Shopping entre ados avec un Martien

« C'est... C'est cool si tu t'entends bien avec Moumou euh Mumut-j'veux dire Helmut. »

Putain de merde, à force de traîner avec Elliott, je reprends ses expressions à la con.
Je manque de me facepalmer. Je me retiens devant Martin, ne voulant pas qu'il me trouve plus awkward que je ne le suis déjà. Je ne voulais pas embêter mon ami avec de pareilles questions ; juste se tenir au jus parce que je suis content pour lui depuis que j'ai appris qu'un rapprochement avec le pote de Natsume avait été fait.
Mais il a raison, j'suis vraiment un lâche.
Enfin, il ne l'avait pas dit comme ça, mais c'était l'idée. Il arrive parfois que qu'on sorte pour une virée shopping, surtout quand c'est les soldes. Le moment pour le Rosenthal d'aller s'acheter des fringues qui lui conviennent et le mettent à l'aise et pour moi de raffermir ma garde-robe de jock pas très hétéro.

« Tu fais quelle taille, déjà ? Je crois que ce blouson pourrait t'aller, mais faudrait que tu l'essayes. Il est pas mal, non ? »

J'essaye de changer (peu) subtilement le sujet en arpentant les rayons. Une veste noire en cuir plutôt légère du plus bel effet m'a tapé dans l'œil, mais je ne sais pas s'ils auront encore ma taille à moi. Je n'ai pas osé lui demander si sa mère surveillait ce qu'il achète, mais je lui fais confiance : il a toujours su se débrouiller pour se changer quelque part, après tout. Si j'ai encore pas mal de questions au sujet de la transition, je dois avouer que la nature de sa relation avec Helmut me rend curieux. Un peu jaloux, mais surtout curieux.

« Euh, de quoi ? »

O-kayyy, je m’attendais pas à ce qu’il me parle de… de « Moumou » ? C’est quoi ce surnom ?

C'est néanmoins logique que Samaël ait pu observer des changements, même si ça ne change pas la manière dont le blondin traine avec lui. Même s’il ne montra pas sa confusion passagère, Martin fut intérieurement un peu amusé d’entendre Sam utiliser les surnoms un peu ridicules de son… de son pote le matheux. Quoique, « pote », après ce qu’il s’est passé la dernière fois, il n’en était plus trop sûr, mais passons.

En même temps, quand on s’appelle « Helmut-Isaak », vaut mieux se préparer à supporter des surnoms débiles (mais qui seront toujours moins débile qu’un prénom composé pareil, qu’est-ce qu’y avaient en tête, les Nagel…).

Franchement surpris que l’Enodril ait l’air content (derrière son hésitation évidente) du fait qu’il se rapproche d’Helmut, l’adolescent blond ne savait absolument pas s’il devait lui répondre. Samaël avait déjà l’air assez gêné comme ça et il ignorait ce qu’il attendait qu’il réponde… de toute manière, le châtain changea de sujet et laissa le Rosenthal comme deux ronds de flancs devant son étagère de jeans noirs.

Sam peut-être une sacrée tête de con, mais il est quand même bien attentionné la plupart du temps, comme en ce moment, lorsqu’il montra une veste en cuir au razibus à lunettes en se disant que ça lui irait bien. Martin eut du mal à retenir un sourire sincère. Cet andouille d’Enodril sait vraiment faire des efforts, parfois, c’est un de ses bons côtés. La mauvaise humeur passagère du blond (dû au cinéma de sa mère franchement malaisant quand il avait annoncé aller faire des courses d’habits avec Sam) s’était déjà envolé en constatant qu’accompagné de Sam, personne dans le magasin ne semblait voir en lui autre chose qu’un jeune homme qui va faire du shopping avec un pote.

« Ah, ouais, elle est cool, mais j’en ai déjà deux, des comme ça, ahah. Mais si y’en a en jean, par contre… »

Et sans vouloir me le péter, des de marque. Merci l’argent de mémé à noël. Quoi, j’avoue, même si j’en ai pas l’air avec mon look propret, j’aime la mode.

Pour autant ça le gêne pas d’acheter dans des chaînes, surtout qu’il n’allait pas trainer Sam chez Lewis (il adorerait, mais là n’est pas la question) vu les prix là-bas.

« Ça t’irait bien aussi, en vrai. On ira ailleurs ensuite pour voir s’y en ont. »

J’aimerais bien le voir avec, mais apparemment, elle est pas assez grande.

En retournant fouiller dans les chemises, le blond se remémora ce que Samaël disait tout à l’heure. Quelque part, maintenant qu’il avait vidé son sac chez Olaf, il se sentait moins gêné de parler d’Helmut.

« ‘Fin, pour ce que tu disais taleur… c’est pas si facile et sympa que ça en a l’air, avec Helmut, ces temps-ci. »

« Oh euh... Tu crois ?.. »

Je me mets à rougir légèrement, flatté qu'il pense qu'un vêtement de ce style ne me rendrait pas ridicule ; du moins à ses yeux. Vu sa situation, je sais que Martin n'est pas du genre à se moquer de ce que les autres peuvent porter, mais c'est toujours flatteur de savoir qu'on aura pas l'air con dans un truc qu'on aime bien. Avec un sourire incontrôlable aux lèvres, je me mets à chercher une qui pourrait m'aller tout en écoutant le blondin. J'oublie parfois qu'il n'hésite pas à se faire tout de même plaisir malgré la surveillance de sa mère derrière lui. Il doit déjà avoir un placard de vêtements bien fourni, maintenant que j'y pense, s'il arrive à changer tous les jours de fringues sans avoir à porter les mêmes. J'avoue que je le suivrais bien également, s'il cherche des vestes en jean... Je suis pas mal friand également de ce genre de choses. Au moins, c'est pratique, lui et moi avons à peu près les mêmes goûts. C'est euh... Cool ? C'est sûr que c'est pas avec mes parents que je pourrais aller faire les magasins comme ça. Enfin... Pas qu'ils m'interdisent quoi que ce soit, au contraire, mais euh... C'est peut-être un peu la honte, enfin je préfère largement y aller avec un ami. Je me disais en outre qu'on pourrait lui trouver ensemble des vêtements classes qu'il pourrait porter à son prochain rendez-vous avec Helmut. Mais ça n'a pas l'air si simple, finalement, de ce qu'il m'en dit.

« A-Ah ?.. Je pensais que... »

Arrêtant de toucher aux cintres où se trouvent justement des vestes en jean bleu ciel, je relève mon regard vers lui, cherchant mes mots. Je ne veux pas m'immiscer dans sa vie s'il préfère garder certaines choses pour lui, mais j'avais cru remarquer quelques changements positifs depuis qu'il traînait avec le nerd à lunettes.

