasite mon esprit et m'empêche de travailler. Pas comme si je mettais beaucoup de motivation à le faire, en soit, j'ai aidé à la conception de Paresse, après tout ; mais je ne peux pas non plus tout le temps négliger mes devoirs. Alors on va dire... que l'équilibre de l'Enfer dépendra de si j'arrive à calmer Natsume ou non (comment ça, ça tient à peu de chose).
Assis sur son bureau, je jette un œil distrait à ce qu'il tente d'écrire malgré ses traits tirés par l'agacement. Difficile d'être convaincu par ses dires quand je peux presque compatir à ce pauvre stylo qui se fait injustement maltraité, vu la force qu'il emploie dans son utilisation.

« Tu n'as pas l'air très convaincu toi-même parce que tu dis. »

Ou alors c'est exprès qu'il n'essaye pas d'y mettre un peu du sien ?.. Cela faisait un moment qu'on ne l'avais pas vu comme ça, à vrai dire. J'espère que c'est moins grave que ce qu'on croit.

« Un petit massage, peut-être ?.. Je pourrais envoyer Paresse venir te chercher pour une sieste, si besoin. »

Descendant brièvement de son bureau avec un esprit léger que je souhaiterais rendre contagieux, je me place derrière lui avant de poser mes mains sur ses épaules. Puis, j'y effectue de lents mouvements, comme des caresses, descendants jusqu'à sa clavicule et son cou avant de remonter.

Effectivement, il n'y croyait pas vraiment lui-même, mais c'était encore autre chose que l'on lui souligne avec autant d'honnêteté. Piqué à vif, son regard se détourna brièvement, légèrement gêné mais pas foncièrement surpris d'être aussi transparent. Il n'espérait pas cacher le fait que quelque chose clochait, dans le fond ; aussi capable de déni qu'il pouvait l'être, il n'était toutefois pas assez idiot pour croire que son compagnon serait très dupe. Il espérait plutôt, à la place, qu'il lâche l'affaire sur la raison en elle-même. Et pour le moment, cela semblait être le cas. Du moins, à ses yeux.

Inconsciemment, il s'est toutefois détendu. Ses épaules sont toujours rigides et crispées, mais son ton s'est adouci, juste assez pour perdre temporairement son acidité lorsqu'il s'adresse à son vis-à-vis. Malgré les années et l'acerbité qui lui est venu avec le temps, il a toujours gardé une part de douceur pour ce dernier, différent sans vraiment l'être de la façon qu'il avait d'être il y a plusieurs millénaires.

« Tu sais bien que je ne peux pas dormir comme ça. Mais je ne dis pas non pour le massage.  »

Tout naturellement, il dessert légèrement la fermeture de ses épaules vers son cou pour laisser la place aux doigts de son ami qui viennent détendre ses muscles tirés. D'ordinaire, il rechigne quelque peu aux contacts quand il doit se concentrer sur quelque chose de spécifique ; mais il sent bien, de toute manière, que c'est peine perdue à ce stade. Samaël ne serait pas assez idiot – ou ne le connaitrait pas assez, et de toute façon Natsume ne cherchait pas vraiment à dissimuler son état (la raison, oui, mais pas le reste) – pour croire à une quelconque invention, alors autant ne pas s'enfoncer là-dessus.
Plus tranquille, il ferme les yeux en relevant légèrement le regard vers son ami, la mine plus calme. Instinctivement, il repoussait son cou dans la direction de ses doigts alors qu'il reprit la parole.

« … J'ai croisé Elliott : il a déblatéré des anneries, ça m'a mis de mauvaise humeur. Rien de bien étonnant.  »

Et ce n'était pas faux. Ce n'était que -partiellement- cela, mais ce n'était pas faux que son énervement actuel était aussi dû à ça.

