Shopping entre ados avec un Martien

Si ça devait vraiment arriver, si je devais vraiment partir pour mes études, je ferais comme Martin : je ne laisserai pas ma chance passer même si j'étais avec quelqu'un. Mais c'est quand même dommage, les éloignements physiques. Puisque je suis encore incertain quant à mon avenir, j'imagine que je n'ai pas à y penser tout de suite, de toute manière, on a encore du temps; au pire j'irai voir les universités aux alentours. Mais ça fait du bien, aussi, de traîner avec des amis... Heureusement qu'on est à l'époque où les réseaux sociaux existent. Au pire des cas, je connais un Donovan qui sera encore sur son MMORPG à péter des scores quoiqu'il arrive, de toute façon, alors pour lui, je ne me fais pas de soucis. Et je sais que Martin est facilement joignable en général, alors je pourrai l'appeler ou on se fera des convo Skype, sinon. De Natsume, malheureusement, je n'ai rien. Et je me demande si j'aurai le courage de lui parler avant la fin de l'année. J'imagine que je n'aurais peut-être pas le choix, si je veux avoir le cœur net, ou je sens que cette histoire me hantera pour les années à venir.

« Si j'ai réussi à capter ton attention avec cette veste, alors c'est qu'elle doit vraiment bien m'aller ! Je pense que je vais la prendre. »

Je ne sais pas s'il le sait, mais Martin a réussi à un peu me rassurer. Je ne peux pas attendre de la vie qu'elle s'arrête juste parce que j'ai peur de ne plus voir des proches. Alors vaut mieux être optimiste. Prenant la veste, je ramasse mes affaires en attendant qu'il se décide à prendre lui-même ce qu'il veut. Je pense que j'aurais quand même quelques regrets, au fond, même si je ne suis évidemment pas de ceux qui ont eu d'énormes problèmes au lycée et que donc je suis peut-être un cas à part. Pour mon ami, je peux comprendre que ça soit moins difficile d'aller de l'avant. Je l'envie d'ailleurs pour ça : il n'a pas l'air d'avoir peur.

« La distance ne fait pas disparaître automatiquement les liens, mais... C'est quand même chouette de pouvoir se retrouver souvent. »

J'esquisse un léger sourire mélancolique, sachant que nos sorties comme celle-ci vont quand même me manquer si le Rosenthal doit s'en aller pour ses études. Mais il a raison, ce n'est certainement pas ça qui m'empêchera de le contacter.

« En tout cas, toi, t'as pas intérêt à m'oublier, par contre, même si tu vas loin ! »

Je lui lance un regard entendu, comme si je ne lui donnais pas le choix de me zapper de sa mémoire. Je serais probablement triste s'il finissait par m'oublier, mais je ne suis pas assez naïf pour ne pas savoir que ça ne risque jamais d'arriver. J'espère juste qu'on pourra continuer à être ami tous les deux et... Pour être honnête, je suis impatient de voir sa transition achevée. Je sais que ça le rendra heureux. D'ailleurs, mes yeux se posent sur sa tenue que je détaille un peu plus, avant de lui lancer une œillade et un coup de coude amical.

« Hé... T'es plutôt mignon avec une chemise. Si avec ça y'en a pas un qui craque, haha ! »

Bon, euh, j'avoue que c'est peut-être aussi que j'ai quelque chose avec les chemises, mais chut, faut pas le dire ! D'ailleurs, il me tenterait presque à en prendre une pour moi aussi mais faut dire que j'en ai déjà tellement... Ce ne serait guère raisonnable. Au pire, j'en piquerai une à papa, il me dit toujours oui, héhé.

Martin est presque agacé par la niaiserie de son ami, des fois, comme lorsqu’il est ravi de son avis sur la veste ou qu’il parle de garder des liens avec ses anciens camarades. Mais bon, c’est Samaël, il est comme ça. Et le blondin aussi est très, très niais, des fois (surtout quand il s’agit d’Helmut), donc c’est fort hypocrite de sa part de juger ainsi le châtain. Être de bonne foi n’a jamais été son fort mais il n’était pas non plus assez cruel pour se moquer des préoccupations de l’autre. Au fond, oui, il espère aussi que la distance ne tuera pas ses relations avec quelques personnes. Ce n’est pas comme si Martin avait beaucoup d’amis, en dehors de Samaël, Helmut et Olaf et sa tendance à prendre tout le monde de haut et à se méfier n’aide pas non plus. Pas qu’il veuille plus de potes, en un sens.