« Je croyais que ça allait mieux depuis... Depuis... Je sais plus, en fait, mais t'avais l'air plus... plus heureux. »

Ou peut-être me trompais-je. Mais Elliott semblait dire la même chose. Et il dire rarement des conneries, pour le coup. Est-ce qu'il s'est rendu compte que son crush avec le Nagel était passager, finalement ? Je ne sais pas.

« Ce n'était pas ce que tu voulais ?.. »

Je voyais bien la différence de comportement qui s'opérait chez Martin quand il croisait le matheux brun. J'étais content pour lui qu'il ait réussi à trouver une occasion de s'approcher de lui (chose que je ne serais jamais capable de faire moi-même).

Martin ne lui dira jamais car il ne veut pas que son ami prenne la grosse tête, mais il a toujours trouvé le physique de Sam assez avantageux. Enfin, il peut facilement l’imaginer avoir du style avec n’importe quelle tenue, comme il est assez grand (par rapport à lui, en tout cas) et assez élancé. Mais apparemment, le jeune Enodril est assez peu confiant, ne serais-ce que pour porter une veste en cuir. C’est quelque chose que Martin saisit assez bien, lui qui n’ose pas vraiment sortir autrement qu’en chemise bien repassée, éventuellement avec une veste, mais il a un look de petit bourge bien comme il faut. C’est pas anodin, ça lui permet de se fondre dans la masse aussi.

Lorsque Samaël s’arrête de ranger pour demander quelques détails sur ce qu’il venait de dire à propos d’Helmut, Martin n’eut pas envie d’enjoliver la situation pour faire le mec con devant son pote.

« Ah, non, je suis heureux et tout, moi, enfin, avec lui, je veux dire. »

Pour le coup, l’Enodril avait bien deviné. Martin se sentait bien en a compagnie d’Helmut. Le brun le faisait rire avec ses vannes et son humour pince sans rire. De plus, il se sentait respecté et pas jugé, c’était important. Donc, oui, vu comme ça, tout devrait se passer comme dans le meilleur des mondes, mais, ce n’est pas si simple.

« C’est, hm… c’est lui, qui est malheureux. »

Pas à cause de Martin spécifiquement, même s’il n’a pas dû aider, la dernière fois. D’après Olaf, le problème est bien plus large.

« Enfin, pas malheureux spécifiquement à cause du fait qu’on traine ensemble, hein, même si je crois que j’ai peut-être fait une connerie. »

Ouais, j’ai probablement fait un truc qui fallait pas faire ou dit quelque chose de malvenu au mauvais moment. J’espère pouvoir savoir un jour, mais comme il ne préfère pas me parler, en attendant, c’est pas évident.  

« C’est, euh, c’est compliqué, mais la dernière fois, on est allés au ciné et ça s’est très mal passé pour lui, enfin, j’te passe les détails. Donc je préfère le laisser le temps qu’il s’en remette… déso, ça doit avoir l’air pas très clair et un peu louche, en fait... »

Damn, pourquoi je ruine l’ambiance, moi. Ça devient une profession, de bousiller les sorties.

« Hé, j’ai trouvé des vestes en jean ! »

Déclara le blond pour changer de sujet. Il en tira une du rayonnage qu’il estimait à la taille de son ami et lui tendit.

« Ouais, ça aurait de la gueule, même avec des vieux hoodies Pokémon, là, ce serait cool ! »

Ricana-t-il d’un air pince sans rire, en espérant faire réagir plus positivement son pote awkward.

En vrai, ça va, c’est cool les hoodies Pokémon. J’en porterais pas, perso, mais y’en sur qui c’est chouette.

Je relève le regard en le dévisageant avec inquiétude. Je pensais que le fait qu'ils traînent ensemble ne serait que le début d'une longue série... eh bien de plusieurs épisodes où ils auraient enfin chacun trouvé le bonheur en la présence de l'autre. Un happy ending, quoi. Mais ça n'a pas l'air aussi simple. En effet, je ne comprends pas grand chose à ce qu'il tente me dire, me rendant au mieux un peu confus, mais son histoire me fait un peu de peine à entendre. Je croyais qu'il avait enfin trouvé ce qu'il cherchait... Est-ce que cela ne convient pas à Helmut, finalement ? Surtout que le truc du ciné, en général... C'est bon signe, je veux dire. Mais j'imagine que si j'allais voir un film avec Natsu, je ne serais peut-être en réalité pas plus à l'aise. Est-ce que l'un d'eux a paniqué à cause du stress ?.. Parce qu'on ne peut pas vraiment dire qu'il y ait une tension très amicale entre ces deux-là, ou alors je suis le seul à percevoir un semblant de quelque chose, mais Elliott semblait sous-entendre le même propos.
Le voyant préférer changer de sujet pour le moment, je joue le jeu temporairement et prends la veste qu'il me tend avec un sourire amusé. Je ne sais pas s'il ne veut pas parler exprès de sa mésaventure ou simplement s'il n'ose pas le faire lors d'une de nos sorties... Mais je ne veux pas qu'il se gêne avec moi, je suis là pour ça.

« Comment ça 'même avec des vieux hoodies Pokémon' ? Un jour je te montrerai ma garde-robe, tu vas voir comme ça peut être cool ! »

Et je n'en suis pas peu fier, de mes hoodies ! Enfin moi et les trucs à capuche, de toute façon...

« Enfin... Un jour où y'aura pas mes parents, ils risquent d'être gênants. »

Pas gênant forcément avec mon pote, mais par rapport au fait que j'essaye des fringues pour lui montrer. Ils passeraient leur temps à commenter de manière pas du tout objectives en me disant à quel point tel truc me rend 'mignon'. Mais je veux pas être mignon, moi, je veux être classe !.. Enfin... Sauf si Natsume préfère les trucs mignons ?..
Remerciant Martin d'un mouvement de la tête pour la veste, j'enfile cette dernière avant de me regarder dans le miroir. Je lâche malgré moi un sifflement impressionné en constatant avec surprise que j'aime vraiment beaucoup ce style.

« Ça va aller, d'ailleurs, avec ta mère ?.. »

En parlant de style, je me demande ce que Martin dira à sa mère en rentrant. Enfin... Si jamais il lui parle de ses sorties shopping. Je sais que papa et maman sont toujours très curieux de ce que je me suis acheté parce qu'ils veulent que je me fasse plaisir et que ça les rend heureux de me voir épanoui. Mais je sais que la daronne Rosenthal n'entretient pas forcément le même lien avec Martin...

Il n’y a bien que sur Sam que ce genre de vêtement colorés avec des Dracaufeu dessus n’a pas l’air complètement ridicule. Ou alors c’est que avec le caractère du châtain, ça s’annule. En réalité, c’est simplement que l’Enodril a l’air a l’aise et fou de joie de porter ce genre de pulls à capuche et ça doit être pour ça que ça passe crème sur lui. Martin s’amusa de la reaction de son ami, content que ce dernier accepte de changer de sujet.

