Voile Miroir [TW Manipulation et comportement malsain]

Il était devant la porte, impatient, hésitant toutefois face à la démarche à suivre. Il était en avance d'une demie-heure. Etait-ce très grave ? Devait-il attendre ? Il ne voulait pas presser Natsume de lui ouvrir, mais le cadet n'aurait pas été très content d'apprendre qu'il patientait devant l'entrée sans oser frapper. Ce n'était pas son genre d'être nerveux, pourtant, mais il ne souhaitait pas brusquer son hôte qui l'accueillait depuis plusieurs mois déjà pour l'aider dans ses matières scientifiques. En entendant du bruit à l'intérieur de l'appartement et sachant qu'il pouvait sortir d'une minute à l'autre pour le découvrir sur le palier, l'Enodril se décida à toquer à la porte. Il était passé acheter une part de shortcake pour son professeur particulier (qui n'avait que un an de moins que lui) afin de lui faire plaisir et pour le remercier d'une certaine façon aussi. C'est d'ailleurs le paquet de ladite pâtisserie qu'il brandit à l'instant même où Natsume lui ouvre finalement la porte. En l'apercevant, un sourire transi se dessina sur les lèvres de l'aîné.

« Bonsoir. Je suis venu un peu en avance, j'espère que ce n'est pas trop embêtant... Je t'ai amené une surprise. »

Il n'y avait pas si longtemps, Natsume ignorait tout du réel métier de son élève. Mais même s'il avait été nommé Maître trois ans auparavant, Samaël n'en délaissait pas pour autant ses leçons. Il avait repris la fac pour avoir un diplôme afin d'assurer un métier quand sa place au sein de sa Ligue serait remise en question. Cela ne risquait pas d'arriver tout de suite, mais il avait préféré s'y prendre à l'avance et être certain de pouvoir rebondir par la suite. Ses études exigeaient toutefois de s'y connaître en mathématiques. Peu fort dans ce domaine, Samaël pouvait heureusement compter sur l'aide d'un expert en la matière. Voilà plusieurs mois qu'ils se réunissaient chez le Shimomura pour des cours particuliers, et ces derniers faisaient réellement progresser l'Enodril de manière étonnante.

Il posa son sac où il y avait ses habituelles affaires de cours, mais la chaleur qui montait au niveau de ses joues voulaient lui faire penser à autre chose que les équations qui les attendaient. S'il pouvait cacher ses réelles émotions avec aisance, voir le visage de son enseignant improvisé ne le laissait jamais vraiment de marbres, et en un sens, même s'il ne lui avait jamais divulgué son identité, il avait toujours voulu être naturel avec l'asiatique. C'était pratique d'avoir un bouton mental qui permettait de switcher son visage 'gentil' pour remplacer... Eh bien l'autre qu'il possédait.
Méfie-toi de tes proches, encore plus que tes ennemis.
Sa mère lui avait souvent répété ça. Souvent répété qu'il ne devait s'attacher à personne pour ne pas risquer un brutal retour de bâton. Mais il s'en était fichu. Les battements dans sa poitrine étaient incontrôlables, et il savait pourquoi.

Un master, c'est pénible, et le pire dans tout ça, quand vous êtes un étudiant étranger qui a coupé tous ses liens avec ses familles biologiques, c'est que vous vous retrouvez à faire tout un tas de trucs, à la fois pour votre CV et à la fois parce que mine de rien, faut bien manger un peu à la fin du mois (même si la fac vous paie une misère). Le tutorat était là pour ça, à la base et puis...

« … H-hé, c'est pas parce que tu me ramènes du gâteau que tu vas être exempté de probas. »

C'était tout ce qu'il avait trouvé à balbutier en ouvrant maladroitement sa porte, la respiration courte, l'esquisse d'un rictus faussement prétentieux et joueur au coin des lèvres.
Après avoir balancé et foutu maladroitement toutes ses affaires à ranger dans des coins de son appartement, il essayait de faire croire qu'il ne venait pas tout juste de faire ça, et qu'il était parfaitement à l'aise avec l'avance de son invité. Il n'avait pas prévu que ce soit si rapide ; du coup, il avait légèrement oublié de ranger ses affaires ou de rendre l'endroit un peu plus présentable. Ceci comptant ses médicaments et quelques papiers privés, ou même de boucher le trou à souris que le proprio de son studio continuait de faire passer pour une sortie d'air. Alors, avec précipitation, il avait tenté de faire tout à la fois, ce qui n'avait pas provoqué de grands miracles pour son asthme.

« C'est gentil, mais hm, tu me dois rien, hein. »

Il avait réussi à esquisser un sourire poli en se retournant, triturant nerveusement l'un de ses bras. Il avait eu besoin de ravaler sa salive une à trois fois pour finalement arriver à sortir une phrase qui ne soit pas une bancale tentative de retomber sur ses pattes comme le ferait un chat dans l'eau. Touché par l'attention de l'énolian, il avait néanmoins du mal à y répondre, peu habitué à ce genre d'interactions sociales, le laissant avec des joues rougies et l'équivalent d'un cri interne. Croiser son regard n'avait certainement pas aidé ; si il n'aimait pas regarder les gens dans les yeux de base (tsa obligent), il se surprenait de temps à autre à le faire malgré lui avec l'autre étudiant, quand bien même il s'en retrouvait toujours un peu secoué par la suite, bizarrement.
Ce n'est pas la première fois, toutefois, qu'il se retrouvait pris au dépourvu. Il constatait avec toujours plus d'incompréhension la facilité avec laquelle son cerveau se mettait à dérailler lorsque l'attention de son vis-à-vis lui était réservée ; une donnée qui le perturbait quelque peu, depuis plusieurs semaines. Durant les jours où la sérotonine se faisait plus rare, et où il n'arrivait à sortir de son lit qu'avec la menace de perdre sa bourse si jamais il continuait à sécher, savoir qu'il allait recevoir de la visite devenait une motivation suffisante pour avaler ses médicaments et faire ce qu'il avait à faire, même en serrant les dents.

Au début, pourtant, il ne lui avait pas grande impression. La fac ne le payait pas à faire attention, après tout, alors il se contentait d'écouter les étudiants en difficulté lui expliquait ce qui les dérangeait, et il essayait de leur faire comprendre la méthode du mieux qu'il le pouvait. Pour le coup, Samaël était même un peu étrange à ses yeux, en soi, et bien souvent, une partie de son cerveau lui faisait s'interroger sur ses comportements, comme si il aurait dû creuser davantage sur certaines expressions qui lui paraissaient étranges, mais... Bah, en soi, Natsume ne pouvait pas dire qu'il était mieux. Et de temps à autre, il aimait bien se dire qu'il n'était pas le seul un peu à l'ouest dans le coin ; du coup, il mettait le peu de doutes qu'il avait pu avoir là-dessus.
En outre, le courant était très vite passé, si bien que le Shimomura s'en était même retrouvé un peu perplexe. Il n'avait plus vraiment l'habitude de se comporter de manière amicale avec quelqu'un depuis longtemps, alors ses réflexes et quelques codes qu'il avait pu apprendre étaient rouillés, maladroits, souvent peu adaptés, et parfois franchement ridicules. Il aurait cru que cela s'effacerait avec le temps, mais non, bien au contraire. Pour une raison qu'il ignorait, la situation semblait même empirer avec le temps. En soi, ça n'avait aucun sens, puisqu'il semblait à Natsume qu'il était de plus en plus à l'aise avec la présence de l'Enodril, si bien qu'il oubliait parfois qu'il était là : et venant de quelqu'un qui ne supportait pas que l'on soit à dix mètres dans son espace vital, c'était assez significatif. Il se surprenait même à l'apprécier, par ailleurs, même quand ils ne se disaient rien et qu'il n'y avait plus qu'un régulier bruit de crayon sur du papier. L'accueillant avec un sourire à chaque fois, quoique marqué par une forme de timidité qui n'avait plus vraiment sens maintenant, il se retrouvait donc souvent à ne pas savoir quoi dire une fois qu'ils arrivaient près du bureau.

« Attends, du coup, j'ai pas viré Hayato, et il va... »

Un feulement bien marqué le fit soupirer et rouler des yeux. Son regard amical se fit désabusé et las, si bien qu'il se contenta d'un silence coléreux en rappelant son Luxio dans sa ball. Quand bien même il ne comprenait pas du tout le comportement de son pokémon, il était toujours gêné de voir que ce dernier semblait toujours bizarrement agressif en présence de son élève improvisé. Il se contenta d'une vague excuse avant de s'asseoir sur le haut du coussin de son clic-clac, là où il se mettait toujours pour permettre à l'aîné de s'installer au bureau et pouvoir écrire convenablement.