« Pfff, mais non j’vais pas t’oublier, t’es con, roh… »

Il roula des yeux en essayant de ne pas trop rougir lorsque l’Enodril lui fit promettre de ne pas l’oublier quand ils ne se verront plus tous les jours au bahut. Vraiment, il y a très peu de chance qu’il oublie son ami de longue date. Il avait eu très peur, à l’époque, que leur relation change après qu’il ait décidé de ne plus cacher qu’il était un garçon, quand il était du jour au lendemain arrivé avec 20 cm de cheveux en moins et une allure beaucoup plus garçonne… Non, même dans ses maladresses qui avait occasionné quelques embrouilles, Sam restait toujours sincère et de son côté.

Il va me rendre émotionnel, ce con !

Martin dissipa la nostalgie qui l’envahissait et rangea les habits qu’il voulait rendre sur un cintre à la sortie des cabines d’essayage. Ils se dirigeaient vers les caisses quand l’Enodril lui fit un nouveau compliment qui, de nouveau, fit mouche et prit Martin de court.

Mais quel… Il est con, hein ! Quoi, j’ai déjà dit 15 fois qu’il était con ? Enfin je dis ça avec amour, hein. Mais chut.

« Hé, c’est ma fête aujourd’hui, ou quoi ? Si tu tiens tant que ça à voir Nagel content, je peux aussi t’arranger le coup ! »

Evidemment, le Rosenthal n’était pas sérieux et se mit à ricaner tandis qu’il payait avec une carte que ses parents lui avaient donné pour ce genre de sorties, les avantages d’une vie de petit richard (et Martin ne s’en voulait pas trop de s’acheter des vêtements de mecs avec l’argent des personnes qui le mégenrent tous les jours de l’année). Pour le coup, il ne le dirait pas à Sam, mais est pratiquement sûr avec le peu que Helmut lui a dit, que son crush a beaucoup de mal à supporter son meilleur pote. Il n’a pas vraiment expliqué pourquoi mais il est certain que ces deux-là sont si éloignés autant au niveau de leurs caractères que de leurs centres d’intérêt qu’il y a peut de chances qu’ils s’entendent. Enfin, certes, Sam crushe bien sur un gros nerd aussi, mais Helmut n’est pas Natsume, même s’ils sont parfois drôles à observer, tous les deux, avec leurs mimiques qui se ressemblent parfois… à se demander s’ils n’ont pas été séparés à la naissance, des fois.

A propos de Natsume…

« Et tu devrais pas plutôt te soucier du tien, de mec, hein ? On en entend plus parler ces temps-ci ! »

C’était à Martin de taquiner Sam avec son coude après qu’ils aient payé et soient sortis du magasin. Ils avaient encore du temps pour se balader un peu et le Rosenthal serait bien allé acheter un gouter.

Je glousse face à sa taquinerie en même temps que Martin ricane, mimant même un faux air dégoûté lorsqu'il plaisante sur Nagel. Je ne connais pas si bien ce dernier en dehors du fait qu'il traîne toujours avec Natsume et que, bien sûr, mon ami craque sur lui. Je trouve qu'il n'a pas du tout le charme de Shimomura, mais bon, c'est normal, je suis totalement subjectif. Même si je ne suis pas du tout proche de Helmut, je devine qu'il doit avoir des qualités qui ont plu à Martin, pour qu'il aille jusqu'à tomber amoureux de lui, ou même pour que Natsume le supporte. J'aurais pu dire que c'est parce qu'il a toujours un air sérieux et un visage fermé, mais le japonais n'est pas forcément mieux de ce côté-là. Mais au fond, c'est ce qui fait aussi que le Rosenthal et moi avons quand même quelques points communs. Alors s'il peut être heureux avec son crush, c'est le principal, je ne demanderais rien de plus. Qui sait... Peut-être qu'un jour j'apprendrai à mieux connaître Helmut, moi aussi, puisque Elliott m'en parle aussi quelques fois...

Puisque j'ai pas arrêté d'embêter le blond avec cette histoire, toutefois, on dirait que ça me retombe dessus, finalement. Il me prend tellement au dépourvu avec sa question que le rouge me monte aux joues à une vitesse prodigieuse et que j'en fait tomber maladroitement quelques sous quand vient le moment où moi je passe à la caisse. En ramassant mes pièces que je finis par donner au vendeur avec un teint aussi cramoisi que le stand de rouge à lèvre près de moi, j'émets un rire nerveux en reprenant finalement mon sac de shopping pour me tourner vers mon ami.

