Mir(UA)r edge

Il n'a pas tort, pour le côté gamin frustré. C'est un gamin, et il est frustré. Au moins, Natsume ne va pas rentrer dans son jeu ; il a l'air assez résistant pour ça, et c'est ce qu'il lui faut pour qu'il comprenne que son pouvoir n'atteint pas tous ceux qu'il souhaite. Mon regard s'éteint aussitôt toutefois quand il avoue son pessimisme (ou optimisme ?) quant à sa survie. Il a l'air persuadé de sa disparition prochaine. Pourtant, je le sais : si Sirius voulait le tuer au final, il l'aurait fait bien avant. Il n'aurait pas attendu six mois pour ça. Alors j'espère que l'asiatique ne compte pas attendre qu'il pète un plomb (même si le grain est déjà pas mal) pour crever. À son interrogation, pourtant, je me dois de secouer la tête.

« J'apprécie la proposition, mais... »

Il ne pourra rien y faire, malgré tout, je le sais.

« Y'a pas grand chose que tu peux faire pour moi, malheureusement. »

Et Arceus sait que j'aurais rêvé d'une occasion pour me venger de Sirius et des autres. Mais je suis impuissant tant que j'ai encore quelque chose d'important à protéger, je le sais. Il détient ma faiblesse et il surveille ardemment la sienne. Mais je peux au moins lui assurer une chose que j'ai pu remarqué, depuis son retour.

« Je crois que le laisser frustré est suffisant, comme satisfaction. Je ne le pensais pas si faible et têtu face à quelqu'un. En ne cédant pas à ses caprices, tu l'emmerdes déjà. »

Sisi l'Impératrice est bien irritable, comme toujours. Mais depuis que le Shimomura est revenu, il y a une différence somme toute notable : celui qu'il convoite est bien proche de lui, cette fois, mais il ne peut pas l'approcher. N'est-ce pas ce qu'il y a de pire ? Moi je crois que ça le fout en rogne rien que d'y penser. En voyant l'assiette à peine touchée, néanmoins, un détail me tracasse, et je dois détourner un peu le regard pour ne pas montrer ma gêne.

« Mais je t'avoue que... Ça m'arrangerait, qu'il ne m'oblige pas à te forcer. J'aime pas voir les gens crever de faim. »

Je ne le déteste pas. Et j'aimerais pas le voir mourir comme ça sans rien faire. J'espère secrètement que ça, il pourra comprendre.

Je me doutais un peu de cette réponse, mais elle est tout de même pénible à entendre. Dans un soupir, je me rabougris un peu, même si j'essaie de simuler ma déception. De temps à autre... De temps à autre, je me demande à quoi ça sert, d'avoir rejoint les anarchistes, quand je vois ce contre quoi nous nous opposons. Je sais bien que l'on peut tuer un mammouth rien qu'en abîmant ses pattes, mais ça ne rend pas la sensation d'impuissance plus agréable, quand bien même je m'accroche à l'idée qu'un rien pourrait tout changer. Je ne mentirais pas en disant que ce qui m'a poussé à les rejoindre au final est une pure bienveillance ou grandeur d'âme ; il y avait surtout beaucoup de rancune, mais... Mais au fur et à mesure, tout ce que je voyais et entendais me confirmait que j'avais eu raison. Auparavant, j'étais un peu coupé de tout, me contentant de grogner et d'éteindre la télévision quand j'entendais des idioties, mis mal à l'aise par une colère que je n'arrivais pas à identifier. Une forme de peur, aussi. Maintenant, j'ai de l'amertume et beaucoup de désabus, c'est vachement mieux. Ahaha.

J'esquisse un rictus mesquin devant son admission. Allons bon, on dirait que mon but actuel dans la vie se résume à emmerder un trou du cul imbu de lui-même en lui refusant d'attraper le pompon au bout de son quinzième tour de manège. Franchement, ça me laisse un sale goût dans la gorge. Je ne l'exprime pas, car dans le fond, l'énoncé qu'il a fait me fait plaisir comme ça, mais... Non, vaut mieux pas que j'y réfléchisse trop longtemps.

« Ouais ouais, c'est mon plus grand talent. »

À l'heure actuelle, c'est bien tout ce que je peux faire ; l'énerver pour le pousser à faire des erreurs. Technique franchement pathétique, mais on fait avec ce qu'on a, je suppose.
Toutefois, sa dernière remarque me retire mon rictus, faisant passer mon expression à une neutralité plate. Ah, là... Là, je ne peux pas grand chose. Au delà de mes troubles alimentaires qui sont déjà une plaie, l'état dans lequel me met cette situation n'est certainement pas d'une grande aide non plus. L'air plus morne, je grimace un peu, me replaçant un peu contre mes genoux pour regarder ailleurs.