« Comme d'habitude, j'ai dosé les exercices en fonction de tes résultats et de ce que tu veux voir. J'ai un programme en tête, mais on peut le changer, enfin, tu sais, à force. »

En se raclant une nouvelle fois la gorge, il ne remarqua pas que ses doigts s'étaient mis à jouer machinalement avec un fil de son coussin ; fil qui, à force qu'il le tripote sous le coup de la nervosité, allait bien finir par défaire tout l'oreiller, au passage.

« Tu, euh... Du coup, ça s'est bien passé, pour ton dernier examen ? »

La question l'intriguait vraiment, pour le coup, et n'était pas une simple bribe de conversation balancée comme ça.

Il aimait un peu trop ses propos faussement prétentieux. Préservant une certaine fierté d'avoir réussi à s'approcher du Shimomura qui ne s'ouvrait pourtant pas ainsi à tout le monde, cela raffermissait assez son ego. Il appréciait l'effet qu'il lui faisait, remarquant sans mal les quelques rougeurs sur les joues de Natsume quand bien même il savait posséder les mêmes. Il ne s'était pas attendu au départ à provoquer ça chez le cadet, mais ça n'arrangeait clairement pas son arrogance. Ils ne l'étaient jamais avoué, mais c'était clair qu'il y avait peut-être un peu plus que de l'amitié entre eux. Cela allait pourtant très bien à Sam de faire comme si de rien n'était tout en profitant quand même de sa présence, alors il jouait le jeu, quand bien même il était bien plus à l'aise avec ce sujet que son camarade.
Sa garde baissée face au japonais, il sursauta légèrement en entendant le feulement de Hayato qui lui était adressé. Samaël se contenta d'esquisser un faux regard innocent devant le Shimomura avant de sourire d'un air fier. Au moins, ils ne seraient pas dérangés par cette boule de poils électrique. L'Enodril n'avait rien contre les Pokémon, mais il n'était pas assez bête pour comprendre les raisons qui poussaient le Luxio à se méfier de lui depuis toujours. Il savait que les Pokémon pouvaient sentir certaines choses... Et il n'était pas bon pour son professeur particulier d'apprendre quelques vérités. Il était juste satisfait à l'heure actuelle de pouvoir profiter pleinement du biologiste sans qu'on ne vienne les embêter. En écoutant son interlocuteur, il installa son cahier ainsi que son livre sur le bureau qu'il lui prêtait gentiment à chaque fois.

« Mes résultats grimpent en flèche. Grâce à toi. »

Il s'assit, prêt à commencer, savourant la voix du plus jeune qui sonnait comme une douce mélodie à ses oreilles depuis le premier jour. Douce et suave, elle le berçait, rendant les cours agréables à suivre. Buvant ses paroles, il n'était pas étonnant qu'il ait fait tant de progrès avec son aide. Avec un sourire malicieux et joueur, il plongea son regard dans celui du hérissé.

« Je ne sais pas ce que je ferai sans vos précieux cours, Monsieur Shimomura. »

Amusé, il ouvrit son carnet où étaient inscrits déjà des tonnes de calculs sur lesquels ils avaient planché ensemble. Au fil des pages, on remarquait que de moins en moins de fautes étaient faites et il n'y avait, sur la fin, plus aucune trace de rouge de correction. Mais sans aucune honte, Samaël faisait parfois exprès de faire des fautes pour que le cadet fasse attention à lui ; et ça marchait. Alors il était content. Mais les dates se succèdent, dans son cahier, et le Maître s'aperçut d'une chose.

« L'année se finit bientôt... »

C'était passé vite. Trop vite à son goût, même. Mais entre les cours le jour et la dictature montante la nuit, il n'avait pas vu le temps passé. Et il aurait pu continuer à fixer son enseignant pendant des heures encore.

« Même quand je n'aurai plus besoin de tes conseils, on pourra toujours se voir, pas vrai ? »

Il releva son visage en direction des yeux noisette de son ami, un regard plein d'espoir.

Pour tout dire, son interlocuteur n'était pas le seul élève qu'il avait eu ; toutefois, il était le seul avec lequel le courant était suffisamment bien passé pour que, après six ou sept séances passées dans une salle de fac, il lui indique qu'il pouvait directement venir chez lui. Un détail qui n'était pas étranger à ses difficultés à rester dans le bâtiment universitaire, également, mais dans les faits, c'était aussi que sa présence ne lui était pas excessivement pénible. Oh bien sûr, il y avait eu des fois, mais... Mais petit à petit, il avait pu se mettre plus à l'aise, et se retrouvait donc à s'intéresser à ses résultats, curieux de ce que donnaient leurs heures de pratique. Avec tant d'efforts, c'était presque devenu personnel aux yeux du Shimomura, tant par curiosité que par fierté et également par intérêt envers les progrès de son vis-à-vis. Un intérêt différent de celui qu'il pouvait avoir d'ordinaire par sa force, mais qu'il n'interrogeait pas davantage, bien content de regarder ailleurs dès que les éléments commençaient à s'accumuler vers une piste particulière.  
Machinalement, il se mit à triturer le joujou qu'il utilisait pour se détendre avec plus d'intensité quand le remerciement indirect de l'Enodril parvint à ses oreilles, sentant ses joues chauffer et son regard s'en aller fixer un point du mur (abîmé), tapotant du pied sur le sol avec plus d'insistance sans même s'en rendre compte. Si il aurait pu répondre par un commentaire bateau, il se retrouva à peser le pour et le contre de chaque réponse quarante fois avant de se rendre compte que le délai social acceptable était dépassé depuis un bail, si bien que, embêté par sa propre lenteur, il se contenta d'esquisser un simulacre de rictus prétentieux.

Pour autant, il fut rapide à se reconcentrer sur ce qui était à faire. Malgré son hyperactivité habituelle, les maths faisaient partie de ces choses sur lesquelles il arrivait à se concentrer de manière importante. Oh, il s'en retrouvait toujours assez fatigué à la fin, mais ça ne le dérangeait pas vraiment, de vider ses batteries pour passer un peu de temps avec son ami. Attentif, il étudiait ses réactions face aux problèmes, jaugeant les lenteurs et les rapidités nouvelles, apportant de temps à autre un commentaire pour l'éclairer ou le guider lorsqu'il s'apercevait d'une complication. C'était habituel, en un sens, mais bizarrement rassurant à ses yeux, comme une routine régulière dans ses semaines qui pouvaient parfois n'avoir rien de stable. Lorsqu'il recevait une (autre) lettre de la préfecture qui ressentait le besoin de recevoir une (autre) copie de son visa et de ses papiers d'identité (encore) pour un « contrôle de routine », il pouvait toujours se réconforter en se disant qu'au pire, il pourrait poser sa tête sur le haut du coussin de son canapé et regarder distraitement les traits de l'autre lorsqu'il réfléchissait et la manière dont ses doigts se déplaçaient sur le papier. La régularité de la chose, de temps à autre perturbée par ses questions, avait le don de l'apaiser.

Face à son air malicieux, l'asiatique hausse légèrement les sourcils, curieux quant à ce qui était clairement une plaisanterie, mais dont il ne saisissait pas nécessairement l'amorce. Si il lui aurait probablement répondu d'une manière on ne peut plus littérale avec quelques secondes de plus, l'énoncé de son nom de famille le crispa aussi instinctivement que rapidement. S'il n'en exprima rien au début, il essaya de faire passer le message par le biais d'une plaisanterie à moitié sérieuse.

« … Sans le nom de famille, je prends le compliment. »

Se rattrapant sur les exercices qu'il surveillait distraitement, sa prise sur son joujou se défaisant, il laissa sa tête s'installer tranquillement entre ses propres bras, gardant un œil avisé sur ce qui était écrit. Le silence ne le dérangeait jamais ; au contraire, même. Il s'y prélassait confortablement, ne relevant que ce qui lui paraissait important.
L'énonciation de l'énolian, toutefois, le sortit de ses pensées. En clignant des yeux, il ne vit pas tout de suite où il voulait en venir, se retenant presque de sortir un « oui. » qui aurait probablement mis un froid : ce ne fut qu'à la question qui suivit qu'il comprit. Pendant trois secondes, il fut assez surpris ; il n'y avait pour ainsi dire pas vraiment réfléchi. L'idée qu'ils allaient bientôt arrêter d'être « obligés » de se voir ne lui était même pas passé par l'esprit. Inconsciemment, il s'était habitué à une certaine routine, et il n'avait pas considéré le fait qu'ils étaient supposés s'arrêter.