Je souris d'un air malicieux en passant mes doigts autour de son cou pour les masser distraitement après qu'il m'ait passé son accord. Je suis l'un des rares qui puisse le détendre à l'heure actuelle, je crois. Une exclusivité qui satisfait grandement ma cupidité et fait ronronner le démon en moi. Je m'approcherais bien de cette nuque avec des intentions tout à fait honorables à Mikaël, mais je me contiens en sachant que ce n'est pas le moment. On dit que la curiosité est un vilain défaut, après tout, et moi, je suis très curieux de savoir ce qu'il va me dire.
Je n'aurais toutefois pas imaginé de plus belle déception. Et de surprise. Ce n'est pas vraiment Elliott qui m'intéresse sur le moment et, qui plus est, je ne l'aurais pas cru capable de refaire surface aux portes de l'Enfer. Je suis étonné pour le moment de son aveu mais cache ma méfiance prête à ressurgir n'importe quand.

« J'en conclus donc qu'il n'a pas changé. »

La mine plus sérieuse, je tente de penser à autre chose en sentant l'épiderme de son enveloppe charnelle sous mes doigts dont le contact est assez plaisant. Savoir en plus que je suis libre de mes mouvements sur une telle zone de son corps contrairement à d'autres personnes a quelque chose de réconfortant. Elliott... J'en étais très proche, aussi. Il agissait parfois comme un confident et ne me trahissait jamais lorsque je faisais des bêtises. Il tentait à chaque fois de me défendre, à chaque fois de me remettre sur le chemin des anges. Il était naïf mais patient avec tout le monde. Devoir lui tourner le dos et nous battre l'un contre l'autre fut loin d'être agréable. Mes plumes noires et abîmées par endroits rappellent la guerre qui nous a opposé à eux. Je me souviendrais d'ailleurs toujours du regard meurtri et désespéré que Elliott m'avait lancé, quand il fut témoin de mon revirement chez les âmes du monde souterrain et obscur.

« Mais il n'y a pas que ça, je me trompe ?.. »

Je me rapproche de son cou pour humer son odeur si particulière et singulière que je reconnaîtrais par cœur. Je peux deviner qu'autre chose le trouble, néanmoins. Ou plutôt, je le sais déjà. J'attends désormais de voir s'il va oser m'en parler ou non.

Si il sent chez l'autre une tension à l'évocation du nom de leur ancien camarade, il mentirait si il disait qu'il ne s'y attendait pas. Quelque part, assez égoïstement, il espère que le sujet sera assez sensible pour donner envie à Samaël de passer à un autre sujet ; quel qu'il soit, d'ailleurs. Natsume n'espérait pas trop non plus, d'ailleurs, même si les doigts s'activant sur sa peau lui faisaient pousser des soupirs de bien-être et fermer les yeux pour tenter de se vider l'esprit. Assez pour le radoucir et lui ramollir l'humeur, faisant presque naître le début d'un sourire sur son visage si tiré.
Une expression qui serait sans doute restée si l'autre n'avait pas alors abordé frontalement le souci, de telle manière que, instinctivement, les épaules de Natsume se crispèrent. Ses yeux se rouvrent. Son regard, plus perçant et observateur, se pose sur le visage de son compagnon actuellement occupé à sentir son odeur. L'interrogation lui paraît suspicieuse ; le fait que Samaël insiste après cette première explication paraît être une bonne raison pour Natsume d'être méfiant quant à ce qui peut passer par la tête de son interlocuteur.

« … De vieilles affaires à régler. Mais tu m'as l'air bien curieux. »

Sans aller jusqu'à être capable de deviner que son vis-à-vis est plus renseigné que ce qu'il fait croire, Natsume connait toutefois assez ce dernier pour remarquer quand il veut entendre quelque chose en particulier. Aurait-il eu vent de quelque chose... ? Ce ne serait ni surprenant, ni impossible. Samaël a de toute façon toujours été excessivement curieux et a toujours eu tendance à « fourrer son nez dans ce qui ne le regarde pas », comme aurait dit crûment l'ancien gardien du jardin d'Eden. Surtout quand cela le concerne.

« Es-tu simplement curieux du bien-être de ma personne, ou as-tu encore laissé traîner tes oreilles là où elles n'ont rien à faire... ? »

Sa question est rhétorique, à vrai dire, alors qu'il garde un œil ouvert pour fixer son ami d'un regard qui se trouve être légèrement de travers. Il a une petite idée de la réponse, mais cela ne l'empêche pas de poser la question, en partie car il se dit que cela ira toujours plus vite que de traîner autour du sujet. Sans être agacé (l'habitude faisait que), il ne peut pas s'empêcher, toutefois, d'être un peu désabusé.

