When I was a young boy [SC]

Avec attention, il observait de temps à autre les réactions de l'adolescent quand il lui montrait des clichés spécifiques. Ce dernier, à de nombreuses reprises, semblait aussi bien curieux que très surpris par ce qu'il voyait, mais tout en restant muet devant les pages de l'album jusqu'à ce que Sam lui parle un peu de l'admiration pour sa mère. Mais Kaden n'a pas l'air de partager son avis, et c'est avec incompréhension qu'il lui explique ne pas se trouver très malin non plus. L'Enodril ne comprend pas très bien où le cadet veut en venir et cligne des yeux, un peu peiné en sentant que le plus jeune ne dit pas tout.
Sa question, si elle est posée timidement, est pourtant tellement surprenante qu'elle manque de le faire sauter de sa place sous le coup de la stupeur. Les yeux écarquillés, une expression choquée au visage, l'interrogation du plus jeune lui est semblable à un coup à sa poitrine.

« Non !... Kaden, bien sûr que non ! »

La pensée ne lui était même pas venue à l'esprit tant c'était évident pour lui. Attristé de savoir que le lycéen se considère ainsi, il se retient de poser sur lui une main rassurante.

« Tu n'y es pour rien... Ce sont des choses bien antérieures à ta naissance qui ont provoqué son départ. Elle ne savait même pas qu'elle était enceinte quand elle est partie. »

Le passé est le passé. Si Sam pouvait remonter le temps, il le ferait. Il l'empêcherait de partir. Ils éleveraient leurs enfants ensemble. Il serait là pour la soutenir. Mais ce qui est fait est fait et s'il regrettera toujours de ne pas avoir été aux côtés des deux Shimomura, il se demande si cela aurait changé quelque chose que Natsume découvre sa grossesse bien avant. Encore aujourd'hui, il pousse des soupirs mélancoliques en pensant au fait que toutes ces années ont été perdues et qu'il accuse encore peut-être un peu le coup.

« Mais... Qu'elle ait décidé de tout garder pour elle est entièrement de son ressort. »

Porter tout le blâme sur son ex n'est pas son but. Il n'est pas du genre à dire des crasses dans son dos, bien au contraire. Devant tout le monde, il a toujours été celui qui la défendait, qui était certain qu'il y avait forcément une explication à leur rupture soudaine. Mais ce n'est pas pour ça que la blessure n'est pas profonde ou douloureuse. Sans doute que tout au fond de lui, une part lui en veut d'avoir gardé pour elle autant de secrets, surtout quand un bout non négligeable le concernait aussi. Il veut toutefois assurer à l'adolescent qu'il n'est en rien responsable de ce qui a pu causer leur séparation.

« Ne crois pas que c'est de ta faute. Je pense plutôt au contraire... que tu l'as sauvé d'une certaine façon, en lui donnant une raison de vivre. »

Il sourit alors plus doucement en fixant son fils avec une lueur affectueuse au creux de ses iris dorées. Il le connaît à peine mais il se rappelle que Natsume avait regretté de ne pas tout révélé à Sam plus tôt car il aurait été sûrement fier de Kaden. Mais il n'a pas besoin de l'avoir côtoyé longtemps pour sentir la gentillesse qui émane du jeune brun, et il est sûr, en effet, qu'il aurait été très fier de lui.

Ce n'est  pas la première fois que la pensée lui serait passée par l'esprit, en un sens. Il ne saurait pas dire quand exactement est-ce qu'elle avait commencé à s’immiscer dans sa tête, mais elle est particulièrement criante ce soir. Depuis que ses  yeux se posent sur les photos, si sa curiosité est éminemment satisfaite, une partie de son cerveau reste plongée dans l'incompréhension. Une certaine amertume lui remonte dans le ventre, nourrissant son inquiétude, et si il pose la question, c'est davantage rhétorique qu'autre chose. Kaden ne sait pas vraiment à quoi s'attendre, mais l'air horrifié de son interlocuteur ne le surprend qu'à moitié. Si l'adolescent s'attendait à ce que l'adulte nie, la force avec laquelle il le fait a le mérite de le stopper.
Le plus jeune aimerait bien se dire que cette seule réaction enterrait toutes les craintes qu'il pouvait avoir, mais ce n'était pas entièrement le cas. Au mieux, cela tempère son angoisse, d'entendre qu'il y a peut-être autre chose à la source de tout ça. Kaden aimerait, même si il retient de l'exprimer car il sait que ça ne mènera à rien, que l'aîné soit clair quant à ces « raison », justement. C'est bien la première fois qu'il entend la confirmation qu'il y a quelque chose, d'ailleurs, ou du fait qu'elle ne savait pas être enceinte au moment où elle était partie.
Mais alors... Pourquoi est-ce qu'elle a... ?
Il aurait pu croire à une « panique », un truc du genre, mais non. Comme d'habitude, tout semble plus complexe, plus profond, plus lourd, même. Le genre de choses qu'on ne lui dit pas, derrière lequel on met des « c'est compliqué » d'un air vague. Si cela l'exaspère, il n'a pas la force ni l'envie d'être frustré avec son interlocuteur, alors il se contente d'une mine rabougrie. Effectivement, tout cela relève encore de la faute de sa mère ; et pour Kaden, ça commence à faire un peu beaucoup. Il ravale toutefois le sentiment comme il peut.