L'interrogation de Samaël reflétant tout naturellement son désir sincère de revenir le voir ici, Natsume ne sut pas tout de suite comment répondre, buguant un peu face à ce qui était une claire démonstration d'appréciation. Se rendre compte que son élève improvisé avait vraiment envie de partager sa présence fit bourgeonner quelque chose de chaud et d'agréable dans sa poitrine, le troublant quelque peu par le fait que c'était loin d'être la première fois qu'il était aussi inutilement flatté par quelque chose de somme toute assez ridicule à ses yeux ; ou du moins, qui n'aurait pas dû susciter chez lui une pareille satisfaction.

« … Réussis ton partiel, et peut-être que je te donnerais la permission de venir croupir dans mon appart sans clim durant l'été. »

Il esquisse un rictus joueur et taquin tout à la fois, gloussant quelque peu face à sa propre plaisanterie qui n'en était pas vraiment une ; il était vrai qu'on mourrait de chaud ici, dès qu'arrivaient les températures estivales. En même temps, vu la qualité de l'isolation (et son proprio qui refusait de la refaire), il n'était pas étonnant que les combles où il vivait soient un cagnard. Toutefois... Il mentirait si il disait que ne pas être tout seul de temps à autre rendrait ça plus supportable.

« Mais fais-moi plaisir, chope la mention, que je vois la tronche décomposée de ton prof de TD. »

De ce qu'il lui avait dit, et au vu des « conseils » bien peu charmants qui avaient été prodigués à son ami, il gardait une petite satisfaction mesquine à imaginer sa tête devant une situation pareille. Vexé comme un pou alors qu'il n'avait pas été celui qui avait été rabaissé, il avait, en entendant ça, redoublé d'efforts pour qu'il comprenne mieux par la suite. Bizarrement, que l'on le rabaisse lui avait tant déplu qu'il s'était trouvé une batterie d'énergie dont il ignorait même l'existence auparavant.
Néanmoins... Néanmoins, après ça, oui, il n'y aurait plus vraiment ce prétex-hm, ce motif, alors il ne voulait pas laisser d'incertitudes entre eux. En passant une main sur sa nuque, il se mit à tripoter son stimtoy avec plus de régularité dans l'autre, le regard posé sur le cahier.

« Mais... T'es le bienvenu, ici. Hormis Hayato, tu déranges personne. »

'Et surtout pas moi', dirait-il si il n'était pas enfoncé dans cinquante couches de déni et refoulage, mais il n'en avait aucunement le courage. En lisant une ligne sur deux, ses yeux arrivèrent toutefois à se poser sur un ensemble de lettres et de chiffres qu'il décoda sans grande peine, avant de cligner des yeux plusieurs secondes après, surpris. D'une voix plate mais curieuse, il ne put s'empêcher de commenter.

« ... C'est pas mal, ta solution. Je n'y aurais pas pensé. »

Sans même qu'il ne s'en rende compte, le début d'un léger sourire venait d'incliner ses lèvres en une mimique douce, tandis qu'un éclat de fierté passait dans son regard.

Il fut surpris de sa réaction, pensant lui faire plaisir. Il comprit bien vite que c'était peut-être une erreur quand l'autre le corrigea, mais ne lui en tint pas rigueur plus que ça. Soulagé, il gloussa un peu devant sa vanne (qui n'en était pas vraiment une). Il voyait bien les conditions dans lesquelles il vivait, et ce n'était, en effet, pas vraiment l'idéal. Combien de fois il avait rêvé de l'inviter chez lui pour le garder... Son salaire de Maître lui avait permis d'acquérir une maison plus que convenable qu'il avait acheté exprès pour pouvoir y faire venir son professeur particulier. Il avait peur toutefois qu'il se pose certaines questions, s'il était trop curieux ; ou qu'il découvre des choses. S'il savait, pour son métier à la Ligue... Que dirait-il, alors que la réputation de la Compétition tentait de moins en moins de monde et qu'ils avaient surtout la force et la puissance pour eux qui faisait que personne ne les contredisait ?.. Il avait peur de ce qu'il pourrait dire. Mais un jour... Un jour, il faudrait qu'il lui révèle tout ça, il le savait. Alors il voulait d'abord le mettre dans ses filets. Le convaincre que ce qu'il faisait était juste. Le faire devenir comme lui. Et ainsi... Ainsi ils pourraient être heureux ensemble. Oui, c'est ce dont il rêvait.

Il ne devrait pas glousser d'imaginer la tête que son prof de mathématiques officiel tirerait quand il lui montrerait sa prochaine note. Il était sûr de lui et du fait qu'il allait réussir, grâce à l'enseignement de son ami. Il fallait dire qu'il avait été bizarrement très attentif et qu'il avait hâte de faire ravaler à l'autre con les paroles incisives qu'il lui avait sorti pour le faire décourager de continuer dans sa voie alors que c'était ce qu'il désirait. S'il savait... S'il savait le pouvoir qu'il allait acquérir, lui comme tout le reste ne se seraient pas moqués de lui. Et plus personne n'allait le faire, d'ailleurs. Il s'en assurerait.
Il était satisfait, toutefois, de savoir qu'il ne le dérangeait pas. Ou plutôt, d'avoir cette confirmation, puisqu'il s'en doutait fortement. Connaissant son comportement, s'il ne le supportait, cela ferait longtemps qu'il l'aurait dégagé ; il ne l'aurait pas invité chez lui en premier lieu, d'ailleurs, mais vu la régularité de cette situation, alors ça voulait bien signifier que l'Enodril n'était pas une gêne. Leur rapprochement particulier n'aurait pas pu être fait non plus, sinon.
Ce qu'il le prit au dépourvu fut néanmoins la remarque du cadet quant au résultat qu'il avait donné dans son carnet. Rarement capable d'être surpris, il réussit à être étonné par les propos du Shimomura et regarda lui-même ce qu'il avait écrit, ne s'étant pas attendu à ce qu'on le complimente là-dessus. Cela eut le mérite de lui brosser l'ego dans le sens du poil, au moins.

« Venant de ta part, c'est très flatteur. Je ne connais pas meilleur dans ce domaine que toi. »

Glissant un sourire, il espérait lui faire plaisir, le sachant sensible aux gentils mots qui touchaient aux domaines dont il pouvait se vanter. Et en un sens, il le pensait réellement. Il estimait en effet tant le japonais qu'il clamait que personne ne pouvait être meilleur que lui. Une obsession déraisonnable qu'il s'efforçait de cacher en public.

« Tu me laisserais aussi t'inviter à un bon restaurant, si je réussis mes examens ? En remerciement, de tout ce que tu as fait pour moi. »

Qu'est-ce qu'il y avait de mieux qu'une sortie au restaurant pour passer un bon moment en si belle compagnie ? Il n'était pas dupe ; il voyait bien que son ami ne roulait pas sur l'or. Alors il souhaitait le choyer comme il pouvait, lui offrir tout ce dont il rêvait, si seulement cela lui permettait de rester avec lui.

« Enfin, pour ça, j'imagine que je ferais mieux de continuer à travailler. »

Parce que mine de rien, ils n'avaient pas fini. Avec les connaissances en la matière qu'il avait acquise, Samaël savait bien mieux faire les calculs et il était donc plus rapide, mais le repos ne serait donné que lorsqu'il en aurait terminé. Dans un nouveau silence, il termina les exercices du jour avec une facilité déconcertante. Mais il ne l'avoua pas au plus jeune tout de suite. Il préféra faire semblant de faire comme s'il continuait, mimant une expression concentrée avant que ses yeux ne dérivent vers le hérisson. Le regard sur son jeu, celui-ci ne sembla pas tout de suite remarquer qu'il était observé, attendant probablement que son élève l'appelle. L'aîné en profita donc pour détailler ses traits. Détailler ses prunelles marron clair fixés sur son jouet. Détailler aussi les traits fin de son visage et cette peau qu'il avait envie de toucher, de caresser. Comme cette fois où ils s'étaient un peu trop approchés.
Au moment où Natsume remarqua enfin son manège, Sam ne détourna pas le regard mais fit briller dans ses iris une lueur d'affection réelle.

« Excuse-moi. Tu es un peu distrayant. J'aime bien te regarder, mais je ne veux pas que ça te gêne. »

Il ne voulait pas le gêner, mais... Il aimait un peu trop ce qu'il voyait, il n'allait pas mentir là-dessus. S'il se le permettait, il passerait des heures à le mater, mais il n'était pas venu pour ça, de base. Il pourra bien s'autoriser cependant un moment de détente, si Natsume juge qu'il aura suffisament travaillé.