Probablement que j’aurais pas dû en parler en premier lieu… je crois pas qu’il comprenne.

Aucune chance en effet que Samaël puisse comprendre quand le blond lui-même ne sait pas comment exprimer ce qui le travail. Cela frustrait beaucoup Martin, de ne pas avoir les réponses, de ne pas pouvoir expliquer ce qui s’est passé et donc, de ne pouvoir prendre du recul sur cette histoire. De plus, il avait un peu mauvaise conscience, du fait qu’il aurait certainement dû faire de son mieux pour remettre Helmut à l’aise, être plus attentif plutôt qu’obnubilé par le fait d’essayer d’initier un contact physique plus intime avec le brun.

Quel con, même pas j’aurais demandé avant, hein…

Martin évita toutefois de se mettre à ruminer. Parler de fringues, c’était bien, ça le détendait toujours.

« Héhé, fais gaffe, je suis pire que les gugusses des émissions de relooking ! »

Ou pas, hein, franchement, quand on connait Alex… j’estime que je suis pas du tout tyrannique. Je me surestime surement, mais bon, j’adore ce genre d’émissions débiles même si c’est parfois rempli de sales transphobes. Mais bon, même si ça me fait infiniment chier, si j’annule tout ce qui est transphobe, autant ne plus rien regarder, héhé.

« Et y vont faire quoi, me montrer des photos de bébé Sam en couche culotte ? »

Ricana le Rosenthal qui se sentait un peu mieux que tantôt. Il fut ravi que Sam s’empare de la veste en jean et il entreprit d’en trouver une pour lui. C’est clair qu’avec ce genre de vêtements, il serait tenté d’y fixer des badges de pride flags pour que ses parents le voient, comme pour envoyer un message.

Tu parles, jamais y percuteront…

C’est parce qu’il se faisait de plus en plus à cette idée que le blondin ne fit qu’hausser les épaules quand son ami parla de sa daronne.

« Elle comprendra jamais, de toute manière. Puis même si je m’habillais comme elle voulait, elle aurait un truc à redire. Je suis toujours perdant, avec elle, autant m’en foutre. »

Le contrat entre elle et moi, c’est un peu « fais ce que tu veux, mais chez moi tu seras toujours ce que je te demande ». Tant qu’elle a des obligations légales, elle me foutra pas dehors même si elle m’aime pas, elle est pas con à ce point. Ce qui va pas l’empêcher de me traiter mal. Et elle est totalement lunatique, aussi, un jour, un truc va lui plaire et le lendemain, ce sera sa pire source agacement.

Pourtant, Martin espère toujours que le message passe un jour ou l’autre, il ne peut pas s’en empêcher.

« Donc, t’inquiètes, je gère. C’est super gênant quand elle se fait des films comme quoi on va se marier et que peut-être, à ce moment-là, grâce au baiser de l’amour cis-hétéro véritable, je vais tout d’un coup me changer en fille ! »

C’est tellement absurde que je ne peux qu’en ricaner. Ça me fait mal, évidemment, qu’elle soit si violente… mais ça reste aussi très marrant, à un certain degré, que des gens soient aussi impudents pour dire de telles horreurs.

Je réprime un frisson d'horreur en imaginant ma mère complètement gaga en train de montrer au Rosenthal des photos de moi enfant. Je ne doute pas qu'il aurait sûrement un fou rire en voyant certains clichés, mais je ne tiens pas particulièrement à entrer dans ce stade de notre amitié pour le moment. Ma mine s'assombrit toutefois légèrement en entendant Martin parler de sa mère. Même si elle a toujours été très gentille avec moi (pour une raison que j'ignore), je sais très bien ce qu'il en est quant à son fils et sa transition et ce qu'elle peut penser dessus. Je manque cependant de m'étrangler quand l'idée d'un mariage entre Martin et moi est évoqué.

« SE MARIER ?! NOUS DEUUUX ?! »

Oups, je crois que j'ai crié un peu trop fort... J'ai attiré sans le vouloir quelques regards dans le magasin (pas beaucoup heureusement à l'étage où nous sommes) et me suis contenté de me faire tout petit quand l'attention sur nous s'est estompée. Gêné, j'esquisse une grimace désolé avant de parler plus bas, les yeux dérivant sur les modèles de la collection de printemps. Je dis pas que l'idée de me marier un jour ne m'est jamais passé par la tête, mais... Pas avec Martin !

« Quelle idée... Si elle savait les regards que tu lances à Nagel... »

Il faudrait être aveugle pour ne pas remarquer les yeux doux que le Rosenthal lance à son ami à cheveux bruns. Il le dévore du regard comme si c'était un ouvrage unique au monde d'histoire de l'art.

« T'es assez grand pour décider tout seul, de toute façon. »

Cela ne suffit pas toujours, bien sûr, mais je fais confiance à Martin pour qu'il gère, comme il le dit. Après tout, il s'est toujours débrouillé en ce qui concerne ses vêtements, à l'école et tout. Et puis je crois qu'il a plutôt un bon entourage là-dessus, entre Olaf et Helmut qui a pas l'air d'être très embêté par la situation du blondinet. Il n'aurait sûrement pas essayé de l'approcher dans le cas contraire, de toute façon, je suppose. Bon, je connais pas trop Olaf, c'est vrai, mais il paraît qu'il est très open là-dessus et qu'il travaille dans un bar connu de la communauté. Mais j'y suis pas trop familier, c'est juste Elliott qui m'avait raconté ça un coup.

« Est-ce que... Tu continues de lui parler quelques fois par messages ? Je parle de... »

Un peu nerveux par le fait de lui en parlant en ignorant s'il préfère éviter cette discussion, je scrute les vestes cette fois-ci en tissu, ayant toujours beaucoup, beaucoup aimé les blazers.

« En-Enfin si tu veux pas aborder le sujet, je comprends. »

Je n'ose pas le fixer directement, préférant lâchement détourner le regard. Je ne veux pas le mettre dans l'embarras, je me disais juste... Peut-être que je peux l'aider un peu là-dessus même si je ne connais pas beaucoup plus Helmut que ça.

Evidemment, imaginer un mariage entre Martin et Samaël ne peut que faire hurler de dégout. La réaction attendue par le blond sur son pote ne manqua pas de le faire exploser de rire au milieu du magasin, même si croiser le regard d’autres personnes sur eux ne le mis pas très à l’aise. L’interjection de l’Enodril vite oubliée, son pote à lunette se calma également. Il aurait voulu taquiner encore le châtain, mais l’autre le devança et fit un remarque qui le fit devenir rouge écrevisse. D’un coup, il fermait son clapet.