La suite le fait toutefois s'immobiliser sur le coup. Sans doute devrait-il accueillir l'avis de son vis-à-vis avec plaisir, trouver cela rassurant et flatteur, ne pas se prendre la tête avec ses propres pensées stupides... Même si il ouvre de grands yeux pour fixer Samaël, surpris, une petite voix continue de lui sussurer à l'oreille.
Une raison de vivre, ou une obligation... ?

« J'suppose... »

Maladroitement, il avait porté une main vers sa nuque, ne sachant pas vraiment quoi répondre, rendu nerveux par le sourire bienveillant du plus âgé. Assez peu habitué à être la cible de ce genre d'attention, une forme de timidité s'était emparée de lui. Ne sachant que dire, les joues un peu rougies, il avait porté un regard vers le four, espérant que le plat soit pris. Il aurait presque soupiré de soulagement lorsque l'odeur familière de la chair bien cuite parvint à ses oreilles, lui donnant une excuse pour s'éloigner légèrement et s'occuper de sortir le poulet du four.

« Mais au moins, j'peux pas cuisiner pire. »

Non, sincèrement, pour avoir eu sa dose de tamagoyaki et d'autres variations oeuf-riz-salade/crudités, il pouvait s'enorgueillir maintenant, et tenter de plaisanter par ce fait. Parce que bon, l'attention positive, il n'y était pas tant habitué que ça, et il ne savait pas comment réagir ; un comble, quand il passait son temps à chigner que sa mère ne lui en donnait pas assez.

S'il ne lui demande pas à haute voix pour ne pas le brusquer et lui rappeler peut-être de mauvaises choses, il s'interroge. Depuis quand est-ce que Kaden pense qu'il est un poids pour sa mère ? Et est-ce que celle-ci est au courant des dires du jeune garçon ?.. Probablement pas, sinon elle lui aurait bien fait comprendre qu'il n'en était rien. Ceci dit, il peut comprendre l'adolescent. Lui aussi, à une période, craignait d'ennuyer la Shimomura ou d'être un boulet, même s'il a toujours fait beaucoup d'efforts en conséquences pour bien s'occuper d'elle comme si ça pouvait le rassurer lui-même. En un sens, ça marchait pas trop mal, pour le coup. Au fil des années, voyant que la jeune femme qu'elle était continuait de rester auprès de lui, alors il pouvait se convaincre qu'il n'était peut-être pas tant idiot que ça, ou bien c'était précisément pour ça que Natsume en était attiré, mais il n'y avait qu'elle pour le savoir.
S'il ne pense pas avoir réconforté le cadet comme il l'aurait espéré, ce dernier retrouve au moins une mine un peu plus réjouie et se permet même un trait d'humour qui fait glousser son interlocuteur.

« En même temps, je ne souhaite à personne de posséder les talents culinaires de Natsume. »

Enfin, il dit ça mais... Cela l'arrangeait bien qu'elle lui fasse des spécialités japonaises de temps à autre. Vanne récurrente que celle de dire que son ex n'était pas la meilleure en terme de cuisine, mais l'asiatique l'assumait parfaitement et l'italien, de son côté, était bien trop content de pouvoir lui remplir l'estomac avec ses petits plats. Ce fut le cas autrefois mais ça l'est toujours aujourd'hui encore un peu, maintenant qu'il l'a retrouvé. Kaden est peut-être même plus expérimenté que lui, malgré les quelques cours improvisés que sa mère et la famille de cette dernière lui ont donné. Ses oncles, surtout, étaient très doués en pâtisserie. Mais durant le temps où ils étaient ensemble, il ne pensait qu'à faire plaisir aux papilles de la magicienne. Le lendemain de son départ, il l'avait pourtant attendu avec un festin ; mais ça n'avait pas suffit à la ramener.

« Ça sent drôlement bon... On dirait que c'est prêt ! »

L'odeur qui s'échappe du four lui met l'eau à la bouche. En déglutissant d'impatience, il aide le plus jeune à sortir le poulet pour le disposer ensuite sur la table que l'Enodril a légèrement décoré avec un petit tour de magie. Ne voulant pas se montrer ridicule sous le coup de la nervosité, il le laisse cependant couper le morceau de viande blanche afin de les servir. Une fois que la sauce est disposée dans les assiettes et qu'ils s'apprêtent à manger, Sam a un instant de flottement où il se rend véritablement compte que maintenant de l'absence de Natsume à table. Avec douceur, il sourit d'amusement.