« Ça, c'est parce que tu ne connais pas les chercheurs. Tu verrais ma directrice de recherche... Elle a des méthodes incroyables, même avec trente ans de plus, je ne lui arriverai pas à la cheville. »

Le compliment était dirigé vers lui, mais... Il ne l'avait pas vraiment réalisé. Bien vite, son esprit avait glissé d'ailleurs, vers quelqu'un qu'il trouvait plus à même de définir le meilleur de son domaine, et il se retrouvait à sourire d'admiration bête en repensant aux séminaires de la violette. Elle avait été la seule à l'aider un peu durant ses années de licence, et à guider ses questions pour qu'il puisse progresser, lui permettant même de venir assister aux cours dès la l3 pour satisfaire sa curiosité. Même durant la construction de son projet de recherche, il se sentait immensément chanceux d'être accompagné par quelqu'un de bien plus brillant que lui, et dont il espérait sincèrement ne pas décevoir les attentes. Inconsciemment, son regard s'était même fait brillant.

Il haussa toutefois les sourcils face à sa proposition, confus quant à la logique de l'aîné, sa mine se faisant perplexe au fur et à mesure que les secondes passaient. Si il avait conscience que dire « nan j'ai horreur des restos et en plus ça pue les bourges ça me rappelle ma famille » serait moyennement poli, la nervosité imposée par le fait de devoir trouver un moyen de refuser poliment n'était pas franchement mieux : voilà pourquoi il esquissa une grimace, embêté.

« … C'est gentil, mais... Les restaurants, c'est pas mon truc. Enfin, le bruit, le cadre, juste... Mais un thé, ça se discute. »

Il haussa les épaules, l'air de rien, incertain quant à ce qu'il était supposé dire. Il avait déjà une sainte horreur qu'on lui paie des trucs, alors en plus, dans un cadre qu'il détestait... Toutefois, si cela voulait dire que l'Enodril arrêterait de se sentir reconnaissant, il était près à céder sur un thé et un gâteau, à la limite. Même si avec le monde, les sons et les odeurs, il était probable qu'il ne tienne pas longtemps. Heureusement pour lui, toutefois, l'autre changea de sujet, retournant à ses calculs qui n'allaient pas se faire tout seul. Pour une fois, il était assez satisfait de ça, d'ailleurs.

Retournant s'occuper comme il le pouvait, il avait toutefois du mal à réfléchir à quarante choses en même temps comme il le faisait d'habitude. Ses mouvements sur son joujou se firent plus irréguliers, rendu incertain par les questions successives de l'aîné depuis tout à l'heure. Quelque chose semblait le tracasser, ou du moins, devait lui tourner en tête, mais Natsume n'aurait pas su dire quoi exactement. Ce n'était pas rare, en soit, qu'il cache des choses, mais ces derniers temps... Le scientifique n'aurait pas su dire quoi, mais il semblait plus agité. C'était probablement les examens à venir, en un sens, et il se surprit presque de la facilité avec laquelle il se dit que oui, c'était totalement ça, et qu'il valait donc mieux penser à autre chose. Inconsciemment, il avait tout de même passé une bonne dizaine de minutes sur ces réflexions.

En relevant son regard vers ce dernier pour vérifier ce qu'il faisait, il croisa celui de l'énolian, qui semblait...
... Mais j'ai un truc sur la face, ou... ? Il a jamais vu d'asiat de sa vie ?
Perplexe, il plissa les yeux, assez confus quant à cette habitude somme toute récurrente. Jamais certain de la manière dont il était supposé réagir, bien qu'une part de lui était plus que flatté par l'attention qui lui était destinée, il se retrouvait toujours à réagir de manière très plate. Il avait comme l'impression, de temps à autre, qu'il attendait un type de réponse particulier à une question implicite qui, n'étant pas posée, lui donnait encore moins de pistes. Trouvant cela assez frustrant, il faisait donc comme il pouvait pour ne pas créer un silence gênant.

« … Pas sûr que ça t'aide à éviter tes erreurs, tiens. »

Avec un petit rictus, il avait pris une règle pour tapoter sur une zone du cahier de son ami où il avait repéré une faute. Oh, peut-être était-ce une méthode pour éviter un « ok » et un blanc qui auraient pu être gênants, mais personne ne pourrait le prouver. Néanmoins, quand il y pensait deux secondes, il arriva à la conclusion que ce n'était possiblement pas anecdotique. Samaël était après tout collé à ses équations depuis une petite trentaine de minutes déjà. En se relevant un peu pour s'asseoir sur le haut du coussin où il posait auparavant sa tête, il reprit la parole d'un ton neutre.

« Tu t'ennuies ? On peut prendre une pause, si tu veux, tu auras les neurones plus rapides, après, je t'ai senti un peu lent. »

Il avait supposé que c'était normal : tant qu'il comprenait, la vitesse viendrait avec le temps, alors il ne s'était pas interrogé sur son étrange lenteur. Bizarrement, il n'aimait pas trop l'hypothèse que ses exigences le fatiguent.

Tous ses plans tombaient à l'eau, concernant à la fois son compliment pour le flatter et à la fois la sortie qu'il avait proposé. Pestant intérieurement, il ne se laissait pas décourager pour autant. D'autres occasions se présenteront où il pourra le faire rougir de nouveau. Pour un peu, il aurait bien aimé l'intimider par son regard insistant, mais il fallait croire que ça ne marchait pas non plus. Le testait-il ?.. Samaël se le demanda. Il fut curieux de l'erreur qu'il lui pointa, surpris qu'il en ait encore fait malgré tous les cours qu'il avait reçu. Mais en constatant qu'il avait bel et bien exécuté une étourderie, ses yeux jaunes se mirent à briller. L'intelligence de Natsume ne le laissait pas de marbre et il se sentit d'autant plus séduit par la manière dont il avait de lui montrer ses défauts. Il s'inquiétait même de son état de santé. Qu'il était bienveillant...

« Oh... C'est... C'est juste que... »

Il prit un faux air timide avant de s'emparer de son cahier et de se lever de sa chaise. Puisque ce n'était pas la première fois qu'il le faisait, il se permit de s'asseoir à côté du Shimomura en se rapprochant de telle sorte que leurs épaules se retrouvaient collées.

« Je n'ai pas bien compris le problème trois de la page soixante-neuf. Tu veux bien me réexpliquer ? »

Puant l'innocence factice mais au jeu d'acteur inégalé, il ouvrit son livre de mathématiques sur lequel était griffonné quelques astuces au crayon noir.

« Je pense que je ne dirais pas non à une pause par la suite. »

Un nouveau sourire léger se dessina sur ses lèvres, désireux de se montrer plus direct afin de faire avancer les choses. C'était bien gentil de faire des cours chez lui, mais il fallait aussi que ça serve à quelque chose, et pas que à le faire progresser au niveau de cette matière. Il comptait bien l'attirer complètement dans ses filets, même si l'autre ne semblait pas comprendre toutes les allusions qu'il s'efforçait de faire.

En le voyant se rapprocher, il n'eut pas de mal à comprendre que quelque chose devait le déranger ; ou du moins, c'était ce qu'il supposait en le voyant prendre cette tête-là. Curieux mais perplexe face à ce rapprochement qui n'était pas forcément nécessaire mais dont il n'allait pas se plaindre, il se sentit toutefois se tendre lorsque leurs épaules s'accolèrent. La chaleur intense que suscita ce contact somme toute très sommaire le prit par surprise, quand bien même ce n'était pas la première fois que cela arrivait, même si il serait très doué pour dire que « euh oui enfin euh oh » ou d'autres bêtises du genre. Bien que le contact physique et les intrusions dans son espace vital avaient le don de le faire sortir de ses gonds en temps normal, il avait constaté, progressivement, que la règle tendait à moins tenir face aux approches du plus âgé. Très tactile, ce dernier ne faisait donc visiblement pas attention, et depuis le temps, Natsume ne sentait pas le besoin de l'éloigner. Au contraire, même, bien qu'il avait du mal à comprendre pourquoi il était si l'aise quand il avait pourtant tendance à grogner dès qu'on le frôlait dans les couloirs de la fac.

Pour autant, il afficha une mine de marbre, concentrant son attention sur le problème énoncé et montré par Samaël. En plissant les sourcils, il s'interrogea très sérieusement sur ce qui pouvait poser problème à son camarade, saisissant distraitement le crayon qui se trouvait entre ses doigts pour lui donner un exemple. La pause était oubliée, soudainement ; Natsume avait trouvé quelque chose pour l'occuper, et il ne pensait donc plus qu'à résoudre le léger problème sous ses yeux.