Je me suis peut-être un peu trop tendu en entendant parler d'Elliott. Même après tout ce temps, si je conserve une certaine amertume pour ceux qui furent ma famille il y a très longtemps, je crois que Elliott est l'une des personnes que je regrette le plus. Je regrette d'avoir dû lui faire mes adieux, je regrette d'avoir dû me battre contre lui, et je regrette qu'il n'ait pas décidé de nous rejoindre. Fidèle à ses principes comme je le suis aux miens, il a tenu à rester auprès de ceux de qui je me suis détourné. J'ai préféré toutefois rejeter également la faute sur sa lâcheté plutôt qu'autre chose. De lui ou de Faust, j'ignore de qui j'étais le plus proche, mais si je suis convaincu qu'il n'y a rien à sauver chez le second, j'ai pensé, alors, pouvoir rallier le premier à ma cause ; sans succès. Je suis étonné qu'il y ait eu un échange entre lui et Natsume mais je me doute que, si cela a dû en effet l'énerver, je n'aurais de toute façon pas misé là-dessus pour justifier l'état dans lequel il se trouve. Mais si, je vous assure, je suis assez malin pour songer à tout ça seul.

« Qui sait... »

En continuant mes mouvements de mains qui commencent à caresser distraitement au niveau de ses clavicules, je laisse ma bouche se balader près de son oreille en arborant un sourire malicieux pour l'agacer.

« L'histoire avec Elliott est ancienne. Je ne vois pas ce qui aurait pu changer. En outre, cela ne vaut pas le coût que tu te mettes en colère. Donc je ne pense pas que ça soit ça. »

Natsume, si je ne m'abuse, a plutôt tendance à se trouver dépité dans ces cas-là. Cela fait quelques temps qu'il n'a pas explosé comme ça. Je ne remets pas en question le fait qu'il ait pu être énervé par Elliott, mais je ne miserais pas dessus pour autant, c'est tout ce que je veux dire. Par ailleurs, c'est un fait que je suis curieux, je ne vais pas le nier non plus. Mais j'ai toujours les écoutilles grandes ouvertes quand il s'agit du jardinier, ce n'est pas une nouveauté.

« Je me préoccupe simplement de toi, tu sais. Que serait l'Enfer sans mon petit prince ?.. »

Je place mon visage au niveau du sien pour embrasser ses joues et son cou en ronronnant près de lui de façon suave. Il ne peut pas m'en vouloir de veiller sur lui, quand même. Je trouve juste normal que je me méfie des personnes qui s'approchent, surtout quand il ne les connaît pas.

... Oui, il a définitivement écouté aux portes.
Le regard mi-blasé, mi-désabusé, Natsume ne voit pas vraiment l'utilité de faire un commentaire. Cela ne lui plait pas, certes, mais il a conscience d'une part que cela serait parler dans le vide et en plus, dans les faits, il n'a pas vraiment envie de s'en préoccuper plus que ça. En revanche, le fait que l'autre feigne faussement l'innocence lui fait lourdement lever les yeux au ciel. Le démon aux yeux bruns a bien saisi que son compagnon tentait actuellement de l'enquiquiner, ce qui, sans surprise, marche assez bien, mais il n'a pas envie de faire grand chose de plus que d'expirer avec désabus.

« … J'ai dit que c'était de vieilles histoires, et là-dessus, je ne mens pas. Tu te débrouilleras bien sans moi pour savoir, si tu ne le sais pas déjà. Et je sais bien régler mes affaires. »

La petite pique n'est même pas dissimulée, mais en même temps, elle est tentante. Elle n'est pas foncièrement agressive non plus ; simplement, si Samaël voulait le faire tourner en bourrique, la réciproque était tout aussi possible, voir même désirée par le brun à pics. Les baisers sur sa joue et sur son cou, toutefois, le détendent assez pour que son coup d'oeil mesquin et désabusé ne se transforme en une moue à la fois amusée et à la fois moqueuse.

