Avocat du Diable

C'est peut-être un peu trop tentant de le faire tourner en bourrique. Il est beau aussi quand il s'agace comme ça. Mais je sens quand même qu'il ne me donne pas toutes les réponses nécessaires.

« Ce n'est pas moi qui fait des balades dans le parc avec l'ennemi. »

Lui souriant toujours de manière féline et malicieuse, je me rapproche de lui pour frotter ma tête contre la sienne, prenant appuie sur son siège afin de me redresser un peu plus. Je m'installe finalement sur ses jambes en m'y étendant de tout mon long à la manière d'une princesse, plaçant mes mains de part et d'autre de son cou.

« Mais je ne serais pas contre une petite promenade dans un de tes espaces verts, mon loukoum. »

Heureux et satisfait qu'il aille jusqu'à demander ma tendresse, je glousse et ronronne de nouveau. C'est agréable de se sentir aimé. De se sentir privilégié. Je comprendrais presque pourquoi Mère ne voulait pas que nous aimions quelqu'un plus qu'elle. Si Natsume devait éprouver un amour aussi grand pour une autre personne, je ne m'en remettrai pas. Ce n'est pas la méfiance que j'ai avec ce séraphin aujourd'hui, loin de là, mais je pense juste qu'il peut être dangereux pour lui.

« Enfin, après un câlin, bien sûr. »

Mais l'heure n'est pas aux doutes ou aux craintes. Elle est à la douceur et à l'affection, deux choses que je lui réserve particulièrement. Une expression plus tranquille sur le visage, je rapproche le mien pour pouvoir lui donner un nouveau baiser. Je viens ensuite embrasser ses joues et sa nuque.

« Je veux bien être sage pour le moment... Mais ça n'a pas l'air d'être tant un inconnu que ça, je me trompe ?.. »

Je ne pense pas que Natsume se soit intéressé au séraphin pour une banale raison.

Il ne cache plus ses grognements de frustration et d'exaspération, maintenant. Il n'en a pas vraiment envie, car Samaël commence à pousser sa patience à bout. Même alors qu'il serait normalement attendri par la vision de son compagnon assis sur ses jambes, il n'a comme réaction que de froncer les sourcils d'un air agacé. La mine neutre, il roule un peu des yeux, se retenant presque de faire un commentaire sarcastique qu'il retient, pour le moment.
Même face à l'affection que l'autre lui donne finalement, il se retrouve à afficher une mine fermée, l'ego vexé. Réagissant peu face aux contacts de son partenaire, il hésite presque, sur le moment, à se lever et s'en aller. Ce serait toutefois l'option nucléaire, alors il choisit de se contenter d'une petite séance de snobage à peine discret. Les doigts crispés, il jette à son compagnon un regard presque perçant, ayant quasiment perdu patience.

« Si tu relances le sujet, je te laisse ici tout seul.»

Ce n'est pas une menace en l'air, d'ailleurs, car il commence un peu à en avoir marre. Il n'a pas envie d'en parler davantage, et l'insistance de Samaël est passée de vaguement imprévisible à fortement pénible. En parlant de ça, d'ailleurs, il fait mine de se lever, l'expression boudeuse et contrariée.

Je sens de l'agacement pointer en lui. Aussitôt, mon expression malicieuse s'efface. Je serais presque indigné par sa réaction s'il ne s'agissait pas de lui. Alors quand il se lève, je proteste.

« Hééé ! »

À mon tour, je me redresse légèrement et entoure sa taille avec mes bras pour éviter qu'il s'en aille.

« Reeeeste ! »

Il n'a quand même pas envie que je m'agace de nouveau sur les mortels pour me défouler ! Pff... Tout ça à cause d'un séraphin... Je ne vois le problème qu'il m'en dise un peu plus sur le sujet. Pourquoi ça le dérange tant ? Nous ne devrions avoir que peu de secrets l'un pour l'autre, je ne comprends pas. Cette histoire est bien étrange. Je trouvais ça d'abord bizarre qu'il s'intéresse à un ange, mais si ça l'énerve que je pose des questions là-dessus, c'est qu'il y a peut-être quelque chose à creuser.

« Tu vois ? Dès qu'on aborde le sujet, tu te braques. Tu ne veux pas en parler ? Tu me caches quelque chose ? »

J'esquisse ma plus belle mine de chien battu pour tenter de le faire craquer, testant le niveau d'exaspération dans lequel je l'ai plongé.

Natsume n'était pas de bonne humeur, mais il pensait que cela allait peut-être se calmer par le biais de la présence de son partenaire ; c'est tout l'inverse qui s'est produit. L'insistance de ce dernier n'a fait qu'agacer davantage le démon à pics qui est aussi frustré de leur conversation que de la manière dont elle a évolué. Ronchonnant en sentant les bras de son ami se serrer autour de sa taille, il lui jette par ailleurs un coup d'oeil en biais, attendant ou des excuses (mais il n'y croyait lui-même pas), ou un changement de sujet, qui ne vient pas. Encore une fois, Samaël l'interroge, et encore une fois, Natsume ne veut pas répondre. La mine triste que son amant affiche ne provoque chez lui qu'un froncement de sourcils de déplaisir, n'appréciant pas vraiment qu'il joue au chien battu à l'heure actuelle.

« Je ne me braquerais pas si tu n'étais pas plus préoccupé par le fait d'être invasif que par le fait de vraiment profiter de ma présence. »

Sa voix est sèche. Cela fait longtemps qu'il n'a pas utilisé un ton pareil avec Samaël ; leurs dernières disputes remontaient, en plus d'avoir été rares de base. Mais en plus de sa mauvaise humeur du début, il est maintenant vexé comme un pou et ne se sent plus vraiment de faire preuve de patience. Les sourcils froncés, c'est dans un grognement sec qu'il disparaît subitement, le vague son d'un battement d'ailes résonnant dans l'air. Ce n'était guère que la troisième fois en trois heures que cela lui arrivait.

Je ne comprends pas. Recevoir un tel regard, un tel ton de sa part, est bien rare quand c'est dirigé vers moi. Nos désaccords sont peu nombreux et je fais en sorte, d'ordinaire, de les éviter au maximum. J'ai tant voulu m'introduire dans ses pensées que je ne me suis pas rendu compte que je dépasser peut-être les bornes.

« Mais... Natsu... »

Il s'en va sans un mot de plus que l'acidité qu'il m'a lancé en plein visage. Et je reste là, agenouillé dans son bureau, les yeux rivés sur l'emplacement où il était quelques secondes plus tôt. Je peine toutefois à vraiment réaliser ce que j'ai fait de mal. Moi qui souhaitais juste en savoir un peu plus afin de l'aider... Je suis réellement méfiant envers les personnes qui peuvent lui faire du mal ; et je suis convaincu que... Que ce Liviel qui l'a trahi est le responsable de sa mauvaise humeur. Le fait que la tristesse ne soit pas un péché ne m'empêche pas de la ressentir ; pourtant c'est davantage de la colère qui m'envahit quand je pense qu'il aurait été plus heureux et serein s'il n'avait pas fait cette rencontre. Il ne m'aurait pas parlé comme ça. Il ne se serait pas éloigné comme ça. Poing et mâchoire serrés, je dévisage la sortie qu'il a emprunté, une animosité nouvelle m'entourant tandis qu'autour de moi des flammes apparaissent subitement dans des bruits d'explosion. Je devrais probablement m'excuser de mon comportement. Je suis pourtant bien trop fier pour ça. Une seule idée en tête me vient désormais.

« J'ai un séraphin à aller voir. »