« Euh… euhrr… arrêtes, c’est pas à ce point… »

Tenta-t-il de nier pour rectifier le tir, en se redressant et en reniflant comme un parfait petit bourge hautain un peu vexé. Enfin, Martin n’est pas vraiment véxé, mais ça le titille quand on lui fait remarquer qu’il est transparent.

Oui, oui, je suis assez grand, hein ! Bien assez grand pour savoir que je lance PAS des regards de braise comme ça à Helmut, d’abord !

Il aurait presque pu répondre par un « gngngn » faussement contrarié. A la place, le razibus blond préféra se reconcentrer sur les habits. Il fut assez surpris de voir son ami admirer des blazer d’un air inspiré. Ce dernier revint à la charge avec d’autres questions et Martin baissa les yeux, encore une fois, il ne savait pas bien quoi faire, malgré ce qu’Olaf lui avait dit, sur le fait de garder ses distances.

« C’est pas que je veux pas en parler. C’est juste que je comprends pas ce qui s’est passé. Enfin… c’est vrai qu’on parlait vachement par SMS, ça avait l’air beaucoup plus simple pour lui. Et depuis le ciné, pu rien, mais je ne sais pas quoi lui dire sans que ça ait l’air d’être... j’ai pas envie d’avoir l’air d’un relou. »

Mais par contre, j’aimerais savoir ce que j’ai fait, si c’est ma faute. Ou qu’est-ce qui s’est passé. Même s’il a besoin de distance… peut-être que je devrais lui dire ça. Que je compte lui laisser de l’espace mais que s’il veut en parler… je vois pas pourquoi il voudrait me causer après l’autre fois.

« M’enfin je crois pas qu’il ait envie de me causer à nouveau de toute façon. C’est plié. »

Son regard fila vers ce que Samaël avait dans les mains et il essaya de s’en servir pour penser à autre chose.

« Sympa, le blazer. Tu vas l’essayer ? »

Son ami avait l’air inspiré, pour sa part, par ce qu’il y avait dans le magasin. Néanmoins, si pour sa part, Martin aimait donner son avis et aider l’Enodril, ce qu’il voyait dans les articles disponibles ne le bottaient pas spécialement. Son esprit était définitivement ailleurs et il savait très bien où.

« Dis… si… imagine, que si t’étais avec euh… bah, euh, qui tu veux, Natsume, par exemple. Ou Elliot, euh, bref, peu importe ! Qu’est-ce que tu ferais si tu le voyais tout d’un coup… devenir bizarre sans explications. Genre, l’air pas bien, comme s’il allait être malade ou faire un malaise mais qu’y avait pas moyen de… »

Mais qu’est-ce que je raconte, moi ?!

« Euh… laisses tomber. C’est con. »

Mais ça l’obsède quand même.

En gardant le silence, j'écoute mon ami déballer son sac tout en regardant distraitement les vêtements de peur de le perturber dans son récit. S'il a besoin d'en discuter, je veux être sûr qu'il ne se sente pas interrompu. Je peux comprendre en un sens le dilemme de Martin. Ce n'est pas une situation très simple dans la mesure où Helmut, du peu que je sais, ne doit pas être du genre à s'ouvrir facilement ou à exprimer de manière aisée ce qu'il ressent. Je manque d'ailleurs de protester en le voyant exprimer un certain pessimisme. Vu les rares sourires que Nagel lui lance, cela m'étonnerait que ça se termine aussi sèchement et rapidement, cette histoire. Enfin... Je ne suis pas devin, mais s'il a accepté une fois d'aller au cinéma avec lui, je ne pense pas qu'il lui en voudrait pour si peu le temps d'une soirée, à part si Nagel est vraiment du genre rancunier ou qu'il serait prêt à faire l'autruche à un niveau ridicule. Mais ça me fait chier pour Martin du coup qui doit se faire du mouron et pour qui ça ne doit pas être très franchement agréable de ne plus recevoir de nouvelles du brun à lunettes.
J'opine toutefois de la tête quand il me pose la question pour le blazer et me sépare temporairement de ma veste en jean pour essayer une des vestes légères noires avec les manches relevées jusqu'aux coudes. Un de mes pêchés mignons, je dois dire. Mais en pensant à la peine du Rosenthal, j'ai de plus en plus de mal à totalement me concentrer sur notre shopping même s'il s'agit d'un des moments du mois que je préfère. Je reste néanmoins toute ouïe à l'appel silencieux du blondinet qui a manifestement besoin qu'on le conseille, qu'on le rassure. Mais il se ravise au dernier moment, peu confiant en ses paroles et avec un certain mal à exprimer sa pensée. Je la devine pourtant sans difficulté, esquissant un mince sourire aux lèvres comme pour tenter de l'apaiser et de l'encourager à aller au bout de ses propos. Lui dire que ce en quoi il croit n'est pas ridicule et que s'il a besoin que je lui parle, alors je peux le faire. Parce que je vois parfaitement le problème et que je peux même le comprendre.

« Y'a toujours moyen. »

En me regardant dans le miroir, je réajuste le blazer bleu marine, l'air de rien. J'ai parfois moi-même du mal à comprendre ce qui se passe par la tête de Natsume, surtout quand il ne se sent pas bien.

« Pas forcément d'aider directement, mais... De signifier à l'autre que tu peux être là en cas de besoin. C'est déjà... très important, mine de rien. »

Je parle surtout de mon expérience personnelle. Pas forcément au niveau de Natsume car je n'ai jamais pu avoir une discussion à cœur aussi ouvert, mais je sais que Elliott, à de nombreuses reprises, m'a tendu une main plus que désirée même les fois où il restait muet. Le simple fait de me sentir écouter m'a soulagé à de nombreuses reprises et c'est pour ça aussi que je peux lui confier aisément tout ce qui me passe par la tête et qu'il me connaît si bien. Faust est semblable dans ce principe mais comme Elliott a mon âge, je peux plus facilement le croiser. Mais j'ai au moins la certitude que quoi que je dise, jamais il ne se moquerait de moi.

« Mais tu ne peux pas savoir que Helmut n'a plus envie de te parler sans qu'il ne te l'ait dit explicitement, pas vrai ? »

Me tournant cette fois-ci vers Martin, je lui offre un regard plus sérieux, désirant qu'il persévère là où il avait enfin réussi à commencer.

« Si tu lui dis que tu t'inquiètes pour lui, je pari que ça ne le laissera pas indifférent. Et je crois... Qu'il a aussi besoin de savoir ce que tu ressens. »

À quel niveau, ça... Je le laisserai décider. Mais je crois que je n'ai définitivement plus le cœur à l'essayage pour le moment en prenant conscience que c'est bien hypocrite de ma part, de lui dire tout ça, alors que je suis incapable de mon côté de faire le premier pas.