« Attends, si tu respectes les priorités et que tu appliques la règle, normalement... »

Il était un peu corsé, celui-là, en réalité, alors il saisissait mieux les difficultés du brun aux cheveux lisses. Pour autant, il ne lui fallut pas longtemps pour démêler les premières complications, prenant machinalement des notes pour bien détailler son processus (quelque chose qu'il faisait assez rarement par lui-même, alors ça n'était pas plus mal) et l'expliquer entre deux opérations à son interlocuteur.
Si son regard ne quitte pas le livre, il ne peut pas nier qu'il prendrait presque son temps, actuellement. La chaleur contre son bras est agréable, quand bien même il a conscience que cela doit être assez ridicule de sa part, de vouloir la conserver contre lui. Ce n'est pas la première fois que cela arrive, en un sens ; la scène s'était déjà répétée plus d'une fois au cours des derniers mois, se faisant même plus fréquente depuis quelques semaines. Il y a quelque temps, même, c'était allé plus loin, mais il n'avait pas voulu s'interroger très longtemps, parfaitement conscient qu'il faudrait ensuite se poser des questions. De temps à autre, il se surprenait à apprécier d'être vaguement collé à son dos ou de s'incliner un peu sur un de ses côtés, comme un appui familier pour qu'il puisse ensuite porter son regard sur il ne savait quoi. Son visage, pourtant, n'est pas rouge, pour la simple raison qu'il se sent bien, à l'heure actuelle, et que la chaleur germant dans sa poitrine est agréable, rassurante. Inconsciemment, il s'incline un peu davantage, se sentant parfaitement à l'aise.

Au bout d'une à deux minutes, néanmoins, le problème est vaincu avec précision et propreté. Ou du moins, pas vraiment. Quelques petites opérations restent à effectuer. Se permettant enfin de relever la tête vers son interlocuteur, il esquisse une moue prétentieuse, une lueur de défi dans le coin de l’œil.

« Allez, t'es capable de le finir, celui-là. Pas de pause pour toi, sinon. »

Le chahuter un peu était également devenu quelque chose qu'il avait appris à apprécier au fur et à mesure des jours, comme une marque d'affection un peu vache, de temps à autre. Il ne se rendait même plus compte d'à quel point cela devenait fréquent, en réalité, mais dans les faits, cela ne le dérangeait pas tant que ça. Cela lui donnait l'impression, de temps à autre, de partager quelque chose avec quelqu'un qu'il appréciait probablement plus que de raison ; ou du moins, plus que ce qu'on lui avait pris comme raisonnable. De temps à autre, les conseils de Namiko revenaient à ses oreilles, mais il avait mis un point d'honneur à ne pas les écouter depuis qu'il était arrivé ici.

Constatant qu'il ne le repousse pas, l'Enodril esquissa un sourire de satisfaction avant de se concentrer sur les explications de son ami. Sa tentative d'approche avait été un succès. Bien sûr, en vérité, qu'il savait comment résoudre ce problème. Qu'il était pourtant si agréable d'avoir l'attention du cadet pour lui tout seul ! Il était bien content de ne pas avoir à le partager avec Hayato, même si Natsume persistait avec ses expressions orgueilleuses.

« Mais c'est toi qui m'en as proposé une y'a deux minutes ! »

Blagueur, il leva dramatique les yeux au ciel avant de lui rendre son rictus et de terminer le problème lui-même.

« De toute façon... »

Il avait déjà les réponses. Prenant son crayon de papier, il lui suffit de quelques coups sur le papier pour marquer sa propre proposition. Triomphant, et espérant ne pas se prendre de faux espoirs en retour, il tendit à son camarade le carnet pour qu'il puisse vérifier ses résultats.

« Voilà ! Alors, alors ?.. Ai-je mérité ma pause ? »

Il était chiant, mais c'est qu'il avait vraiment envie d'une pause, maintenant que l'autre lui avait proposé. Il aurait ainsi plus de chance de s'approcher de lui, puisqu'il ne serait plus concentré sur les maths. Mais la façon dont il se penchait un peu dans sa direction lui plaisait déjà pas mal, pour tout dire, et il ronronnait intérieurement de ce contact plus qu'appréciable. Comme si de rien n'était, il saisit même sa chance en posant doucement une main sur la cuisse de l'autre avant d'approcher son visage en arborant une mine taquine et joueuse.

« Mais je te préviens, si je vois encore une lettre 'x' quelque part, je crise ! »

Amusé de son propre agacement pour les maths, il se met à glousser. Il l'avait déjà approché comme ça auparavant. Cela s'était plutôt bien terminé pour lui. Avec espoir, il voulait se convaincre que ce n'était pas juste un coup du hasard et qu'il pouvait essayer de recommencer.

Une moue moqueuse au coin des lèvres, il ne put que glousser face aux protestations de l'aîné ainsi que les grands airs qu'il se donnait pour la forme.

« Ah bon ? J'ai dû oublier, c'est très triste. »

Son expression s'est faite faussement innocent et naïf, comme si il n'était pas du tout conscient du fait qu'il jouait un peu à faire tourner son vis-à-vis en bourrique. En dépit de ses tentatives, toutefois il a du mal à garder sa mine prétendument ingénue, sentant ses épaules se relever un peu sous le coup du léger rire qui le prend.
Gloussements qui s'arrêtent néanmoins lorsque son interlocuteur finit par résoudre l'équation sans trop de soucis, lui faisant hausser les sourcils avec surprise, puis pousser un petit sifflement admiratif en s'apercevant que les résultats sont effectivement justes. Pour autant, un détail le fit tiquer.
... Et il avait du mal avec le début...? Bah, ça arrive, les lenteurs.

Satisfait de sa réflexion, il finit par sourire légèrement, d'un air un peu hautain.

« On va dire oui, j'ai pitié de toi. »

Et de toute façon, ses jambes commençaient à fourmiller à force de rester en position, sans parler de son joujou qu'il était en train de massacrer sous ses doigts. Il aurait d'ailleurs bien commencé à se dégourdir les jambes si la main de l'Enodril ne s'était tout à coup pas posée sur sa cuisse comme si de rien n'était. Surpris, il cligne des yeux au départ, ne comprenant pas vraiment ce qu'elle faisait là, mais dans les faits, il s'en fichait un peu. Ou du moins, ça ne le dérangeait pas plus que ça, bien qu'il avait conscience qu'il serait probablement attendu de lui qu'il l'éloigne. Cela faisait quelques semaines, néanmoins, que ce genre de choses ne l'embêtait plus. Au contraire, même, puisque cela le tranquillisait plus qu'autre chose. De ce fait, il ne réagit pas particulièrement ; en revanche, il ne comprend pas pourquoi le léger sourire sur son visage refuse de s'en aller, ni d'où il est venu.
Il met toutefois un temps à comprendre que s'il voit les traits de son vis-à-vis avec tant de facilité, ce n'est pas un cadeau de sa myopie, mais bien avec une possibilité permise par sa proximité soudaine. Désarçonné au départ, il ravale inconsciemment sa salive, sentant une bouffée de chaleur monter de sa poitrine à son propre visage. Il y a quelque chose de familier à cette situation, en réalité, mais il met quelques secondes à le réaliser, avant que des images passées ne viennent surgir dans sa tête, réchauffant d'autant plus ses joues. Il tend à éviter d'y penser, il faut le dire, mais... Mais une partie de sa tête n'a définitivement pas oublié, et fait se nouer un nœud d'anticipation dans le fond de sa gorge qui, immédiatement, induit chez lui une certaine nervosité. Nervosité qui le fait parler subitement, sans qu'il n'ait réfléchi une seule seconde.

« … Quoi, tu préfères les 'y' ? »

C'était sorti comme ça, davantage pour parler et briser le silence qu'autre chose. Question parfaitement sincère toutefois, car il a très sérieusement compris la plaisanterie de l'autre comme une complainte quant à la sur-présence de la lettre 'x' et non comme une tentative de rire un peu avec lui.
Pour autant, il n'a pas bougé. Sans doute qu'il devrait, mais en même temps, vu la présence de la main de l'autre sur sa cuisse, il a l'impression que ce n'est pas forcément cas. Mis devant un dilemme entre deux parties de son cerveau, l'une étant clairement partie aux Bahamas et l'autre étant en train de fouiller dans les archives de sa mémoire pour trouver un comportement approprié, il mit quelques secondes à bouger. Du moins, jusqu'à ce que son cerveau ne trouve une raison valable en la forme de ses yeux qui se posèrent sur un paquet, plus loin.