« Oh, il y a longtemps que tu aurais été détrôné et que tout ça ne serait qu'un amas de débris, à n'en point douter. »

Et peut-être était-il un peu sérieux dans le fond, mais ce n'était pas le sujet. Venant porter sa main sur l'arrière du crâne de son vis-à-vis pour rapprocher sa tête et déposer un rapide baiser sur son front, Natsume se permit par ailleurs un sourire attendri et sincère.

« … Mais je vais très bien, surtout quand tu es là. »

… Bon, d'accord, peut-être jouait-il un peu sur les sentiments de l'autre également, mais c'était de bonne guerre.

J'ai parfois l'impression qu'on pourrait me pardonner n'importe quoi. Ou du moins, j'aime à penser que l'avis de Natsume ne pourrait jamais changer, quoi que je fasse. Pour les autres, je crois que mes capacités les dissuadent grandement de tenter de s'opposer à moi. Je me souviens bien assez de toutes les fois où j'ai dû désintégrer temporairement Mikaël pour s'être montré insolent envers ma personne. C'est sans doute d'ailleurs le Général qui a le moins de filtre de tous.
Je ne prétendrais pas que Natsu essaye de me mentir, mais je pense qu'il ne me dit pas toute la vérité sur l'instant, me poussant à creuser un peu pour obtenir quelques informations supplémentaires. Il est vrai que j'ai des oreilles et des yeux un peu partout, néanmoins il y a un certaine curiosité à entendre ce qu'il choisit de me dévoiler. Il le sait bien, que j'essaye un peu de voir jusqu'où je peux aller en jouant les espions. Mais c'est vrai, je ne fais que m'assurer qu'il aille bien et que personne ne tente de l'écarter du droit chemin ou le blesse. Si au bout de plusieurs millénaires il ne s'est pas lassé de moi, toutefois, j'ai l'espoir que c'est parti pour durer encore très longtemps. Je mentirais, à ce moment-là, si je disais que j'aurais pu bâtir un empire sans lui. Je ne prétendrais jamais pourtant avoir façonné le monde d'en bas de mes mains seules et s'il s'en allait, je ne le supporterais assurément pas. Si on me le dérobait, d'une façon ou d'une autre, j'entrerais dans la plus noire de mes colères.
Cependant, si j'avais presque cru qu'il m'en veuille de l'avoir observé à son insu, j'accueille son affection avec une tendresse et une satisfaction non dissimulées.

« Naturellement, mon petit prince. »

Héhé, bien sûr qu'il va toujours bien quand je me trouve à ses côtés, c'est bien normal. Il est le seul à qui j'offre tout sur un plateau d'argent et le seul à qui je me donne tout entier depuis le début de notre aventure dans les terres profondes des Enfers. Malheureusement pour lui, chaque geste me rend presque avare de son attention, alors que j'ai vu un ange s'approcher un peu de trop près à mon goût. M'abaissant légèrement pour que mon visage arrive au niveau du sien, je me rapproche avec lenteur pour lui offrir un baiser sur ses lèvres fines. Je suis envieux de son attention et avare de celle qu'il me réserve. Je le connais par cœur et pourtant chaque fois que je le touche, j'ai l'impression de revivre les mêmes sensations enivrantes que les premiers jours.
Lorsque je me détache de lui, mes mains descendent jusqu'à sa poitrine pour caresser son torse, un sourire malicieux sur mon visage.

« Il paraît que tu as rencontré un ange, il y a peu. »

J'estime qu'il n'a rien à me cacher, à moi. Je peux le comprendre mieux que personne et accueille ses qualités comme ses défauts. Alors j'imagine qu'il est inutile de passer par quatre chemins, puisqu'il a sans douté déjà deviné que je l'avais suivi ces jours-là également.