« P-Pfrrt ! N-N'importe quoi, toi ! J'ai pas de mec haha ! Hahaha ! »

Il y croira pas. En même temps, personne n'y croirait. Et je suis assez nul pour cacher ce genre de choses. Elliott l'avait remarqué dès le premier jour (qu'est-ce qu'il devine pas, en même temps) et Martin l'a su aussi. Mais j'alterne entre regards et soupirs amoureux quand le Shimomura passe près de moi et déni absolument quand vient l'heure des confessions, même si je suis crâmé de chez crâmé et que je me demande parfois si le hérisson n'aurait pas remarqué depuis longtemps quand bien même les frères Donovan m'ont assuré qu'il voyait rien quand ça concernait ce genre de chose malgré sa capacité d'observation. Me voilà rassuré, quelque part, même si des fois je me demande si ça serait pas plus simple quand on en finisse rapidement et qu'il ne découvre pas tout lui-même. Si j'arrêtais de faire l'autruche, aussi... M'enfin, ça voudrait dire faire preuve d'intelligence et je n'ai pas cette notion dans mon répertoire.
En sortant du magasin, je tente de trouver un échappatoire pour éviter plus d'interrogation même si Martin n'est clairement pas dupe.

« Oh, regarde, un stand de crêpes et de glaces ! Ça te dit, un encas ? »

Je suerais presque, à ce stade. Le visage chaud, je me rends compte que ma poitrine s'est mise à s'agiter en pensant à l'asiatique dans notre classe. Au fond, je sais que j'aimerais bien être aussi à l'aise avec Natsume que je ne le suis avec Martin. Je rêve de pouvoir faire des sorties de ce genre ave lui, lui proposer que nous partagions une gaufre, faire des promenades, ou du shopping... Mais je passe plus de temps à fantasmer qu'à agir parce que je suis très lâche, et j'en ai marre.

Franchement,  j’arrive pas à croire que cet abruti arrive à me trainer dans ses délires de commère… entre lui et Olaf je vais vraiment finir comme eux, accro aux ragots et au drama.

En un sens ce n’est pas tout à fait nouveau que Martin adore jouer les langues de vipères et dire du mal dans le dos des gens (cela dit parfois il a aussi le culot d’aller leur dire en face, car il est un peu concon et téméraire). Là, son but n’était pas d’offenser Sam, mais il ne pouvait pas résister à taquiner l’autre sur sa prévisibilité. Il fut très difficile pour lui de se retenir de ricaner en voyant son pote tourner au rouge pivoine à la mention d’une certaine personne dont le blondin n’avait même pas eu à prononcer le nom. Car aux dernières nouvelles (et ce depuis un certain temps), l’Enodril n’a d’yeux que pour Shimomura, un de leurs camarades de classe arrivé depuis plus d’un an maintenant. A vrai dire, il n’en rate pas une pour attirer l’attention du brun aux cheveux en pics, c’en est des fois désespérant, mais, sur ce point, le Rosenthal ne pouvait pas lui faire de reproche. Il s’était lui-même comporté un peu comme un bully avec Helmut et son pote avant de comprendre par lui-même qu’il n’obtiendrait jamais ce qu’il voulait de cette manière.

« Bah, c’est clair que si t’invites pas le p’tit jap’, t’en auras jamais un, de mec ! »

Le combo racisme et tackle un peu gratuitement méchant, probablement que Martin aller le regretter. Seulement, il continua sa route comme si ce qu’il venait de dire était entièrement normal, jusqu’au stand de glace qui faisait apparemment très envie à Sam.

« Hm… Bien joué, le changement de sujet. J’suis pas sûr de vouloir un truc gras, m'enfin, ça a l'air bon. »

Martin n’est pas sans savoir que son ami aime les trucs sucrés. Pour sa part il n’aime pas trop se baffrer hors des repas. Probablement une autre sale habitude prise à cause de la pression que sa mère lui a toujours mise pour qu’il « garde la ligne ». En un sens, Martin aimait bien être mince et garder un régime de sportif, pour devenir plus musclé maintenant que sa croissance semblait s’être bien tassée. Mais en l'instant présent, il avait faim et ne résista pas à prendre une boule aux fruits des bois et une autre à la vanille dans un petit pot.

« M'ouais, c'est pas ouf mais c'est pas dégueu... »

Evidemment que le gosse de riche avait mangé des choses plus savoureuses et moins industrielles dans sa vie, mais, ça fera l'affaire et l'interêt principal de cette glace était de pouvoir partager le moment avec son ami.