« Lui aussi, il doit... repenser au cinéma. »

Je sais, au fond, que je donne des conseils que je ne serais même pas capable de suivre moi-même.

S’il n’était pas clair, Samaël ne pouvait pas plus comprendre, ni l’aider. Mais, Martin fut touché de voir que l’Enodril essayait quand même de le conseiller. Et il avait raison sur bien des points : impossible d’être formel sur le fait qu’Helmut le repousse s’il n’essayait pas. Sauf que d’autres facteurs entraient en compte : le fait que Martin ait tenté de se rapprocher physiquement de manière peut-être un peu brusque et sans demander, qu’il n’avait surement pas fait ce qu’il fallait quand l’autre ne se sentait pas bien.

Raaaah, mais pourquoi j’arrive pas à être clair ?!

Ça lui donnait un eu envie de s’arracher les cheveux.

« Ouais, t’as raison, mais, c’est que… Je crois que s’il était pas bien, c’est aussi parce que j’ai… disons tenté de me rapprocher sans demander et… bref. C'est moi qui ait tout gâché et après ça je peux comprendre qu’il ne veuille plus me voir ou me parler. »

Après tout, le Nagel avait filé aux toilettes juste au moment où Martin avait essayé d’initier un contact physique de manière très maladroite. Effectivement, cet épisode du ciné avait dû le marquer également, mais, justement.

« Enfin, après ça, je sais pas, juste recevoir un message de ma part pourrait le mettre mal à l’aise. Et je veux pas lui rappeler des sales souvenirs, en fait. Evidemment que j’aimerais lui dire que je suis là s’il a besoin, m’enfin… lui ne peut peut-être pas de ma présence à ses côtés. »

Ou alors, il dramatisait. Mais s’il y a bien un truc qui peut-être désagréable, c’est de recevoir des textos de quelqu’un qui nous met mal à l’aise. Le Rosenthal soupira pour tenter de se détendre un peu. Queqlue part, il se disait que ce rencard aurait du être "parfait" pour Helmut, qu'il n'aurait pas du faire la moindre erreur, sinon, ça ruinerait tout le reste. C'est bien l'impression injustifiée qu'il avait.

« Bon, désolé, hein, j’ai vraiment développé un talent pour ruiner l’ambiance des sorties, on dirait… »

Et au passage, la confiance en lui qu’il avait commencé à développer tombait un peu en ruines. Il devrait demander à l’autre comment ses histoires avec Shimomura allaient, à la place, mais il n’avait pas vraiment le cœur à ça. Ce qui n’améliorait pas vraiment la situation, comme ça ne le faisait se sentir que plus égocentrique et mal dans sa peau.

Je me contente de l'écouter en silence pendant qu'il déballe son sac. Je sens aussi qu'il en a besoin, quelque part. Peu à peu, le déroulé de la soirée qu'il a passé avec Helmut se dessine devant mes yeux au fil de ses explications et j'esquisse une mine surprise qui se transforme en grimace quand il m'avoue un peu honteusement ce qu'il a fait au cinéma. Quelque part, je ne peux pas lui en vouloir moi-même. Je suis également du genre spontané et ça ne me dérange pas que quelqu'un que j'apprécie s'approche de moi sans forcément me demander (sauf cas très exceptionnel) ; au contraire, je suis très avare de toucher et d'attention de mes proches. Mais je peux concevoir que certaines personnes demandent à avoir du respect pour leur espace personnel, comme je sais que c'est le cas de Natsume, Clive ou parfois Elliott (qui n'hésite pourtant pas à outrepasser la mienne, mais bon, il sait qu'il a le droit aussi alors il se permet).
Je comprends toutefois parfaitement le problème de Martin. Je n'ai malheureusement pas énormément de conseils à lui donner, n'étant ni un expert en ce genre de relation, ni en compréhension de comportement de nerd. J'ai déjà du mal avec le mien... Mais je pose quand même doucement une main rassurant sur l'épaule de Martin en secouant la tête car je sais qu'il dit des bêtises et qu'il ne ruine rien du tout. On est là pour passer du temps ensemble, pas pour se morfondre. Mais je veux l'aider comme je peux aussi.

« Tu lui diras que tu es désolé. Seulement après, tu sauras s'il veut vraiment ne plus te parler ou non. »

C'est bien la seule chose que je sais : que ça vaut le coup d'essayer au dernier moment avant d'abandonner. De base, j'aime pas abandonner de façon général, et je veux pas que Martin abandonne non plus ! Je veux qu'il tente sa chance, au moins une dernière fois.

« Il a peut-être besoin de réfléchir seul, mais je suppose que ça le tracasse tout autant. »

Je connais pas bien Nagel, mais je mettrais ma main à couper qu'il y pense au moins aussi souvent que le Rosenthal. M'éloignant un peu, je mets le blaser, la veste en jean et la veste en cuir dans un sac et je regarde de nouveau distraitement les rayons, détournant le regard pour le poser sur les étagères à accessoires. Des lunettes rigolotes sont accrochées et je les enlève temporairement de leur perchoir pour les placer sur mon nez en espérant faire sourire mon ami.

« Perds pas espoir. Ça vaudra sûrement la peine, à la fin. »

En fait, à part lui sortir des phrases clichées, je sais pas quoi lui dire d'autres. Je n'ai pas envie qu'il croit que je m'en fiche. C'est loin d'être le cas. Mais j'aimerais pouvoir être aussi persuasif qu'Elliott et aussi assuré que Faust. C'est comme s'ils savaient toujours comment remonter le moral des autres et taper là où ça fait mal quand c'est nécessaire.

Probablement que Martin avait toujours été trop exigeant envers lui-même. Trop souvent, une situation qui ne peut se régler au gré de sa volonté signifie qu’elle est perdue d’avance. Non pas parce qu’il veut tout contrôler (quoique, un peu), mais parce que la moindre de ses erreurs est finale et irréparable. C’est bien ce qu’il se dit avec Helmut. Non seulement car, il doit bien l’admettre, il a développé de l’affection pour le nerd fan de SF et refuse l’idée de pouvoir le blesser mais aussi parce qu’il a bien compris à travers sa conversation avec Olaf que le Nagel est certainement plus fragile qu’il le laisse paraître. Quelque part, Martin devrait connaître le sentiment… comme beaucoup de gens. Souvent, le blond se retrouve un peu victime des apparences qu’il se donne. A force d’essayer de paraître à tout prix cassant et fort, il a l’impression de se retrouver bien seul quand il aurait besoin qu’on prenne soin de lui. Et pas seulement entendre « tu es fort, je sais que tu t’en sortiras », car ce n’est pas suffisant. Bien sûr qu’il s’en sortira, mais lui dire ça revient juste à lui souhaiter d’encore plus tirer sur la corde pour préserver les apparences et en oublier ce dont il a besoin. Enfin.