« On va en profiter pour manger ce que t'as ramené, au moins. »

Sur ces mots, il se releva, l'air de rien, pour aller chercher deux assiettes, des couverts et découper assez maladroitement la pâtisserie emmenée par le plus âgé. Une fois cela fait, il reposa une assiette sur les genoux de son invité, avant de s'asseoir en tailleur sur le clic-clac, plantant négligemment sa fourchette dans une fraise qu'il avala en une seule bouchée. Si le silence ne l'aurait pas dérangé, une question lui trottait toutefois en tête depuis un moment, et il se permit de la poser, l'air de rien.

« Hé, t'as déjà des plans, pour ton master ? Je veux dire, quand t'auras ta licence. »

« Quand », évidemment, et pas « si », puisque les probabilités étaient à ses yeux assurées. Il n'allait pas nier avoir une certaine curiosité à ce sujet, puisque son ami parlait assez peu de lui-même et de ses projets et que, en un sens, Natsume était naturellement interrogé par ce qu'il allait faire ensuite. Si il avait été honnête, il aurait peut-être avoué espérer entendre une raison à ce qu'ils voient, mais ça, c'était un peu trop à avouer.

Amusé, il ne put que glousser face aux propos de l'autre, croyant que c'était une vanne. Il ne remarqua pas son sérieux. Il ne l'aurait pas compris non plus de toute manière, puisqu'il blaguait réellement pour sa part. Sa main posée sur la cuisse du plus jeune, il était bien content de voir que ça ne semblait pas le déranger puisqu'il ne l'avait pas retiré et que Sam savait que le japonais n'était pas très friand des contacts physiques en général. Pourtant, ses doigts étaient bien innocents, à l'heure actuelle. Il les rapprocherait bien de son aine s'il osait, mais ce n'était pas un geste qu'il allait se permettre. Il se contenta donc de les laisser là où ils étaient, en premier lieu pour savoir si ça convenait à l'espace personnel de l'asiatique. L'Enodril savait être patient, quand il voulait. Il devait également ravaler sa légère frustration au moment où le Shimomura se leva pour aller chercher ce qu'il avait apporté. Cachant son envie de le retenir sur le lit, il le laissa tranquillement lui tendre une assiette avec une part de gâteau en esquissant un sourire serein. Ce n'était pas tellement le shortcake, qu'il avait envie de manger. Autant dire qu'il était un peu jaloux de la fraise qui se trouvait dans sa bouche.

« Hmm... J'aimerais bien étudier la psychologie. Je trouve ça intéressant. Je ne sais pas si c'est dont je rêve, mais ça m'irait. »

Faussant un air concentré et détendu, il n'hésita pas à se replacer sur le clic-clac pour trouver une excuse afin de se rapprocher de son ami. Il voulait établir autant de contacts que possible tout en s'efforçant de se maîtriser pour ne pas le brusquer. Déjà qu'il ne lui disait que partiellement la vérité... Mais sur ce point, il n'était plus à ça près. N'aimant pas beaucoup que la conversation tourne autour de lui, il saisit l'occasion pour changer le fil de la discussion et se reconcentrer sur le biologiste.

« Et donc... Toi, tu t'intéresses aux plantes, c'est ça ? C'est pour mettre du poison dans les déjeuners de tes ennemis ? »

Il prit une bouchée du gâteau, glissant une œillade malicieuse à son comparse. Il espérait, cette fois-ci, que l'autre comprenne que c'est un trait d'humour.

C'était une façon comme une autre de faire la conversation, mais en soi, il ne s'attendait pas non plus à une réponse détaillée : pas comme si il en avait lui-même une quant à son propre futur, dans les faits. L'incertitude de son interlocuteur lui paraissait donc tout à fait crédible, si bien qu'il se contenta de hocher de la tête face à ses propos plutôt vagues. Les sciences sociales et humaines n'étaient pas vraiment son dada, mais dans le fond, il pouvait comprendre l'attrait que cela pouvait avoir. Il ne fit même pas attention à son rapprochement, car c'était pour lui tout à fait légitime et nullement inconvenant.

Qu'il lui renvoie la question, toutefois, l'étonna malgré tout. Si il esquissa un rictus amusé face à ses propos, il savait toutefois qu'il allait devoir reprendre ce que lui disait l'énolian.

« Non, mais bonne idée, ça m'épargnerait les remarques sur mes origines et le fait que je 'remplisse les quotas'. »

Oh, il avait l'habitude, mais ça devenait très vite très agaçant, quand on lui sous-entendait qu'on l'avait accepté en master pour servir de caution diversité et qu'il « prenait la place d'un bon petit énolian » (sous entendu, pas de sa couleur). Il n'irait pas déposer des laxatifs, mais... Mais de temps à autre, l'idée lui passait en tête, il est vrai. Néanmoins, ce n'est pas tant ça qui l'intéressait sur le moment, si bien que, presque pressé, il se dépêcha de passer au sujet principal.

« Mais pas loin, sinon. En résumant grossièrement, j'essaie de voir si l'on pourrait tirer profit des substances et fluides créés par les pokémon insectes et plantes dont le génome a été croisé avec d'autres espèces. Enfin, comme quand la poudre toxik d'un Papilusion dont le géniteur est un Aéromite est sensiblement plus efficace que si il avait été de la même espèce, ou un Ninjask, par exemple. »

Plus à l'aise, il n'avait mêle pas remarqué le fait que ses propos étaient devenus plus assurés au fil des secondes, quand bien même son débit de paroles s'emballait quelque peu. Le regard posé sur le gâteau qu'il mange distraitement, quoiqu'il jouait plus avec la génoise qu'autre chose à ce niveau, il goba machinalement un morceau pour prendre une pause, avant de reprendre.

« … En résumant, c'est un peu voir si on peut obtenir quelque chose en jouant avec l'ADN des pokémon, un peu comme des des OGM. J'aimerais bien que l'on puisse fabriquer des médicaments avec les poudres produites, ou que l'on puisse faire des croisements, mais... »

Une légère grimace se dessina sur son visage. Déjà, il aurait fallu qu'il prouve que c'était possible, et ensuite, il faudrait obtenir des financements : et là-dessus, c'était mal parti, puisqu'Esther lui avait déjà dit que les centres de recherche seraient plus intéressés par des potentiels armes qu'autre chose. Depuis l'Emergya, pourtant... Il aurait cru que cela susciterait plus d'attention, mais non. Et son ego en avait pris un coup, bien entendu. Désabusé, il se contenta de hausser les épaules, l'expression plus neutre, comme pour cacher sa déception.
Sans y réfléchir, il se laissa s'incliner un peu plus contre l'épaule de Samaël, affaissant légèrement son dos pour se mettre plus à l'aise, la tête reposée contre son bras. Les genoux haussés, il avait négligemment posé son assiette vide sur son propre ventre.

« Pour l'instant, c'est juste des hypothèses, on va dire, et je ne suis même pas sûr d'avoir une bourse pour mon doctorat. Alors je me contente de lire des bouquins de génétique pour comprendre comment fonctionnent les plantes et les pokémon semblables. J'aurais bien aimé continuer l'élevage, mais, enfin, c'est compliqué. »

Pour le moment, c'était tout ce qu'il pouvait faire, de toute façon, même si l'idée de finir par travailler pour un labo pharmaceutique sans grande possibilité de suivre ses propres projets le dérangeait, tant par arrogance que par crainte de ne pas pouvoir faire ce qu'il voulait. Néanmoins, en réalisant qu'il avait parlé pendant quatre à cinq minutes tout seul, il grimaça quelque peu, tournant un regard désolé vers l'Enodril.

« … Désolé, tu ne voulais probablement pas un séminaire en direct. »

Il n'avait même pas remarqué qu'il était à ce point en train de blablater, dans les faits.