Bingo.
Utiliser l'ego et la mièvrerie de l'autre est une technique un peu fourbe, il est vrai, mais Natsume n'a pas grand remord à l'utiliser dès lors qu'il estime que de toute façon, Samaël a un petit peu abusé. Retenant comme il le peut le grand rictus satisfait et narquois qui se serait étiré sur son visage, il se contente de son plus bel air ingénu pour faire bonne figure. Généralement, cela marche assez bien.
Pour cette raison, il ne peut retenir une légère inclinaison amusée de ses lèvres lorsque celles de son ami viennent rejoindre les siennes ; avec tendresse et lenteur, il lui rend toutefois son geste, jamais contre le fait de partager un peu d'affection.
Sans surprise, il préfère être choyé et sa présence appréciée que d'être questionné, alors lorsque l'autre remet le sujet sur la table tandis qu'il caresse distraitement son torse, Natsume ne peut s'empêcher de hausser les sourcils, une moue à moitié désabusée, à moitié blasée, sur le visage.

« Oh, alors tu étais juste jaloux comme un pou. »

Peut-être manquait-il un peu de délicatesse, mais les faits étaient tels que le démon de l'acédie ne voyait pas vraiment de raison de faire comme si de rien n'était. La subtilité n'était de toute façon pas la spécialité de Samaël aux yeux de Natsume ; voilà pourquoi, dans ce genre de cas, ce dernier ne cherchait pas vraiment à l'être non plus. Une moue presque narquoise sur le visage, il reprit la parole.

« Que crois-tu... ? Que je vais courir dans les bras du premier béni illuminé que je croise ? Je me distrais juste un peu. »

Une idée incroyablement ridicule, mais qu'il fallait bien évoquer, vu la manière qu'avait Samaël de venir chigner comme si il était une pauvre petite chose abandonnée.
Sa main qui se trouvait jusque là sur le crâne de son ami glissa jusqu'à sa joue, la caressant vaguement avant de s'arrêter sur son menton, comme pour le retenir et l'empêcher de s'éloigner.

« J'ai tout ce qu'il faut à la maison, alors tu n'as rien à craindre. Ou as-tu encore besoin de l'entendre ? »

Sa moue se fait légèrement amusée. Il faut dire que, à l'heure actuelle, ; il ne pense sincèrement pas que Samaël oserait faire quelque chose de plus que des observations, pour l'instant (principalement car la dispute qui s'en suivrait serait terrible). Pour le moment, en plus de ça, il peut sentir un tel besoin d'attention et d'affection chez son camarade qu'il estime ne pas avoir besoin de beaucoup creuser.

Mon regard pénètre le sien. Moi ? Jaloux ?.. Mais n'est-ce pas mon plus beau défaut ? Il sait, depuis le temps aussi, que je suis possessif au possible et que je ne tolère que très peu que des inconnu.es dépassent les limites invisibles de Natsume que j'ai forgé moi-même. Je voulais savoir jusqu'où ce petit manège avec ce séraphin allait continuer et je n'ai pas été déçu, bien au contraire. Moi qui me montrais méfiant, j'ai eu bien raison, après ce coup en traître dont mon pauvre petit démon favori a été victime.

« Je sais que tu es tout à moi. J'étais simplement curieux. »

Jaloux qu'il aille voir ailleurs ? Non. Ce n'est pas exactement ce que j'ai ressenti, mais je ne voyais pas d'un très bon œil que cet ange sorti de nulle part se mette tout à coup à devenir envahissant. Natsume a encore un peu de bien en lui ; je ne peux pas le blâmer d'avoir fait une tentative pour réveiller un peu cet.te emplumé.e blanc.he, s'il le voulait vraiment. Je savais toutefois que ça n'allait pas marcher, et j'en suis navré pour lui.

« Ce n'est pas en toi, que je n'ai pas confiance. »

Mon expression se fait un peu plus grave. Je n'ai aucune confiance en les anges. Depuis la guerre, je me méfie atrocement de ceux qui ont prêté allégeance à Faust et aux autres : ils ne veulent pas voir tous les problèmes que j'ai pourtant tenté de pointer. On ne sait jamais maintenant ce qui peut se cacher derrière leurs intentions. Néanmoins... Natsume est plus fort qu'avant. Je n'ai pas à être toujours là pour le défendre ou le protéger. Ce n'est pas l'envie qui m'en manque, mais il serait sûrement agacé que je passe mon temps à faire ça. Au moins, contre un archange majeur, il sait au moins tenir un peu tête et fuir dès que c'est vraiment nécessaire.