Le Rosenthal soupira longuement. Il entendait bien tout ce que disait Samaël, qui voulait vraiment le réconforter, posant même une main réconfortante sur son épaule. Touché, le blondin se détendit un peu, un peu fatigué après avoir vidé son sac.

« T’as raison, mais… j’ai juste peur de tout foutre en l’air ou de le blesser à nouveau. »

Le fait qu’il ne pense qu’à ça depuis des jours et soit si catastrophé lui faisait envisager l’idée qu’il était peut-être plus mordu du Nagel qu’il ne voulait bien l’assurer. Peut-être que ça en vaut la peine. Peut-être que passé ça et si les choses se rangent, lui et le matheux auront passé un cap et leur relation évoluera peut-être vers autre chose. Mais il ne fallait pas baliser là-dessus. A force de se faire des films romantiques à deux balles, Martin allait finir déçu. S’il savait seulement quel genre de midinette était Helmut, probablement que cela le ferait relativiser.

« Hem… merci, du coup. T’es un bon gars, tu sais… pour un cismec. »

Il lui sourit, non sans être un peu gêné, n’étant pas très versé dans les grandes déclarations. Mais il n’y a pas beaucoup de cismecs à quoi Martin dirait qu’ils sont de « bon gars », donc il espérait que l’Enodril saurait apprécier ce compliment à sa juste valeur.

« Alors, on va passer aux cabines, un jour, Docteur Es Relations Humaines ? »

Il donna un coup de coude amical à Samaël. Evidemment, il ne faisait que le taquiner gentiment, pour faire un peu passer son embarras de tantôt. Puis il avait hâte d'essayer des trucs.

Car si Sam, entre tous à un Doctorat en relations humaines… hm… enfin je l'adore et tout mais il est aussi doué que moi, des fois. Quoique, probablement un peu plus, j'avoue, roh...

Je suis embêté pour Martin. J'aimerais que sa situation avec Nagel soit plus simple, mais je ne crois pas qu'il faille espérer grand chose d'autre qu'attendre, au point où il en est. Et je me rends compte que ça peut être frustrant. Y'a pas de solution miracle après tout, pas vrai ?.. Mine de rien, ça me fait un peu chier pour lui, quand même, il se donne tellement de mal... Je voudrais vraiment que ça réussisse, son histoire. Mais bon, si Helmut est du genre à pas aimer qu'on l'approche sans autorisation... Pas que je peux comprendre, bien sûr, mais je n'arrive pas à saisir l'étendue du problème par rapport à son point de vue. Etait-ce si grave pour que Helmut lui donne l'impression que c'est perdu d'avance ? Je fais confiance à Martin, alors je ne pense pas qu'il aurait pu vraiment faire du mal ou avoir de mauvaises intentions envers le matheux. C'est pour ça que je ne capte pas. Enfin, je ne vais pas demander les détails à mon ami non plus et lui rappeler de mauvais souvenirs. Mais ça lui pèse, c'est évident, et je peux aisément me mettre à sa place. On dirait toutefois qu'il n'a pas envie qu'on aborde le sujet plus que ça. J'ai du mal à comprendre le compliment qu'il me fait, mais malgré ma définition bancale du terme cismec, je sais que Martin m'a dit quelque chose de gentil, alors je prends bien ses mots et sens un peu de rose me monter aux joues. Je ne pourrais jamais vraiment savoir ce que ça fait, d'être trans, mais je ne veux pas nuire au Rosenthal ou quoi que ce soit. Je veux pouvoir l'aider et être là pour lui, malgré... malgré le fait que je sois un cismec. Alors son petit aveu me fait plaisir, je dois l'avouer.

Sans broncher, je décide de le laisser m'amener jusque dans les cabines pour que nous puissions finalement nous changer en esquissant un gloussement après que j'ai emporté les quelques affaires que je voulais essayer avec moi. J'abandonne l'idée de lui tirer davantage les vers du nez, conscient qu'il en a déjà gros sur le cœur avec cette affaire et que je ne peux pas lui apporter de conseils vraiment utiles. Fermant le rideau derrière moi, je n'ai pas vraiment beaucoup à me changer mais enlève mon haut pour porter un sweat à capuche par dessous la veste en jean que j'ai vu tout à l'heure. Je veux montrer à Martin que ça peut être cool ! Sortant de la cabine, je me regarde attentivement dans le miroir sous toutes les coutures, admirant la matière confortable du vêtement.

« Hééé, c'est pas si mal ! Héhé... Fais voir, toi ! »

Je me tourne vers Martin pour apercevoir ce qu'il a essayé. Il l'air à l'aise dans ce qu'il choisit, au moins.

« Y'a pas à dire, t'es vachement mieux qu'en robes à froufrou. »

Martin faisait déjà très garçon manqué en soit, mais désormais, l'idée de le voir en vêtements féminins ne me viendrait même pas à l'esprit. Je ne crois pas que ça lui irait très bien, et d'ailleurs, je me suis tellement fait à son physique masculin que je suis encore surpris quand il arrive à l'école avec des fringues qui lui correspondent moins lorsqu'il ne s'est pas encore changé. C'est devenu une habitude, et je pense que plus personne n'est vraiment étonné. Faut dire que ça a l'air tellement serré, ce que sa mère lui force à porter...

« Dis euh... »

Mes yeux se portent vers l'étage du magasin auquel nous sommes. Si le rayon des femmes est plein, celui des enfants et des hommes est assez vide dans l'ensemble. Je vérifie seulement que les vendeur.euse.s ne sont pas à côté pour continuer à parler.

« Tu vas faire euh... Une opération ? J'veux dire pour... Enfin les trucs de-de testostérones et tout... »

De tout ce qu'il m'a raconté sur les transitions, je n'ai pas réussi à tout retenir, mais il m'a conseillé des sites qui expliquent très bien et si dans l'idée je crois que j'ai à peu près compris, il y a sûrement des éléments qui m'échappent encore. J'avoue que je ne sais pas trop comment ça marche, mais le Rosenthal doit s'être renseigné avant.

« J'crois que c'est possible si on veut, mais que... euh... y'a rien d'obligatoire. Pas que je veux dire que t'as besoin de ça ou pas mais euh... »

Je ne sais pas comment dire sans que ça sorte mal. Quand nous sortons faire du shopping, aucun amalgame n'est fait. Tout le monde considère Martin comme un garçon. Mais je me demande seulement si cela lui pèse au niveau du physique ou s'il n'a pas envie d'aller jusqu'à ce stade pour se définir comme il l'entend et comme il est.

La séance essayage fit au moins partiellement oublier ses histoires de rencards ratés à Martin. Et comme d’habitude, Sam voulait bien faire. Ce dernier sorti de sa cabine en premier, tout fier d’avoir superposé une veste en jean avec un de ses hoodies. Martin sortit à son tour avec un look chemise noire-veston-veste en cuir plus ou moins reussi à son sens et observa son camarade de la tête aux pieds.