« Si on m'avait dit il y a quelques jours que je dînerai avec mon fils... Enfin, mon 'fils'... Tu comprends ce que je veux dire. La pensée est quand même drôle... T'es vraiment doué, en tout cas ! »

La pensée lui fait toujours drôle, mais en profitant du moment présent, il lui arrive d'oublier de le réaliser. Le goût du poulet n'arrange rien puisque ce dernier fond dans sa bouche avec délice et il n'hésite pas à complimenter le brun aux yeux ambrés. En scrutant ses prunelles, d'ailleurs, il constate que ce n'est pas tant de Natsume, qu'il les tient. Ou plutôt c'est comme s'il s'agit d'un mélange entre l'or de ses propres iris et le marron que possède la Shimomura. Savoir qu'il tient quelque chose de lui, quelque part, réchauffe ses joues et sa poitrine. Il affiche une expression sereine qu'il n'avait pas arboré depuis un bail en parlant de celle qui fut sa seule compagne.

« Mais... Je suis content de voir qu'il y ait quelqu'un comme toi pour s'occuper un peu de Natsume. Celle-là, alors, si on lui faisait pas à manger, elle serait capable d'oublier. »

Sérieuse comme tout et surtout parfois bien trop concentrée sur une tâche pour se rendre compte de ce qui l'entoure, il ne fut pas rare que Sam soit inquiet de la concentration si puissante de la japonaise. Alors il avait fallu parfois aller la chercher, mais la voir manger de ce qu'il avait préparé était tout ce qu'il attendait depuis le début de la journée. C'était son petit plaisir à lui de l'observer se régaler avec ce qu'il lui faisait. Mais si pendant un temps il s'était longtemps trompé en mettant une assiette de trop après qu'elle l'ait quitté, pour la première fois, son erreur habituelle n'en avait pas été une. Depuis trois jours, pour son plus grand bonheur, il y en avait même une qui manquait.

S'éloigner de la conversation difficile pour passer à des plaisanteries douteuses et faciles était une solution somme toute assez lâche, mais qui lui convenait très bien pour le moment. Une chose à la fois était une méthode plus simple pour lui que de tout engranger à la suite, tant est si bien qu'il aurait presque remercié l'estomac du plus âgé de le distraire. En s'activant à terminer de mettre la table et servir, il esquissa tout de même un rictus fier en voyant qu'il n'avait pas raté sa recette ; il se serait senti bizarrement très mal si il avait foiré, sans savoir nécessairement pourquoi.
Une fois à table, plus préoccupé sur le moment par son ventre que par son compagnon du soir, il ne fit pas nécessairement attention à ce qui se passait, jusqu'à ce que le plus âgé le désigne avec un « mon fils » qui le fit se tendre entièrement, ne serait-ce qu'inconsciemment. Le terme avait du mal à passer. Avec une certaine maladresse, il parvint à ne pas s'étoufffer avec son morceau de poulet, mais dût quérir l'aide d'un verre d'eau pour ne pas s'étrangler. L'idée le mettait encore mal à l'aise, si bien que, nerveusement, il laissa ses doigts tapoter le bord du verre, ne serait-ce que pour essayer de ne pas avoir trop l'air constipé lorsqu'il soutenait le regard un peu trop attendri (dans le sens où Kaden n'y était pas du tout habitué et n'était que rarement la cible de ce genre d'attention) de l'adulte. Pour cette raison, il se rattrapa surtout sur la dernière partie de la phrase, un sourire prétentieux aux lèvres.

« Hé, j'ai pas eu le choix de l'être, si je voulais pas manger du carton ! »

Il plaisantait à peine. Depuis son enfance, il avait une sainte horreur des steaks hachés secs et des purées toutes prêtes, et ce n'était pas prêt de partir. Voilà donc pourquoi il ne se gênait pas à faire de son mieux à chaque fois, un sourire satisfait et heureux alors qu'il constatait qu'effectivement, le goût était plutôt bon. Après quelques secondes, toutefois, il fut forcé de remarquer que le regard du plus âgé était en train de le scruter, si bien que le jeune homme, de plus en plus incertain, sauta presque sur l'occasion pour répondre quand il fit une remarque, presque soulagé de se libérer de ce silence devenu quelque peu pesant.

« Bah, à force qu'elle oublie de nous faire à manger, j'ai retenu la leçon. »

Il disait ça comme une plaisanterie sincère, sans vraiment avoir conscience que c'était un peu craignos sur les bords. Pour lui, c'était un détail amusant dont il se vantait toujours un peu pour qu'on voit que « ah oui kaden tu es très mature et pas du tout idiot, bravo » et ce genre de choses. Pour autant, il n'est pas vraiment sûr de savoir si il apprécie l'attention qui lui est donnée ou si elle le met mal à l'aise. En même temps, il y a deux heures, il n'aurait pas du tout imaginé apprendre qu'il était en train de taper la causette à son géniteur, et la nouvelle avait encore du mal à être digérée par son cerveau. Il n'aurait pas su dire si ce changement était une bonne ou une mauvaise chose. Un peu anxieux, il n'aimait pas la sensation d'incertitude qui restait dans son ventre. Toutefois, une certaine curiosité, il devait l'admettre, lui faisait se dire que ce ne serait peut-être pas si mal, au fond.