« … Je suis hypersensible. Y'a des jours, ça peut pas passer. Les textures et les odeurs, ça peut jouer. »

Comme aujourd'hui. De la purée gratinée et du steak haché mariné, eh bien... Eh bien disons que cela fait beaucoup de graisses d'un coup, et que mon corps n'a pas attendu longtemps avant de faire monter la révulsion. Et pour tout dire, le fromage, si ça m'indiffère pas mal en règle générale, le gruyère fondu me donne envie de vomir ; probablement une histoire de graisses saturées et de réaction chimique. Toujours est-il que ma réaction est hors de ma portée. Mais... Mais je suppose que je peux arriver à un accord. En reportant un regard mi-incertain, mi-désabusé sur le champion, je reprends la parole avec une certaine fatigue.

« Je vais faire ce que je peux, mais je ne promets rien. Les légumes aident, au pire. »

Et au pire des cas, je suppose que je pourrais toujours faire le coup du sceau de vomi au dessus de la porte la prochaine fois que l'autre tâche décidera de venir m'emmerder...

Son honnêteté me scotche un peu. Après son ton sec de tout à l'heure, le voir grimacer un peu en étant tout à coup honnête me surprend, je l'avoue. Il grimace, et je sens bien qu'il voudrait essayer lui-même de me rendre la vie plus simple, car sinon, il m'enverrait balader. Sans doute qu'il comprend, au final. Qu'entre personnes qui sont dans la même galère, on peut trouver des arrangements pour se rendre mutuellement la vie plus simple. Humblement, il me donne des pistes pour m'aider. Cela m'emmerdait déjà vachement de le forcer à manger, encore plus après cet échange, alors je le remercie intérieurement très fort de me proposer des repas qui pourraient lui convenir. Je ne veux même pas qu'il se nourrisse pour sauver ma peau. Juste... Pour lui-même, quoi. J'ai pas envie que quelqu'un d'autre crève encore à cause des conneries de la Compétition. Pourquoi a-t-il fallu que cette institution prenne le pouvoir ?..
En silence, je me contente de hocher la tête avant d'emporter l'assiette à peine touchée. Je comprends mieux son comportement de chat qui feulait tout à l'heure. Je lui ramènerai des légumes et des fruits pour lui proposer quelque chose de moins gras. Il est vrai que je n'y avais pas pensé, sur le coup. Un peu dans les vapes, Sirius m'avait juste demandé de lui donner de quoi l'engraisser pour qu'il soit moins maigre. Je n'ai posé plus de questions, craignant des représailles, je l'avoue. Mais à l'avenir, je ferai davantage attention. Natsume n'a pas à pâtir du comportement de mon supérieur, même si je crois deviner l'étrange lien qui les unit.
Sans un mot de plus, j'emporte le plat après avoir débarrassé la table et ne me retourne vers lui une dernière fois que pour le saluer.

« J'espère que nous pourrons nous reparler. »

À l'avenir, je le sais, nous le pourrons. Je crois que si je continue de lui apporter de quoi manger sans que l'autre abruti ne soit là, j'aurais des occasions pour bavarder un peu avec l'asiatique, s'il le veut. Il a pas l'air méchant, malgré tout...
Sans attendre de réponse, je prends finalement congé et m'éclipse de la pièce pour le laisser tranquille.

Je ne peux pas faire de miracles, et dans ma situation actuelle, je ne peux pas faire grand chose tout court. M'évader va être bien, bien plus compliqué que la dernière fois : et en plus, je ne pourrais pas utiliser la même méthode, qui m'a pourtant pris un certain temps à élaborer. Alors oui, j'en suis un peu au stade où je me dis que simplifier la vie des autres, c'est déjà ça de gagné. Au moins, il a l'air à peu près satisfait par ma réponse, alors je me permets de replacer ma tête entre mes bras en le regardant débarrasser. Je ne suis pas sûr de ce que je pense de tout cette entrevue, mais... Mais quelque part, une portion de moi est satisfaite de ne pas avoir une énième personne dont je dois me méfier à tout moment. Oh, je ne lui fais pas confiance, loin de là ; si le choix devait se faire, je sais très bien qu'il protégerait ses gamins, ce qui est normal. Pour autant... Pour autant, oui, je préfère le voir lui que Méphisto, très clairement. L'admettre me soulage même un peu intérieurement.

Si je m'apprêtais à parler pour le saluer, je m'arrête toutefois quant il me confie vouloir... De nouveau discuter avec moi ? Perplexe, je le fixe avec une certaine surprise, sentant une certaine gêne me chauffer les joues et me faire gesticuler nerveusement des pieds. Ne sachant trop que faire, je hoche distraitement de la tête, y voyant une méthode de communication à peu près acceptable. Au fond, néanmoins, une pensée me trotte en tête.
Je ne lui dis pas, quand bien même je le pense, que j'aimerais qu'il n'ait pas à me revoir. Dans les deux sens possibles.