« Hmm, ok, ok, tu as capté mon attention avec un hoodie ! Pas mal, Enodril, pas mal du tout… »

Il le pensait. Peut-être que son ami n’a pas un sens de la mode aussi catastrophique qu’il ne le suspectait à la base. Il faut dire que c’est sa petite fierté personnelle, de s’y connaître pour ce qui est des fringues, même s’il ne l’exploite pas des masses ses temps-ci, trop occupé à penser à ressembler à un Draco Malefoy eco+ à lunettes pour mieux gérer son passing. Quand il aura progressé à ce niveau et sera plus à l’aise, probablement que Martin recommencera à se faire plus plaisir et à porter des tenues qui se voient plus, moins impersonnelles. Propos de tenues, Samaël plaisanta soudain à propos de ce que Hilda (la mère Rosenthal) aimerait faire porter à son fils depuis sa petite enfance. Pour le coup, même s’il voyait bien que son ami voulait détendre l’ambiance, Martin ne put qu’échapper un bref soupir. Bien sûr, ce n’était pas contre ce que disait l’Enodril, mais vis-à-vis de vieux souvenirs qui lui revenaient : se faire gronder dès qu’il piquait des crises en voulait s’habillier lui-même, s’entendre dire qu’il n’était « pas belle » sans vêtements féminins et sans cheveux assez longs, comme si c’était plus important que son confort. Hilda avait bien réussi son coup, en un sens car aujourd’hui, Martin n’arrivait toujours pas à se trouver beau alors que, pourtant, il a trouvé de nombreuses réponses à ses questions en réalisant sa transidentité. C’est un travail quotidien et parfois, il lui vient l’envie d’abandonner et d’effectivement se mettre à porter des robes à froufrou.

« Dis pas ça devant ma mère, hein, ça m’embêterait qu’elle fasse un AVC… »

S’il voulait plaisanter à son tour, son ton était plus grinçant qu’humoristique… Il n’aimait pas que la haine qu’il nourrit à l’égard de sa maternelle transparaisse trop. Même si on ne peut probablement pas le cacher.

Pourtant, son ami changea de sujet et eu l’air de vouloir y mettre les formes. Ses questions furent plutôt directes, Martin ne s’y attendait pas alors il resta interdit pendant quelques secondes. Dans ce genre de situation, vient toujours un moment où il se demande si les personnes sont sincères ou si c’est juste de la curiosité morbide et fétichisant de leur part. Il ne peut pas s’en empêcher, avec les micro-agressions qu’il entend malheureusement trop souvent, dans la vraie vie et sur internet. Mais, là, c’est Samaël qui lui parle. Il le connait. Son ami est un gaffeur de première qui peut-être blessant quand il s’emporte mais s’il y a bien quelque chose qu’il n’est pas, c’est malfaisant.

« Nan, nan, je sais, j’ai pigé. Flippes pas. »

La formulation de l’autre était maladroite mais Martin avait vu bien pire.

« Techniquement, je suis majeur donc, je pourrais commencer les démarches médicales pour les hormones et les opérations, ouais. »

Affirma-t-il en premier lieu en réajustant un peu le col de la veste de l’Enodril qui était de travers, pour s’occuper les mains et chasser partiellement la nervosité qui l’envahit quand il parle de ces sujet avec une personne cisgenre. Avec Olaf ou certains de ses potes sur les réseaux sociaux, ça ne le gêne nullement, mais quand il est face à des gens extérieurs à ces questionnement, cela demande plus d’énergie pour expliquer clairement. Ça et aussi le fait qu’il ne peut pas trop s’empêcher d’être toujours méfiant.

« Mais je suis pas encore complètement sûr de comment je veux m’y prendre pour transitionner, enfin, au niveau « physique », j’veux dire… tous les mecs trans veulent pas forcément faire d’opérations ou être plus « masculins » physiquement. J'sais pas si ça répond à tes questions...? »

Il mima les guillemets de manière appuyée comme c’est un terme tout de même assez subjectif.

« Enfin, pour le coup… ouais, perso, je suis plus à l’aise quand je ressemble à un mec, quand on m’appelle « Martin », quand on me genre au masculin et tout… donc, ouais, c’est sûr que je ferais des démarches au moins pour changer de prénom en premier… puis on verra ensuite. »

Et bordel, on sait que c’est pas les plus simples.

« Tant que je suis chez mes vieux, de toute façon, c’est pas question que je commence à prendre de la testo u que je vois des toubibs pour ça ! Imagines leur gueule s’y me surprennent à me piquer dans ma chambre ! »

Il ne put s’empêcher de ricaner bêtement en se figurant la scène. En vrai, il aurait peur de se piquer seul et irait systématiquement demander à une infirmière, s’il devait prendre de la T.

« Peut-être après le lycée. J’voudrais essayer de pu dépendre d’eux assez vite pour commencer tout ça. »

Comme ça, j’ai peut-être l’air sûr de moi, mais… Franchement, je sais aussi que ça va pas être évident. Si en plus je veux continuer des études en trouvant un job, je sais que j’ai la chance d’être en bonne santé, m’enfin…

Mais, ces plans qu’il a en tête ne lui paraissent pas si mal. Quand Martin pense à après le lycée, il ne peut s’empêcher d’être excité et d’avoir hâte. Il se demanda comment Samaël se projetait, pour sa part, il n’a pas souvenir qu’il lui parle souvent de ses souhaits pour après le secondaire.  

« T’as des plans, toi, pour après le lycée ? »

Ce n'est pas vraiment que j'ai peur... Enfin, si, j'ai peur de dire une bêtise, mais si Martin me fait assez confiance pour me parler de tout ça, c'est qu'il a jugé que je serais assez mature pour être compréhensif, et j'ai vraiment envie de l'être. Je sais que je ne suis qu'un... qu'un 'cismec' comme il dit, mais je ne veux pas que ça l'empêche de me parler de tout, y compris de sa transition que je suis avec une curiosité réelle. Il m'a déjà raconté que c'était pas toujours évident avec ses parents mais heureusement il a des amis au bar d'Olaf et Olaf lui-même, même si ça serait quand même cool que sa famille puisse le soutenir également. Je dis pas qu'on doit forcément s'accorder tout le temps avec ses parents mais c'est plus agréable mine de rien. Je sais pas si mon cas est comparable parce qu'en l'occurrence j'ai toujours eu une bonne relation avec les miens et que je les aime mais ça me ferait beaucoup de peine s'ils acceptaient pas que je puisse aimer un garçon. J'ai eu de la chance de ne jamais avoir cette crainte vu que c'est grâce à eux aussi que je peux être aussi ouvert d'esprit mais je sais que c'est pas évident pour tout le monde; Martin par ailleurs étant le meilleur exemple en la matière.
Je ne sais pas très bien comment marchent les opérations inhérentes à sa condition, mais je me doutais bien qu'une transition complète au genre masculin lui scierait mieux que le port d'un simple pronom et cela va de soit, dans sa situation familiale actuelle, qu'il faudrait malheureusement pour lui attendre qu'il parte de chez ses vieux pour pouvoir enfin avoir le corps qu'il veut ou au moins qu'il soit indépendant financièrement. Un frisson lui échappe pourtant quand il parte de piqûres, se disant que Martin est quand même vraiment courageux et déterminé pour utiliser des seringues régulièrement. Mais j'imagine qu'il n'a pas trop le choix...
L'imaginant déjà comment il serait une fois sa transition achevée (peut-être que ça le fera grandir), mon flux de pensées est perturbée par sa question à mon attention qui me fait tressauter.