« Si j'avais vraiment eu peur, je serais intervenu. »

Je papillonne des yeux en mimant un air innocent avant de me déplacer pour me retrouver sur ses cuisses sur lesquelles je monte sans lui laisser le choix de m'y accueillir ou non. C'est vrai, je suis un gentil démon, je n'ai pas interféré dans ses affaires.

Que Samaël en fasse des caisses n'est pas vraiment nouveau et qu'il soit malhonnête aussi. C'est à vrai dire même assez prévisible, de telle sorte que Natsume ne se gêne pas pour rouler lourdement des yeux, légèrement blasé. Son inquiétude excessive existe, certes, et elle exaspère le général de l'acédie depuis un moment déjà. Si il en connait la source, se rappelant plus que bien de l'évènement qui avait failli lui coûter son existence durant la guerre (la cicatrice qu'il en garderait à jamais était un bon rappel), il n'apprécie pas que l'autre se rappelle trop longtemps d'une époque où il était bien, bien plus faible que maintenant. Il y a plusieurs millénaires, certes, il n'aurait eu aucune chance devant son ancien supérieur ; maintenant, il pouvait bien lui tenir tête sans trop de soucis. Son ego fait donc qu'il voit d'un œil assez mitigé la méfiance de son compagnon.

« Tu n'avais même pas besoin de t'inquiéter, puisqu'il n'y avait aucun risque. »

Pour peu, il se mettrait presque à chigner alors que l'autre s'installe sans trop de remords sur ses genoux. Une action qui est si habituelle qu'elle ne le surprend pas, lui faisant juste hausser vaguement les sourcils d'un air désabusé.
S'assurant malgré tout que son ami ne tombe pas, Natsume laisse passer son bras dans son dos pour le soutenir et le garder contre lui. En dépit de tout ça, et puisque l'autre n'était pas plus enquiquinant au final, il ne pouvait pas s'empêcher de se détendre progressivement. Un sourire fin et narquois vient étirer ses lèvres alors que sa main remonte le long du bras de son vis-à-vis dans une caresse lente, passant sur une de ses épaules avant de s'arrêter au niveau de son visage pour tenir son menton.

« Mais l'on va dire que jusqu'à là, tu as été un très gentil garçon. Je suis très fier de toi. Si tu continues, je ne manquerai pas de le remarquer. »

D'accord, il y avait peut-être un peu de moquerie là-dedans, mais au moins, cela faisait passer le message sur le fait que Natsume estimait qu'il n'y avait pas lieu d'y avoir de souci entre eux par rapport au comportement de l'autre. Sûrement qu'il espérait aussi un peu qu'en lui flattant l'ego, son compagnon se calmerait un peu.

Il a beau me répéter que je n'ai pas à m'inquiéter, ce n'est certainement pas ça qui va me faire arrêter. Même s'il n'a rien à craindre, je continuerai à veiller sur lui de loin au cas où je devrais intervenir un moment ou un autre. J'ai bien failli venir à son secours, l'autre jour, mais l'assurance que je sentais en lui m'a suffit pour me convaincre que je n'avais pas à faire le déplacement pour cette fois-là. Qu'il le veuille ou non, alors, je le regarderai en silence, tel un chat tapi dans l'ombre ou un chien suivant celle de son maître. Je ronronne en sentant une nouvelle fois son toucher, ses mots de velours venant caresser mes oreilles de manière forte agréable.

« Hmm... La proposition est tentante. »

Je suis toujours un gentil garçon. Enfin presque. Il m'arrive quelques bêtises quand je suis d'humeur, mais jamais rien de bien grave. Je crois. J'ai bien le droit de m'amuser de temps à autre, de toute manière.

« Mais ça va dépendre des événements. Je ne peux rien promettre pour le moment, tu sais ?.. »

Je ne suis pas très embêtant sur... Bon, si, je suis très embêtant sur beaucoup de choses, mais avec Natsume, c'est différent. Mon petit prince m'est réservé et je ne suis pas du genre à être très généreux. Voilà pourquoi j'ai quand même bien envie de remettre le sujet sur le tapis même si je doute que ça lui plaise vraiment.