En finissant sa part de gâteau, il l'écoutait parler de ce qui le passionnait en le laissant avec plaisir se coller -ou plutôt s'avachir- contre lui. Il appréciait cette proximité qu'il créait entre eux, satisfait de ne pas être le seul à le désirer. Il savait qu'un lien bien spécial les unissait, mais c'était bien agréable de voir que ses soupçons étaient fondés et qu'il y avait une chance que le japonais tombe dans ses bras comme il le souhaitait. En outre, ce qu'il disait et révélait de ses connaissances en la matière intéressait tout particulièrement l'Enodril qui contemplait son ami d'un œil avide et brillant. Il ne s'était pas trompé sur son compte. Évidemment, dira-t-on, puisqu'il ne se trompe jamais. Mais là... Là, il détenait peut-être la clé de leur réussite. Son intelligence et sa soif de découvertes scientifiques pourraient leur être des atouts indispensables. Ce n'était pas pour ça qu'il avait été attiré par le biologiste, même s'il admirait ces traits chez lui, mais sa curiosité était une qualité qui leur servirait assez... Ce qu'il disait sur les poudres et la génétique étaient des sujets on-ne-peut-plus intéressants et qui méritaient d'être approfondis. Devant ses excuses sincères, par peur de trop parler, il lui répondit seulement par un sourire bienveillant accompagné d'une voix douce et chaude.

« Je connais des gens qui pourraient financer n'importe lequel de tes projets, tu sais... »

L'air de rien, il fit ensuite glisser lentement ses doigts dans les cheveux hérissés du Shimomura, savourant par des caresses le contact de son cuir chevelu contre son épiderme. Ses mèches ressemblaient à des pics, mais elles étaient si fluffy... Difficile de ne pas avoir envie de mettre sa main dedans.

« Il n'y a pas de raison que tu n'aies pas de bourse non plus. Auquel cas, j'ai également de très bons amis banquiers qui pourraient te faire un prêt, si jamais tu en as besoin. »

Distraitement, ses doigts se mirent à gratter ensuite la tête de son professeur improvisé afin qu'il se détende progressivement. Bien sûr, qu'il avait des ''amis'' haut placés qui répondaient à tous ses caprices. Lui-même avait assez d'argent pour soutenir le cadet, mais il avait supposé que ce dernier aurait été plus prompt à refuser s'il avait deviné que le financement venait de lui.

D'ordinaire, ses blablatages incessants n'intéressaient pas grand monde. Honnêtement, c'était souvent très brouillon, très maladroit et peu expliqué. Il évitait donc de rentrer dans les détails, bien conscient que ça ne regardait que lui : et de toute façon, pas comme si il avait besoin de partager ça avec quiconque, puisqu'il se débrouillait bien tout seul. Il s'était toujours débrouillé seul depuis qu'il était arrivé ici, et il ne voyait pas pourquoi il en serait autrement : voilà donc pourquoi il évitait de trop partager ce genre d'informations.
Pourtant, discuter de ce genre de choses avec son ami ne le dérangeait pas, loin de là. Il l'avait fait tout naturellement, sans même y réfléchir. Pour cette raison, il avait cru bon de s'excuser, mais en croisant le sourire bienveillant de son vis-à-vis, il s'interrompit dans ses excuses, surpris, voir un peu touché.
... Je ne... Dérange pas ?
Son cœur rata un battement en comprenant qu'il était bien la cible de cette forme de tendresse qu'il voyait dans le regard du plus âgé. Plus intéressé par ce détail que par la suite de son propos, ses muscles se crispèrent toutefois très brutalement dès qu'il saisit ce que voulait dire l'autre.

D'ordinaire, il accueillerait la main dans ses cheveux avec plaisir, et pendant une seconde, il avait même senti un frisson dévaler son échine. Son corps, toutefois, s'est tendu, et son expression s'est soudainement renfermée. Natsume n'est pas complètement idiot : il sait depuis un bon moment déjà que son élève est plus ou moins un gros bourge, mais ce qu'il lui propose lui déplaît fortement, quand bien même il ne saurait pas expliquer pourquoi. Une sensation de malaise au creux du ventre, la mine fermée, il se contenta de hocher négativement de la tête.

« … Je suis un grand garçon. Et je suis en train de voir avec ma directrice ; pas la peine de s'inquiéter pour moi. »

L'idée lui provoquait une révulsion assez intense pour manquer de lui donner la nausée. Tout ce qui avait trait à ce genre de choses lui rappelait si intensément sa famille biologique qu'il préférait encore manger des coquillettes pendant cinq ans que même considérer le fait d'accepter. Et, en un sens, cela ne lui plaisait pas trop de voir son ami essayer de lui « rendre service » de cette manière : voilà pourquoi il se dépêcha de changer la conversation, mal à l'aise.
Pour autant, il ne dégagea pas sa tête de là où elle était, laissant les grattouilles sur son crâne détendre partiellement ses muscles, se contentant plutôt de se relaxer petit à petit, n'appréciant pas tellement de s'être tendu de cette manière alors qu'il profitait généralement de leurs rencontres pour ne pas se prendre la tête. Après plusieurs secondes, néanmoins, ses épaules se dé-serrèrent et il finit par laisser sa tête s'appuyer complètement contre Samaël, la mine moins tendue, relevant paresseusement son regard vers lui en tournant très légèrement de la tête.

« … Mais si tu veux venir à ma soutenance, je pourrais toujours te faire une invitation. »

Il haussa les épaules, l'air de rien. Clairement, il n'irait pas avouer que cela lui ferait plaisir, mais savoir qu'il n'ennuyait pas son ami le soulageait plus que ce qu'il aurait aimé.

Il l'avait froissé. Il le sentait. Il avait dit quelque chose qu'il ne fallait pas. Lui parler d'argent était peut-être encore trop tôt, pas assez subtil. Natsume était perspicace, il ne fallait pas qu'il l'oublie. Il pourrait se douter de quelque chose... Ne jouait-il pas assez la comédie ? Samaël se croyait plus doué que ça. S'il n'était pas plus discret, il savait que son plan pourrait tomber à l'eau, et il ne souhaitait en aucun cas que l'autre découvre la vérité. Le laisser dans un mensonge, en soit, ne lui plaisait pas tant que ça. Il préférerait mille fois vivre avec lui dans l'honnêteté : c'était plus simple et moins fatiguant. Mais il savait que c'était impossible. Pour le moment.
Pour autant, heureusement, le scientifique ne s'éloigna pas, au contraire. Il se redressa même pour s'appuyer davantage contre lui. Bien sûr, le dresseur n'allait pas se plaindre, au contraire. Il ronronnerait s'il le pouvait, assez content d'être la cible de son attention. Quand il lui proposa de venir à sa soutenance s'il le désirait, Sam lui sourit de nouveau avec tendresse, faisant briller dans ses yeux dorés une affection débordante qu'il ne réservait qu'à lui.

« J'en serais ravi. »

Il aimait tout de lui. Il aimait le voir. Il aimait lui parler. Il aimait l'écouter. Il aimait sa façon de discuter à propos de sujets qui le passionnait. Il aimait tout. Tout. Mais il aimait aussi le garder jalousement pour lui et avoir des preuves qu'il comptait à ses yeux. Alors il joua la victime et fit une fausse grimace désolée, voulant qu'il s'apitoie sur lui afin qu'il se concentre sur sa personne. Il regarda même sur le côté en mimant un air gêné.

« Excuse-moi... Je voulais juste t'aider. Quel idiot je suis, je me sens tellement inutile... J'aimerais faire plus que juste t'apporter du gâteau. »

Sur la dernière phrase, il gloussa nerveusement pour lui donner l'impression qu'il se sentait effectivement ridicule. Il quitta quand même à regret ses doigts de sa chevelure pour faire passer ses mains sur le torse du Shimomura. Avec la force de ses bras, il le releva doucement afin que sa bouche se trouve à quelques centimètres de l'oreille du cadet.

« Tu comptes beaucoup pour moi... »

Son souffle était suave mais léger. Il ne murmurait pas mais son ton était aussi tendre que ses gestes. Il en avait assez, des mathématiques. Il ne voulait pas les reprendre. Il voulait juste continuer à profiter de sa présence. Ne pas partir. Pas tout de suite.

/!\ TW ; probablement pas une approche très saine des relations :derp:

Il se garda de dire qu'il n'y aurait probablement personne, de toute façon. Très clairement, sa sœur ne viendrait pas, et sa mère... Eh bien, sa mère se souvenait encore de son prénom lors de son prochain coup de fil dans les trois prochains mois, peut-être qu'il aurait pensé à lui en parler, mais il y avait fort à parier qu'elle avait autre chose à faire, avec son empire télévisuel. Il n'espérait plus grand chose depuis un moment déjà à ce sujet. Bizarrement, toutefois, il s'était surpris à s'attendre d'y avoir son interlocuteur, laissant sa proposition flotter dans l'air comme si il s'agissait de quelque chose de vague.
Quelque chose se mit à bourgeonner dans sa poitrine, remontant jusqu'à sa gorge qui s'était nouée lorsqu'il avait aperçu l'affection sincère qu'il apercevait dans le regard de son ami. Peu habitué à en être la cible, il était à chaque fois quelque peu sonné, sentant une incertitude agréable fleurir dans le creux de son ventre lorsqu'une partie de son cerveau acceptait de saisir qu'il était apprécié. Même si ses joues s'étaient mises à chauffer, il n'éloigna pas son regard, ne sentant pas cette gêne qui avait pu lui tourner le ventre durant tant d'autres occasions par le passé, lorsque l'on lui disait ce genre de choses sans honnêteté. Une part de lui, toutefois, feulait dans un coin de son esprit.
Ne te fais pas d'espoirs. Tu sais comment ça finit, à chaque fois. Tu sais comment sont les autres.