« M-Moi ?.. Des plans ?.. »

La fin du lycée est proche. Dans quelques temps,nous devrons tous choisir un cursus supérieur après leur bac. Beaucoup dans ma classe ont déjà leur futur tout tracé ou au moins des idées, des projets d'avenir qui leur plaisent. Moi... Moi, je ne sais pas. Je suis dans le flou total. Etrangement, l'idée de terminer mes années à l'école ne m'enchantent pas plus que ça.

« Je... Je ne sais pas. J'y ai pas trop réfléchi... »

Si seulement j'avais au moins idée de métier... Mais faire pompier comme mon père ne m'intéresse pas (même si j'en suis admiratif) et je suis bien trop nul dans les matières scientifiques pour espérer être vétérinaire comme maman. Si au moins il y avait des enseignements où j'étais doué... En math et en sciences, on frôle la catastrophe mais je ne suis que moyen dans tous les autres domaines. Alors quant à savoir vers quoi je vais me tourner pour les études supérieures... C'est le vide total. Et puis, en vérité... Il n'y a pas que ça.

« Je suis pas si pressé d'en finir avec le lycée. C'est pas forcément cool tous les jours, mais... »

Mon regard s'assombrit un peu. Le reflet dans mon miroir me fait prendre conscience à quel point je ne ressemble plus à un collégien. Cette période a été quelque peu infructueuse, mais je me disais 'ça va, on a encore quelques années avant le lycée, je peux profiter'. Sauf que les années sont passées vite. Si vite que je n'ai pas eu le temps de les rattraper et que je n'ai plus d'autres choix que d'aller de l'avant. Mais bientôt, ma vie changera complètement. Je sais ce que ça veut dire, la fin du lycée...

« M-Mais y'a aussi de bons trucs... On sera peut-être tous séparés par la suite... J'ai pas envie de ça. T'as pas peur d'être séparé de Nagel, toi ? »

Cela veut dire que y'en a qui iront dans des écoles qui se trouvent peut-être aux quatre coin du monde. Que je serai peut-être séparé de Faust, de Elliott, de Martin... Et de Natsume. Qui sait si celui-ci ne sera pas forcé de rentrer au Japon quand le temps sera venu. Moi pas. Je n'en sais rien. Mais je ne veux pas être séparés des seules personnes qui comptent pour moi.

Martin se donne beaucoup d’airs quand il parle de choses qu’il n’est pas certain de vraiment contrôler. Au fond, il se sent beaucoup plus comme Samaël que vraiment certain de ce qu’il veut pour après le lycée. Oh, il sait qu’il ne sera pas vraiment à plaindre, il y a des chance que ses parents l’aident quand même financièrement même s’il préférerait trouver les sous lui-même, ce n’est pas à 18-19 ans qu’on devient magiquement stable avec un taff et des études. Le blondin envie un peu son pote l’Enodril de parvenir à être honnête en ce qui concerne ses incertitudes. Il l’écouta attentivement lui faire part de ses doutes. Même si le Rosenthal n’est pas quelqu’un de vraiment empathique, il parvient à voir ce dont l’autre veut parler, mais n’est pas spécialement d’accord.

Tout ce que je sais, moi, c’est qu’une fois le lycée fini ça va surtout être « bon débarras ».

Il ne comprenait pas vraiment ce que l’autre trouvait de bien au lycée, en dehors des clubs, peut-être, et des quelques connaissances ou amitiés marquantes qu’on peut se forger. Pour le coup, Martin ne serait pas honnête s’il disait qu’il n’était pas content d’avoir rencontré Samaël, Olaf puis Helmut. En dehors de ça, personne n’aime les cours (et surement pas les intellos de service comme Martin et Helmut), généralement et on ne parle pas des brimades que certain.e.s ont subi ou subissent parfois en silence sans que personne ne s’en rende compte. A part quelques remarques très désagréables sur sa transidentité, Martin n’était pas à plaindre, probablement car il gueule très fort contre ses agresseurs et un jour, il ne s’est pas gêné pour faire une prise à l’un d’eux en guise de représailles. Enfin. Tout ça pour dire qu’il ne regrettera pas grand-chose du lycée. Mais c’est vrai qu’il ne pourra pas rester avec un même groupe à cause des aléas de la vie.  

« Mouais, c’est pas faux. »

Admit-t-il quand Sam eut l’air attristé d’imaginer qu’il allaient être séparés. L’envie lui venait de sortir un « c’est la vie » détaché pour se donner l’air cool et absolument sûr de lui, toutefois, il avait bien senti un petit pincement au cœur.

« Toute façon y’a quand même des chances que beaucoup de monde aille à la fac du coin. J’sais que Nagel fera très probablement des études, y disait vouloir être astrophysicien. »

A cause de ses séries de SF, d’ailleurs… quel nerd, j’vous jure. Mais il est tellement adorable quand il s'anime en parlant de ça.

« M’enfin, j’vais pas choisir mon avenir selon d’autres personnes, même si c’est lui. »

Ouais, ce serait cool de se voir encore pendant nos études (sachant que c’est mal parti ces derniers temps), peut-être d’être encore dans la même fac, m’enfin… si je dois de toute manière partir pour faire ce que je veux, je me poserais pas la question.

« Mais y’a pas vraiment de raison de perdre le contact si on veut le garder, toute façon, si ? »

Répondit-il avec un air pensif, tout en triant les vêtements qu’il comptait acheter avant de passer à la caisse. Martin ne sait pas comment ça se passe entre Sam et ses potes comme Elliot ou Faust, pour citer ceux avec qui il traine le plus souvent en dehors de lui, mais en ce qui le concerne, il ne voit pas pourquoi il arrêterait d’être ami avec Samaël après le lycée, même s’ils sont séparés.

« Tu vas prendre la veste en jean alors ? »

Demanda-t-il tandis qu’ils se dirigeaient doucement vers les caisses.