« Voilà pourquoi j'aimerais savoir qui était ce séraphin avec toi. »

Mon regard se veut plus perçant, comme si j'essayais de deviner à quoi Natsume pensait en essayant d sympathiser avec un ange (de bas étage, qui plus est).

Je gonflerais presque les joues pour la forme. Bien sûr que je sais. Et bien sûr que je sais qu'il sait que je sais. Mais ce n'est pas la question. Je ne pardonnerai pas à cet ange d'avoir ramené Faust jusqu'au parc, pour un face-à-face avec Natsume. Ce dernier maîtrisait la situation sur l'instant mais ça aurait pu mal finir, et je ne tenais pas à ce que de vieilles blessures se ravivent. Je veux savoir également pourquoi mon petit prince se montrait si curieux à l'égard du séraphin. Je manquerai donc presque de faire la moue quand il m'éloigne de lui, n'aimant pas qu'il se permette de créer quelques distances entre nous même si je le laisse bien faire ce qu'il veut de moi. Je n'apprécie cependant pas trop qu'il me fasse des cachotteries.

« Ah oui ?.. Et si jamais Faust revient ?.. »

Assis sur le bureau, puisqu'il m'a déposé dessus, je fais jouer mes jambes dans le vide en les balançant mollement, esquissant une expression intriguée et un sourire joueur.

« Tu veux garder des petits secrets ?.. Mais je suis curieux, moi. »

Quittant ma place, je m'agenouille pour reposer mes bras et ma tête sur ses cuisses, levant mon regard dans sa direction.

« Pourquoi défends-tu encore ce séraphin ? Il t'a trahi... Je pourrais te venger tout de suite, si tu le voulais. »

Avec un petit sourire taquin, je continue de ronronner, appréciant la chaleur qui se dégage de son enveloppe charnelle. Ma main s'approche pour caresser sa joue et jouer avec son menton du bout de mon index, comme un chat qui s'amuserait avec sa pelote de laine.

D'ordinaire, c'est plutôt lui qui se met à s'inquiéter pour rien et à se créer des scénarios dramatiques ; voilà pourquoi il fixe son vis-à-vis d'un air dubitatif. Natsume pense que Samaël cherche des scénarios pour se justifier, alors il ne réagit pas plus que ça à sa proposition.

« Eh bien je l'accueillerais comme il se doit ; mais l'on ne va pas commencer à se faire dicter notre conduite en craignant leurs réactions. »

Une hypothèse qui lui hérisse le poil autant qu'elle l'agace. Le comportement de son ancien supérieur est bien la dernière chose qui l'intéresse. En plus de ça, la sensation que Samaël tente de gagner des points par des arguments malhonnêtes ne l'aide pas.
Pour autant, le brun à pics laisse l'autre s'installer sur ses cuisses, ne voyant pas vraiment de raison de l'éloigner plus que ça. Roulant lourdement ses yeux devant la dernière proposition de l'autre, si il sent un peu du fait que l'hypothèse ne lui plait pas beaucoup, il répond plus rapidement, le regard torve et désabusé.

[« Je ne le défends pas. Tu me lis bien mal si tu crois qu'il s'agit de défense : disons plutôt que j'attends de voir. J'ai mes raisons d'être curieux. Alors fais-moi plaisir, et tiens-toi tranquille. »

Un souhait compliqué, il en est conscient, mais cela ne l'empêche pas d'essayer. Par pure contradiction, d'ailleurs, il se permet de mordiller l'index qui vient frôler son menton, quelques lueurs agacées brillant dans son regard. Lorsqu'il relâche, il se permet une expression blasée, un petit mouvement de main agacée accompagnant sa mine.

[« Je préfère encore que tu me tiennes compagnie et que tu te montres chaleureux et tendre, mais si tu préfères à ce point parler d'un inconnu, je vais finir par devenir jaloux. »

… Ou par se lever et quitter la salle, aussi. Mais bon : après, l'autre allait se mettre à bouder et pour être honnête, Natsume préférait éviter tout le cycle de chignage qui suivait.