Son expression se ferma, inconsciemment. Les mots de Namiko revenaient dans sa tête, de temps à autre, lorsqu'il se surprenait à laisser des pensées étrangères venir envahir sa tête et embrouiller sa conception des choses. Il se sentit se tendre très légèrement et reporta son regard vers ailleurs, ne voulant pas croiser le regard de son ami pendant trop longtemps. Les questions qui remontaient dans sa tête à chaque fois étaient bien trop pénibles.

Au début, il ne saisit pas nécessairement pourquoi l'autre s'excusait, et il plissa les yeux, presque mécontent, s'apprêtant à le rabrouer pour qu'il « arrête de raconter des conneries ». La tentation était forte, car ce qu'il entendait sonnait comme un torrent d'anneries et son expression grincheuse tint pendant plusieurs secondes. Reposant un regard un peu las sur Samaël, il était près à grogner quand il remarqua finalement l'air gêné que s'était donné ce dernier ; à ce moment-là, il s'arrêta pour froncer les sourcils, perplexe. Il ne voyait pas vraiment pourquoi il semblait si désolé, mais ce ne serait pas la première fois qu'il s'inquiétait pour un rien, à vrai dire.
Son empathie naturelle, malheureusement, fit le reste. Une partie de lui n'aimait clairement pas le voir avec cette tête et un malaise tout naturel se forma dans son ventre, nouant ses tripes jusqu'à ce que l'autre partie de son cerveau consente au fait qu'il fallait réagir, ou du même faire quelque chose. Les paris étaient encore ouverts sur la direction à prendre, toutefois, si bien qu'il ne bougea pas tout de suite.

Il n'en eut pas le temps, néanmoins, puisqu'il sentit la main qui se trouvait dans ses cheveux passer jusqu'à son torse. Le contact n'était pas désagréable, mais largement peu attendu, si bien qu'il sentit son rythme cardiaque s'accélérer inconsciemment lorsque les bras de l'énolian se refermèrent autour de sa cage thoracique pour le relever très légèrement. Pris par surprise, ses yeux s'écarquillèrent, quelque peu déconcerté par l'avance soudaine de Samaël quant à leur proximité.
Ils avaient beau être proches en temps normal, et de temps à autre il y avait ces petits « dérapages » que Natsume pouvait mettre sous le compte de 'sur le moment c'était sympa', il n'empêchait que c'était très largement différent, du moins à ses yeux, de ce qui se passait à l'heure actuelle. Sans doute que les mots doux qui venaient d'être dits dans son oreille étaient l'élément clé, car, quasiment instantanément, il fut pris d'un violent frisson. Une chaire de poule avait soulevé le duvet de ses bras au moment même où il avait senti la respiration chaude et humide de son ami (ahaha) sur son oreille, mais la somme de ces choses, la réalisation de ce qu'il entendait et de cette proximité physique qui ne laissait définitivement pas son corps indifférent. C'était un pas de plus sur une ligne qui n'était pas clairement définie, et dont l'incertitude lui provoquait autant d'expectation que de familiarité.

Au fond, toutefois, ce n'était pas ce qui le faisait le plus réagir ; ce n'était pas ça non plus, qui avait joué la dernière fois. C'était quelque chose d'autre, comme une pression permanente dans sa poitrine qui résonnait à chaque fois que l'attention de l'autre se posait sur lui, à chaque fois qu'il l'entendait rire, à chaque fois qu'ils pouvaient parler sans qu'il n'ait nécessairement à s'inquiéter de ce qui pouvait être pensé en face. Quelque chose qu'il aurait presque pu commencer à identifier si il avait pris la peine de nommer les éléments, mais une partie de son cerveau, toujours, grognait dans un coin de son esprit.
Pas le temps pour ça. Tu as d'autres choses à faire.
La voix remonte dans sa tête, à nouveau. Pourtant, il ne bouge pas. Instinctivement, il a déglutit, le regard fixé sur le visage de l'aîné, qu'il n'arrive plus à lâcher pour une raison qu'il ignore. Cela l'agace aussi, quelque part, d'être ainsi bloqué par son propre cerveau lorsque cela concerne Samaël. Il y a quelque chose d'agaçant, pour quelqu'un qui déteste ne pas se maîtriser, d'être dans une situation où il ne peut pas nier qu'il ne saisit pas vraiment tout ce qui agite son corps et son esprit. Un mélange de confusion, d'attentes, de frustration et de sentiments bien trop légers, agréables, qui bourgeonnent dans sa poitrine, comme tout un tas de petites étincelles incontrôlables. Et, si il y a une chose au monde que Natsume déteste plus qu'avoir tort (et l'avouer), c'est de ne pas pouvoir garder une main sur ce qui lui arrive.

Au fond, donc, probablement que sa réaction n'est pas surprenante. Probablement que sa main qui vient se saisir du col de son interlocuteur pour le retourner brusquement sous lui, et que ses genoux qui se nouent autour de sa taille pour l'y bloquer ne sont pas étonnants, même par leur vivacité. Que ses mains qui viennent saisir le visage de l'Enodril dans ses paumes, que ses bras qui enserrent ses épaules pour le coller à lui et que son regard devenu presque orageux ne sont que le résultat logique d'un ensemble de facteurs, ou d'une goutte d'eau dans un vase qui oscille depuis un moment déjà. C'est possible. Sûrement qu'il devrait s'interroger davantage sur la sensation chaude qui inonde sa poitrine, mais il n'en a pas vraiment envie : et de toute façon, la ligne blanche lui semble déjà avoir été franchie par son vis-à-vis. Ce n'était tout de même pas de sa faute, non, si l'autre continuait de provoquer ces réactions chez lui ! Ainsi justifiait-il sa façon de faire, plus brusque que la dernière fois. Une certaine tendresse, toutefois, ralentit ses gestes, ralentit cette frustration et cette confusion qui le rend plus belliqueux.
Même lorsqu'il ravance le visage de l'énolian pour venir vivement saisir ses lèvres avec les siennes, il ne fait preuve d'aucune agressivité. Ses gestes sont vifs, parfois brusques, mais une part de lui ralentit ses bras, adoucit ses mouvements, comme pour l'empêcher de faire un quelconque mal à son compagnon. Il n'en a nullement envie ; il est juste frustré de ses propres réactions. Ce n'est pas la première fois, toutefois, qu'ils amorcent un tel contact : c'est peut-être la première fois, toutefois, qu'il prend une initiative aussi appuyée. Tant qu'il ne dit rien, néanmoins, il peut prétendre que c'est parfaitement normal, et qu'il n'y a rien d'inhabituel au fait d'embrasser un « ami » avec une ferveur et un entrain qui n'avaient rien d'amicaux.

Il s'éloigne, toutefois, après plusieurs secondes, l'expression bizarrement résolue. Le regard qu'il lui lance, toutefois, est presque courroucé. L'on pourrait presque prendre l'émotion qui habite ses yeux pour de la colère si, au fur et à mesure que les secondes s'écoulaient, elle ne se changeait pas doucement en une affectivité plate, calme.

« Imbécile. Pourquoi est-ce que je t'aiderais, si tu ne comptais pas pour moi ? »

S'il siffle presque au début, sa voix s'adoucit progressivement, avant de se faire presque tendre sur la fin ; moment où, inconsciemment, il esquisse le début d'un sourire doux. Parce que bien sûr, c'était le fait qu'il l'aide, qui comptait. Bien sûr. Il fallait que ce soit ça, sinon, cela voudrait dire d'autres choses, et la pensée faisait disjoncter quelque chose dans un coin de son cerveau (et probablement que dans un monde meilleur, il aurait fait de la thérapie, mais non).

« Triple crétin. Je n'ai pas besoin que tu sois "utile". »

Tandis qu'il parle d'un ton plat, un de ses doigts vient faire une pichenette sur le front de l'aîné, comme pour désamorcer son propos et éviter de devenir trop sérieux.